2.1.2. La problématique du caractère

Mais jusqu’où va la connaissance de soi? Pas plus loin que nous ne pouvons aller en observant les « activités » des autres? Ces « activités » étant, comme chez l’autre personne, des manifestation d’un agent inconnu, mais dont ici mon propre cœur m’offre la clé de compréhension?

Or, cet agent inconnu, vers lequel doit conduire la connaissance psychologique de l’Homme, qui cherche à comprendre les manifestations, c’est-à-dire les actions des autres Hommes par analogie avec son propre cœur, on l’a appelé depuis toujours le caractère de l’Homme, et c’est à son étude que s’efforce avant tout la connaissance pratique de l’Homme. Elle [139] part de la prémisse tacite que toutes les actions de l’Homme proviennent d’un fond permanent, situé en lui-même, de sorte qu’il peut être déterminé avec une certitude univoque, à partir de ces actions, comment elles se produisent en diverses occasions extérieures, tout comme, par exemple, on reconnaît la particularité chimique d’une substance à partir de son comportement vis-à-vis de différents réactifs. Et de même que la même substance chimique doit toujours présenter les mêmes réactions chimiques, de même toutes les actions d’un même Homme dans les mêmes circonstances doivent se dérouler dans le même sens.

Le principe doctrinal de la constance du caractère en tant qu’exigence théorique de la pensée a été défendu de la manière la plus conséquente par Schopenhauer, qui reprend avec une acuité particulière la distinction déjà soulignée par Kant entre ce qu’il appelle le caractère empirique et le caractère intelligible.

Le caractère intelligible de l’Homme est pour lui la direction fondamentale de son vouloir, qui concerne le noyau métaphysique de l’Homme et constitue son dernier élément d’essence immuable, situé derrière toutes les manifestations par lesquelles il se révèle. Face à ce qui n’est que réalisable et pourtant clairement donné, il y a le caractère empirique, sorte de terme générique de toutes les manifestations toujours changeantes de ce caractère fondamental dans le monde réel, c’est-à-dire principalement les actes accomplis sous l’influence des motifs les plus divers, qui n’offrent cependant qu’une image fluctuante et très diversement interprétable, à partir de laquelle on peut bien, par voie synthétique, dégager la constitution d’un substrat commun sous-jacent, mais dont la représentation doit toujours être corrigée. Ce caractère empirique est aussi le point de départ de la connaissance de soi. C’est ainsi que chaque Homme n’apprend à connaître son « vrai » caractère que peu à peu, jusqu’à un certain point, après avoir découvert, à travers une multitude de tromperies et de désillusions, l’essence de cette différence, aussi bien en lui-même que chez les autres.

Nous rencontrons aussi souvent chez les astrologues pratiques une opposition similaire à celle introduite par Kant et Schopenhauer. Il s’agit ici de la distinction nette entre individualité et personnalité. Par individualité, on entend le sujet moral proprement dit, mais par personnalité, la somme de toutes les dispositions qui ne proviennent pas de la nature du sujet moral, mais qui sont déjà rencontrées par lui comme des particularités préformées par l’hérédité [140] et qui, dans l’ensemble, ne sont pas en rapport organique avec ce sujet, mais dans un autre rapport, difficilement interprétable.

On verra dans cette distinction la dialectique entre les deux sephiroth Tipheret (individualité, moi essentiel: le Soleil) vs Yesod (personnalité, moi existentiel: la Lune, dont le véhicule est Malkhout: l’Ascendant).

Cette « personnalité », qui pourrait correspondre à ce que Schopenhauer appelle le caractère empirique, signifie cependant quelque chose d’essentiellement différent dans le sens de cette conception. La personnalité, dérivée de persona, serait la désignation d’une sorte de masque ou de déguisement qui n’est certes pas choisi par le sujet, mais qui représente la forme d’apparence dont chaque sujet vient habillé « au monde ». Cette désignation repose donc sur une vision similaire à celle de Pedro Calderon dans son drame Le Grand Théâtre du Monde.

Les êtres humains qui, par leur naissance, entrent sur la scène terrestre, sont comme des acteurs qui doivent jouer un rôle précis, selon le contenu qui leur est confié; sans l’être en réalité, l’un doit représenter un méchant, l’autre un héros de la vertu, celui-ci un roi, celui-là un mendiant, un guerrier ou un artisan! Mais pour un soir, il doit, telle l’acteur qui endosse un rôle (un masque, une persona), sembler l’être, il doit charger son vrai caractère, quel qu’il soit, du caractère fictif de celui qu’il représente et s’y associer.

Cette pensée est étrangement puissante, car elle montre d’un seul coup le problème du caractère sous un autre jour.

Si, chez Kant, le caractère empirique n’était qu’une manifestation trompeuse du véritable caractère intelligible de l’Homme, un élément essentiellement différent se révèle dans cette opposition entre le rôle et l’acteur! Si nous nous demandons tout d’abord quelle est la nature du rapport de l’acteur à son rôle en général, alors apparaît d’abord à nouveau quelque chose de semblable à ce qui était contenu dans le rapport du caractère intelligible au caractère empirique, mais cependant à nouveau d’une manière tout à fait différente. Car si c’est ainsi que nous devons nous représenter une certaine « personne » sur la scène terrestre, revêtue d’un masque, et n’agissant dans la vie que par ce masque, alors – et c’est là l’essentiel de cette comparaison – le rapport entre le caractère vrai et le caractère apparent doit contenir quelque chose de semblable à ce rapport.

Demandons-nous donc une bonne fois, afin de découvrir le sens profond de cette comédie de la vie dans la fiction de Calderon: d’où l’Homme tient-il ce goût pour la comédie, cette tendance à substituer la « personne » à son individualité réelle ou supposée [141] – d’où vient ce besoin de se masquer? Pourquoi les enfants, pourquoi tant d’adultes jouent-ils si volontiers au « théâtre »?

Peut-être parce qu’ils peuvent apprendre volontairement dans le jeu ce que nous devons faire dans la comédie de la vie pour nous connaître et nous éprouver dans notre véritable nature: d’abord voir et expérimenter dans son propre corps comment les autres s’y prennent.

Mais ces « autres » dont nous jouons le rôle, dont nous prenons le masque, sont-ils vraiment tout à fait les « autres »? N’y a-t-il pas en chacun de nous quelque chose du mendiant ou du roi, du héros ou du lâche, du noble ou du vil …?

Ce masque serait alors quelque chose qui, comme tout masque, sert à dissimuler ce qui, en réalité, cherche à se démasquer sous la protection de cette dissimulation! Notre vrai sujet aurait donc un besoin urgent de ce masque pour se défaire, sous sa protection, de quelque chose qui lui colle à la peau mais dont il veut se débarrasser, dont il veut se libérer.

La « personnalité » serait-elle alors ce côté de notre être qui est devenu le plus mûr pour la transformation – la scorie la plus lâche dans notre évolution supérieure? Ou bien celle que nous avons le mieux reconnue, qui, devenue mature, est incorporée en permanence à notre sujet et n’a donc plus besoin d’être « jouée ».

Quelle que soit la valeur de ce masque, nous voyons dans cette personnalité, située en amont du vrai « moi », le lien avec l’environnement qui est destiné à fournir à la phase de développement du « moi » et à son besoin de développement les occasions appropriées qui le guident vers la reconnaissance de ce qui est mûr pour la transformation.

Ainsi, l’acteur réel peut être le plus apte à incarner les rôles qui correspondent à son développement intérieur, c’est-à-dire à son A (Tipheret), lequel travaille sur la phase de son être qu’il est en train de transformer (Malkhout – P, Yesod et sa charge karmique héritée: B), celle qui lui offrent le pressentiment d’une étape future dans une perspective d’accomplissement anticipé, tandis que d’autres rôles doivent rester en dehors de son talent et de son intérêt.

Cette conception de la fonction de la « personnalité » nous conduit à nouveau à un autre type de problème de caractère, tel qu’on le voit de préférence en Orient. Là-bas, pour caractériser la dualité de ce qui constitue le caractère de l’Homme, on a l’habitude d’utiliser une image qui compare ces deux éléments fondamentaux à un véhicule et à son conducteur, qui manœuvre ce véhicule de manière invisible.

[142] Ainsi, nous ne pourrions connaître les véritables intentions, voire le véritable caractère du conducteur que par ce qu’il est capable de transmettre au véhicule. La manière dont cette transmission se fait dépend bien sûr dans une très large mesure de la capacité de la machine, mais aussi du génie du conducteur. Un pianiste virtuose réalisera des performances admirables même sur un instrument de moindre qualité, un violoniste pourra jouer magnifiquement sur un misérable violon et même ennoblir son instrument par une utilisation continue. Mais si le piano est désaccordé, l’artiste, même en développant son art au maximum, ne pourra pas éviter que certaines notes de son instrument sonnent faux; les défauts de l’instrument se répercuteront sur lui et l’obligeront à faire le meilleur compromis possible, le meilleur pour lui – et c’est ce compromis qui apparaît d’abord comme le caractère empirique.

Nous ne poursuivrons pas cette idée de la double nature du caractère dans toutes les nuances qu’elle a prises au cours des temps chez différents penseurs; nous nous arrêterons dans un premier temps à la constatation que, dès que l’on aborde, du point de vue psychologique, le problème de l’analyse du caractère, surgit immédiatement la contradiction exposée plus haut entre un caractère vrai, c’est-à-dire permanent, et un caractère apparent, changeant.

Les Latins avaient un proverbe très connu, souvent cité dans le contexte ci-dessus, qui disait ceci:

Naturam expellas furca, tarnen usque recurrit!

« Tu as beau chasser la nature avec des fourches, elle revient toujours. » Mais en allemand, il existe une autre expression qui parle de l’habitude comme d’une « seconde nature » (moi existentiel). Dans ce proverbe latin, il ne peut toutefois s’agir que de la « première » nature (moi essentiel), qui peut donc apparaître comme quelque chose qui se situe au-delà de l’habitude.

Mais si cette première nature est au-delà de l’habitude, qui, qu’elle soit innée ou acquise, doit assurément pouvoir être modifiée, d’où vient cette première nature et où devons-nous supposer qu’elle se trouve dans l’Homme? La connaissance de soi ou l’observation d’autrui peuvent-elles nous y conduire ou reste-t-elle au fond à jamais étrangères et inconnaissables pour nous?

Dans un discours peu connu, le Bouddha Gautama parle par une simple parabole de l’endroit où se trouve notre véritable sujet: [143] L’éléphant qui, arrivé à l’étang, y voit son image et s’en va indifférent parce qu’il pense que c’est l’image d’un autre éléphant, est plus sage que l’Homme qui voit son image dans l’étang et dit alors: « Oui! C’est moi! » Car sachez que notre vrai moi est au-delà des boucles de la maya.

En effet, « Maya » est le nom de la grande illusion à laquelle sont soumis tous ceux qui prennent le monde extérieur aux multiples facettes pour la « réalité ». La reconnaître correctement, c’est détruire son apparence et gagner ainsi la possibilité de s’engager sur le chemin de la connaissance de sa véritable nature. Ainsi, même la tentative d’étude psychologique du caractère et de l’être humain finit par déboucher quelque part dans l’océan de la métaphysique. Schopenhauer avoue lui aussi dans une lettre:

La profondeur des racines de l’individualité dans l’inconscient reste une énigme insoluble.

Or, c’est précisément là où la psychologie pratique doit nous laisser sur notre faim qu’intervient la connaissance astrologique de l’Homme, pour laquelle les conditions sont d’emblée différentes, puisqu’elle n’a pas du tout à faire directement avec l’Homme lui-même, mais avec son horoscope, à partir duquel elle lit la nature de l’Homme. La constitution de l’horoscope indique cependant essentiellement beaucoup plus d’éléments que les deux caractères empirique et intelligible. Comme on s’en souvient, trois facteurs essentiels participent à la construction de l’horoscope: le zodiaque, le monde des Planètes et la Terre elle-même en tant que surface de projection. En conséquence, le caractère de l’Homme se construit également à partir de trois éléments de base essentiels, dont l’un est fondé sur le zodiaque, le deuxième sur la fonction planétaire et le troisième sur la fonction terrestre.

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