1.2.1. Communauté vivante entre l’Homme et l’Univers

La dernière fois, nous avons essayé de nous faire une idée générale de la nature de l’astrologie en tant que partie de la science secrète et, en particulier, d’obtenir des éclaircissements sur les sources de cette connaissance, qui semblent découler de régions si essentiellement différentes des sources de la connaissance profane. Or, comme nous l’avons déjà expliqué à cette occasion, ces sources intérieures de la connaissance ésotérique n’ont jamais été complètement occultées; on peut s’y abreuver aujourd’hui comme hier – sauf qu’elles n’inspirent pas confiance aujourd’hui étant disqualifiée par les tenants de la science moderne et de la réputation acquise par celle-ci. Or, la source véritable de toute l’astrologie provient de ce sentiment universel qui constitue encore aujourd’hui le contenu de la vie de tous les « peuples de la nature ». Ceux-ci en effet, ne vivent pas seulement extérieurement, mais avant tout intérieurement, en relation avec le Tout de la nature, qui repose sur la communauté de vie organiquement ressentie avec celle-ci, sur le pressentiment du fait d’être intégré en tant que partie à la vie cosmique universelle de cet univers, dont les éléments extérieurs forment l’armée de myriades de Soleils, de Planètes et de Lunes, comme l’extérieur d’un corps géant dont ils constituent les organes. Et sur l’une de ces cellules organiques, l’être humain lié à la nature se sent lui-même comme une petite cellule miniature, traversée par les courants de vie du corps entier, pensant dans sa conscience étroite, espérant, se réjouissant, tombant dans la culpabilité et la détresse et luttant à nouveau pour la foi et la libération. Celui qui a déjà ressenti cela en contemplant le ciel étoilé, celui qui s’est abandonné, ne serait-ce que par intuition, à un tel sentiment de l’univers, a rendu vivant en lui quelque chose de ce qui était autrefois les sources de la sagesse des étoiles. Or, à un tel « pressentiment » correspond partout dans la vie des peuples un niveau primitif de la connaissance de la nature, un niveau qui a dû être perdu lors de l’ascension vers la connaissance formalisée, pour retrouver plus tard ce qui était autrefois un pressentiment sous la forme d’une connaissance acquise consciemment et ne pouvant être perdue. Nous avons suivi la dernière fois, à l’aide des explications spirituelles d’Auguste Comte, ce chemin ascendant à travers ces trois stades, dont le premier, le « théologique », peut bien être comparé au sentiment de la nature des peuples primitifs, et dont le troisième peut être comparé au point de vue de la science exacte de la nature. Mais nous voulons maintenant ajouter un quatrième stade, qui réalise la synthèse de toutes les connaissances détaillées ou statistiques en une image organique et vivante du monde. Et ce savoir peut s’appeler le savoir secret ou le savoir ésotérique, par opposition au savoir scientifique que nous appellerons le savoir exotérique.

Ces deux expressions proviennent de Pythagore, qui séparait ses élèves en deux groupes, les exoteroi, les externes, et les esoteroi, les internes ou secrets. Les « exteroi » ont reçu tout ce qui constitue aujourd’hui l’objet des sciences empiriques systématisantes, en d’autres termes le savoir indirect, tandis que les « esoteroi » ont appris la méthode de l’immersion intérieure – la méditation –, c’est-à-dire à faire du « moi » l’intermédiaire – le médium – du savoir qui s’écoule du « Tout ».

Avant de poursuivre les réflexions que nous avons entamées la dernière fois, voici encore l’une des merveilleuses paraboles de Tchouang-Tseu, traduite par Martin Buber; il s’agit d’une conversation entre un « positiviste » et un représentant de la pensée fondamentale cosmique, le penseur exotérique et le penseur ésotérique.

La joie du poisson

Tchouang-Tseu et Hui-Tseu se tenaient sur le pont qui enjambe la rivière Hao. Tchouang-Tseu dit: « Regarde comme les vairons s’agitent! C’est la joie des poissons. » « Tu n’es pas un poisson », dit Hui-Tse, « comment peux-tu savoir en quoi consiste la joie des poissons? » « Tu n’es pas moi », répondit Tchouang-Tseu, « comment peux-tu savoir que je ne sais pas en quoi consiste la joie des poissons? » « Je ne suis pas toi », confirma Hui-Tse, « et je ne te connais pas. Mais je sais cela, que tu n’es pas un poisson; ainsi tu ne peux pas connaître les poissons. » Tscouang-Tseu répondit: « Revenons à ta question. Tu m’as demandé: comment peux-tu savoir en quoi consiste la joie des poissons? Au fond, tu savais que je savais, et pourtant tu as demandé. Peu importe. Je le sais par ma propre joie dans l’eau. »

Alors que la dernière fois, nous n’avons fait que souligner de façon très nette ce qui séparait ces deux visions du monde, nous voulons aujourd’hui porter notre attention sur certains liens qui relient ces deux conceptions fondamentales, et ce grâce à une idée qui, malgré tous les efforts anti-métaphysiques de la science moderne, apparaît de plus en plus clairement, précisément au cours des cinq ou six dernières décennies, dans la vision mécaniste du monde. C’est la pensée du développement ou, pour le dire crûment, la pensée de l’ascension de l’imparfait vers le plus parfait!

Nous ne nous occuperons de cette idée de développement sous cette forme que la prochaine fois, lorsque nous commencerons à la considérer de manière ésotérique. Pour aujourd’hui, il peut suffire d’indiquer que partout où l’idée de développement apparaît dans les sciences naturelles, elle est discrètement pensée selon l’analogie du développement organique, c’est-à-dire comme le développement ou l’évolution de germes ou d’états germinaux qui portent déjà en eux toutes les conditions de l’avenir, même si elles sont encore méconnaissables parce qu’elles ne sont pas encore réalisées, comme par exemple la plante dans la graine ou comme l’animal dans l’œuf, qui sont déjà contenus comme une forme achevée mais pas encore réalisée. Mais dans la mesure où celle-ci prend son point de départ dans la cellule germinale et s’accroît par la division cellulaire et la différenciation ultérieure jusqu’à l’organisme fini, elle nous offre en pleine visibilité de la réalité extérieure quelque chose qui s’accomplit exactement de la même manière que l’origine conceptuelle de tous les nombres à partir de l’unité par une différenciation et une division continues (pars = partus), comme nous l’avons exposé la dernière fois.

C’est pourquoi la science exacte, pour être conséquente, devrait en fait rayer de son lexique le terme de développement, dont les ressorts doivent rester pour elle une éternelle énigme, et le remplacer par « succession d’états », dont la valeur reste hors de son intérêt. Mais si elle décide vraiment de ne voir dans le fait de l’évolution rien d’autre qu’une simple succession d’états, alors ce terme perd tout son sens.

Malgré toutes ces réflexions, la notion d’évolution continue d’exister et nous montre ainsi toujours le lien profond, même s’il n’est pas avoué, qui existe encore en réalité entre les doctrines exotériques et ésotériques. Car c’est précisément la pensée astronomique de l’évolution du monde, telle qu’elle a été exprimée par Emmanuel Kant et Pierre Simon Laplace, ainsi que le perfectionnement de cette pensée ou sa transposition dans l’organique par Ernst Häckel, qui sont des connaissances ésotériques, vues comme des sciences occultes, revêtues de l’habit du savoir exotérique! Car elles annoncent toutes deux l’unité de toute vie dans ce cosmos.

L’hypothèse cosmogonique de Kant et Laplace plaçait l’origine commune de tout le monde planétaire dans un corps céleste qui comprenait autrefois la totalité de la substance du cosmos solaire, dont l’état actuel nous est connu sous le nom de soleil. Toutes les planètes se sont formées un jour à partir du corps du soleil, soit par la condensation de nœuds individuels dans cette substance, soit par l’éjection de leurs masses le long de l’équateur solaire.

Toutes les planètes, ainsi que notre Terre, sont donc des parties du Soleil, sont son corps, sa substance, et malgré leur éloignement spatial, sont liées à lui, autour duquel elles gravitent selon des lois inviolables, dans des orbites plus ou moins larges. Mais en leur sein, elles portent en héritage la nature solaire.

Or c’est dans la reconnaissance, par la science exotérique, de ce fait que réside déjà ce qui pourrait la réconcilier avec la pensée astrologique.

En effet, dans la mesure où les planètes sont nées du soleil à des intervalles de temps différents, elles portent en elles le patrimoine héréditaire de différents stades de développement de celui-ci. Chacune représente maintenant une de ses tonalités fondamentales particulières, qui détermine la direction de la vie future de la planète. Ainsi, ce qui était l’humeur fondamentale du Soleil lorsqu’il a donné naissance à Saturne, restera comme tonalité fondamentale pour cette planète durant toute sa vie, de même pour Jupiter, Mars – bref toutes les planètes sont conditionnées par leur époque de naissance!

Mais dans la mesure où elles sont toutes frères et sœurs, enfants d’une grande mère, apparentées par l’origine et le sang, la même vie pulse en elles toutes, seulement accordée à des tons fondamentaux différents, selon l’histoire de l’évolution du Soleil lui-même! Et dans le concert des planètes, la Terre ne fait pas exception. La Terre reçoit de ses planètes sœurs plus âgées et plus jeunes des impulsions qui sont comme le résultat de forces qui lui rappellent en partie le passé, et représentent, dans le changement constant de leurs positions ou constellations réciproques, une diversité infinie et toutefois réglée par des lois, dont l’ensemble dessine la grande ligne selon laquelle s’effectue l’évolution terrestre elle-même, qui se transmet à tout ce qui fait partie de la Terre, et finalement aussi à l’être humain.

Et c’est ainsi que nous en arrivons à un deuxième point d’appui que la science actuelle offre à l’astrologie: le concept de constellation, c’est-à-dire la position réciproque des points de force.

Dans une conférence pleine d’esprit, le Dr Otto Bryk (traducteur, entre autres, des œuvres de Johannes Kepler), malheureusement décédé trop tôt, a souligné le fait que cette notion joue un grand rôle dans la chimie actuelle. Il existe de nombreux composés chimiques dont la composition doit être considérée comme identique en ce qui concerne les substances de base et leurs rapports quantitatifs dans la molécule, mais qui sont néanmoins totalement différents les uns des autres sur le plan physique et chimique. De tels composés sont appelés isomères. Il existe par exemple plusieurs composés différents de la même formule C6H4Cl, en fonction de la position différente que les atomes de H et de Cl occupent l’un par rapport à l’autre. Les positions possibles entre le soleil et les planètes sont cependant d’une diversité inépuisable et se répètent certes entre les différents groupes de planètes à des périodes plus ou moins longues, mais jamais dans leur ensemble!

Chaque horoscope, bien que composé uniquement des neuf points de force planétaires actuellement connus1 – Lune, Mercure, Vénus, Soleil, Mars, Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune – représente donc une sorte d’image de constellation isomérique, dont les particularités sont uniques, Chacune d’entre elles fixe un moment éphémère de l’évolution de la Terre en vertu de l’individualisation de l’Homme qu’elle a fait exister à ce moment-là comme témoin durable de sa vie intérieure.

Et de nouveau, la musique, que nous avons déjà décrite la dernière fois comme l’écho terrestre de l’unité cosmique, nous montre en quelque sorte symboliquement comment la constellation et l’évolution se présentent à la pensée ésotérique dans leur action vivante. Car ce qui se passe extérieurement dans la musique, c’est aussi le changement incessant des images de constellation de ses atomes, si nous pouvons nous exprimer ainsi, à savoir des douze tons de la série chromatique, voire même, dans des cas plus simples, des sept tons de la série diatonique. Mais le sens de l’œuvre musicale ne peut être perçu que dans son développement, par lequel se déploie peu à peu ce qui, au début, n’est qu’un germe de tout ce qui est à venir, le motif, imprégné de tous les pressentiments et espoirs non encore réalisés, pour finalement revenir à la fin au but déjà contenu dans le germe.

À chaque phase de ce développement, le déjà accompli s’associe à l’encore inaccompli, le passé au futur, un son naît comme l’accomplissement d’espoirs passés et mûrit en direction de l’avenir, dont la prémonition détermine le sens de son existence éphémère, lui assure la pérennité et l’existence dans le cadre de la cohérence totale.

1 À l’époque où Adler donne ses conférences, les astronomes viennent de déceler dans l’univers Pluton. Il faudra encore attendre une trentaine d’années jusqu’à ce que l’astrologie intègre la planète naine mais ô combien redoutable…

Source: Das Testament der Astrologie, tome 1, Oskar Adler, 1930-38

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