1.1.2. Qu’est-ce que la science ésotérique?

Alors, quelle est cette « science secrète »?

Que signifie son nom et que peut-il nous apporter?

La science ésotérique fut souvent appelée « science occulte » ou encore, comme en allemand, « science secrète ». Ce qualificatif vient non seulement du fait que son contenu était tenu strictement secret et ne pouvait être communiqué qu’aux élus, mais il y a aussi et surtout une autre raison. Ce qui fait de cette connaissance un secret, c’est que la source de la connaissance, doù seule cette connaissance peut provenir, est profondément cachée dans le mystère de l’intériorité de l’Homme lui-même; ce n’est que s’il est possible de déverrouiller cette source, d’en découvrir l’accès secret, que seront révélées pièce après pièce ces connaissances, qui reposent en définitive sur le fait de l’Unicité de tout ce qui existe.

C’est ainsi que cette connaissance doit rester secrète par sa nature même, puisqu’il s’agit de toute façon d’une connaissance immédiate et donc aussi directe, puisque la « connaissance » ne peut être atteinte que par ceux qui sont au moins capables de la reproduire à partir de leur propre source. Les connaissances secrètes communiquées cessent de l’être.

Mais une telle connaissance, tirée d’une pure intériorité, peut-elle prétendre à être scientifique? Quel critère peut-il y avoir pour justifier le fait que tout dans les sciences secrètes n’est qu' »imagination » au sens propre du terme ?

Voyons en quoi consiste l’essence de la science, voire de la scientificité en général! Quelle est la valeur scientifique de la science naturelle exacte elle-même?

Selon Ernst Mach, la connaissance scientifique ne diffère pas de la connaissance quotidienne dans son essence, mais seulement en ce que la connaissance de la science est une connaissance ordonnée, alors que celle de la vie quotidienne est le plus souvent une connaissance désordonnée. La science naturelle est une expérience économiquement ordonnée. Il en va de même pour la science ésotérique. Elle aussi ne se distingue de la connaissance ésotérique quotidienne et ordinaire que par le fait qu’elle représente une connaissance secrète ordonnée. Seulement, l’ordre dont il est question est tout à fait différent de celui pratiqué par les sciences exactes, comme nous le verrons bientôt.

En bref, il existe bel et bien un savoir secret quotidien, ordinaire, qui est tout aussi important, tout aussi répandu, tout autant en possession de chacun que la perception ordinaire des sens.

Cette connaissance secrète quotidienne, ordinaire, qui ne peut surgir que des profondeurs de notre intérieur le plus intime, le plus secret, c’est – la révélation du « Je » en nous, la connaissance du fait de notre ipséité; et cette connaissance, comme toute connaissance secrète, est immédiate et directe! Contrairement au Moi qui repose directement en nous, le monde objectif reste éternellement étranger, perceptible seulement de l’extérieur, et en lui même le « tu » est étranger et à jamais divorcé, sans possibilité d’accès à son « intérieur ».

« Aucun esprit créé ne peut pénétrer l’intérieur de la nature ! Heureux celui à qui elle ne montre que l’enveloppe extérieure. »

enseigne Albrecht von Haller.

Mais ! Si nous pouvions pénétrer à l’intérieur de la nature comme dans notre propre « moi » – alors nous aurions aussi une connaissance de « l’extérieur » comme de nous-mêmes: une connaissance intérieure, secrète, comme cela a toujours été le désir de tous les chercheurs de lumière, le grand désir du Faust de Goethe : « 

si enfin je pouvais connaître tout ce que le monde cache en lui-même, et, sans m’attacher davantage à des mots inutiles, voir ce que la nature contient de secrète énergie et de semences éternelles! »1

Monologue de Faust – Goethe

N’y a-t-il vraiment pas de pont entre l’intérieur et l’extérieur? Alors toutes les connaissances secrètes ne seraient que de l’imagination? Mais il existe un tel pont, un pont d’une telle nature qu’il est toujours prêt pour chacun de nous. Il y a quelque chose qui a la particularité de nous être accessible en même temps à la manière de toutes les choses extérieures et à la manière dont seul notre moi nous est donné. Et cette chose est… notre corps!

Je vois mon corps là, dehors, comme un corps parmi d’autres corps, participant à toutes les régularités physiques telles qu’elles se révèlent à la recherche scientifique, exacte; mais en même temps, ce corps est mon corps, mon corps connecté au Moi, et de tout ce dont la physique ne connaît que l’extérieur, pour autant que cela concerne mon corps, je connais encore l’intérieur, quelque chose qui vit en moi spirituellement et mentalement en même temps. Cela signifie que je connais mon corps d’une manière secrète aussi bien que scientifique.

Si je pouvais maintenant étendre mon corps de telle sorte que tout ce qui est étranger devienne pour ainsi dire une composante de mon corps intérieur, je connaîtrais aussi tous les étrangers qui se trouvent là, alors que je ne connais que moi-même; j’aurais alors un secret – une connaissance ésotérique de tous les étrangers qui se trouvent là, une connaissance qui pourrait être ordonnée de la même manière que la connaissance scientifique naturelle: je serais alors en possession de la science secrète cosmique! Si nous abordons cette pensée, elle peut perdre une grande partie de la qualité fantastique qu’elle affiche au départ. La vie quotidienne en est la limite supérieure – en plus grande abondance qu’il n’y paraît à première vue. Même la perception sensorielle ordinaire est pleine du mystère de la façon dont un extérieur devient un intérieur, comment un intérieur peut se présenter comme un extérieur.

Mais ce n’est pas ce dont nous parlons maintenant. Pensons plutôt, par exemple, à la « peur de l’orage ».

La peur de l’orage n’est pas la peur de l’orage; ce n’est pas l’orage que l’on craint, ni les éclairs ni le feu. L’agitation de la nature à l’extérieur est en même temps une agitation de l’âme en nous, une agitation de la même force élémentaire – l’orage est en même temps à l’extérieur et à l’intérieur.

Ou bien pensons au parfum de la rose! Ce qui est vivant dans la fleur de rose devient en même temps une expérience de parfum en moi, une expérience d’âme dans laquelle je n’ai qu’à me plonger pour ressentir l’essence de la fleur de rose.

Ou bien pensons à ce que nous appelons la compassion: la souffrance d’un autre qui est devenue la nôtre – la connaissance secrète de la souffrance de l’autre! Essayons maintenant de pousser jusqu’au bout cette idée d’une possible connaissance ésotérique de l’univers.

Je vais maintenant reprendre une parabole qui est l’une des plus impressionnantes qui ait jamais été appliquée au problème de la connaissance. Il vient du maître de sagesse indien Rama Krishna.

Il compare le processus de cognition que nous venons de mentionner à ce qui se passe lorsqu’un morceau de sel est jeté dans l’eau, par opposition à ce qui se passe lorsqu’une pierre est jetée dans l’eau.

La pierre est baignée par l’eau, mais elle ne la laisse pas entrer en elle, de sorte qu’elle ne fait qu’effleurer sa surface. Cette eau reste étrangère et à jamais extérieure; la pierre ne peut s’y connecter. C’est une parabole pour la manière scientifiquement exacte de connaître les choses extérieures.

Le grain de sel est différent. Il se dissout dans l’eau, il se marie avec elle, la pénètre jusqu’aux confins, et s’il était l’océan lui-même, il la pénétrerait complètement, ne ferait qu’un avec elle, de sorte qu’on ne pourrait plus distinguer si le sel s’est dissous dans l’eau ou l’eau dans le sel: les deux se sont confondus dans cet acte de marriage. C’est une parabole pour ce type de connaissance que nous avons appelé « ésotérique-secrète ». Le Moi s’est ancré dans le Tout, il s’est élargi de telle sorte qu’il vit maintenant dans le Tout comme dans un corps qui lui est propre. Ce Tout-Corps est alors perçu de la même manière que nous percevons notre corps dans la vie ordinaire, lorsque nous le ressentons intérieurement comme l’accomplissement de l’âme spirituelle de notre Moi.

Essayons de clarifier le fondement de cette pensée à l’aide d’une image géométrique! Considérons le pentagramme, appelé aussi le pied des druides, une ancienne figure mystique (voir Fig. 1). Il est créé en prolongeant les côtés d’un pentagone régulier jusqu’à leurs points d’intersection. Si ces points d’intersection sont reliés entre eux par des lignes droites, un nouveau pentagone est créé à une échelle plus grande; ce processus peut être poursuivi à l’infini: l’étoile à cinq branches croît vers l’extérieur. Mais le même processus peut aussi se dérouler vers l’intérieur.

Fig.1

Si l’on trace les cinq diagonales dans le pentagone initial, on obtient une étoile à cinq branches à une échelle plus petite, qui entoure un autre pentagone dans lequel on peut à nouveau tracer les diagonales, et ainsi de suite jusqu’à l’infini. L’étoile à cinq branches a l’étrange propriété de pouvoir croître vers l’extérieur et vers l’intérieur à l’infini selon ses propres lois, de pouvoir reproduire la croissance extérieure par l’intérieur.

Et maintenant, imaginons plus loin: Le pentagone original serait notre moi ordinaire de tous les jours. Si, par un mystérieux acte mystique d’ouverture de l’ego, nous pouvions faire entrer en nous tout ce qui s’étale autour de nous comme une immense figure, tout comme le grain de sel de la parabole de Rama Krishna fait entrer l’eau en lui-même, il nous suffirait alors de regarder à l’intérieur de nous-mêmes pour le retrouver à l’image de l’extérieur, réduit à l’infini, ou, pour reprendre les mots des anciens, pour retrouver le macrocosme dans le microcosme: le macrocosme dans le microcosme, le grand monde dans le petit – le monde extérieur dans le monde intérieur.

L’ego, une fois que les barrières qui l’emprisonnaient ont été brisées, devient la source de toutes les connaissances secrètes et scientifiques. C’est pourquoi au-dessus de l’entrée du temple d’Apollon à Delphes étaient écrits les mots: « Connais-toi toi-même! » et à l’intérieur du temple, lisible seulement par ceux qui étaient autorisés à y entrer après avoir satisfait à cette exigence, la suite de cette phrase: « Et tu connaîtras Dieu » (Charles W. Leadbeater).

1»Daß ich erkenne, was die Welt

Im Innersten zusammenhält,

Schau’ alle Wirkungskraft und Samen

Und tu’ nicht mehr in Worten kramen.«

Source: Das Testament der Astrologie, tome 1, Oskar Adler, 1930-38

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