2.5.1. La Balance

La Balance, le Signe d’Air cardinal, actif, correspondant à la modalité Rajas, se trouve à l’opposé du Bélier.

L’Homme placé dans le domaine de rayonnement de ce Signe, en tant qu’expression de la pure force de la Balance – nous appellerons cette fiction « l’Homme Balance » – doit se comporter activement dans l’environnement conformément à icelui. Mais alors que l’Homme de la Terre possédait dans son corps matériel l’instrument adéquat pour cet environnement, par lequel il pouvait se relier à la matière de l’environnement, il manque, initialement, à l’Homme Balance – en tant qu’Homme de l’Air – un tel organe; pour ainsi dire: il ne possède pas de « main » pour intervenir dans ce monde. Il doit donc d’abord se créer un tel agent d’intervention en interposant entre lui et cet environnement un organe de commutation qui, comme la main de l’Homme de la Terre, est capable d’agir, le rendant apte à l’intervention intellectuelle. Et cet instrument intellectuel de préhension n’est rien d’autre que ce que nous appelons le « concept » – « la main intellectuelle ». C’est par le « concept » que l’Homme Balance prend possession de ce monde. Par la création des concepts, il parcourt en quelque sorte le terrain étranger et impraticable de la réalité matérielle avec un système de routes et de chemins secondaires, il se crée un chemin à travers les broussailles du désert matériel par la force de la pensée organisatrice. Si l’on pouvait observer cette activité de l’Homme Balance avec l’œil de l’esprit, elle ressemblerait à un travail de pionnier qui est partout à l’œuvre pour ouvrir des chemins et créer des voies de communication afin de se rendre maître d’un territoire auparavant inaccessible. Nous appelons ce processus de préparation des voies « la considération » [die Erwägung]. L’outil de ce travail de pionnier est la pensée organisatrice – les concept inscrits dans les mots. La création de ces mots et sa formation en un système de conceptualités reliées entre eux sous la forme du langage est l’analogue de ce qu’est pour l’Homme de la Terre la mise en place de l’action. Le langage est l’instrument de l’Homme Balance; il lui sert à préparer le chemin; il est l’équivalent intellectu de ce que représente pour l’Homme de la Terre sa propre main. Et de même qu’Aristote a appelé la main « l’instrument de tous les instruments », on peut considérer le langage de l’Homme de l’Air comme son instrument de travail, qu’il met au service de la réalisation d’œuvres d’art.

[255] Si, sur la base de cette constatation, nous essayons de dessiner les caractéristiques de l’Homme Balance et de comprendre psychologiquement sa nature, il nous apparaîtra avant tout que la contrainte à l’action que lui impose le fait d’être placé dans le monde extérieur devient la véritable source principale de toutes les complications que lui réserve la vie terrestre. Ce qui constitue ici le véritable contenu de sa tragédie, ce n’est pas tant le fait d’être obligé de faire, mais la contrainte de devoir terminer le travail de réflexion et de prendre une décision avant d’avoir atteint le but en esprit. La contrainte de la décision est pour l’Homme Balance la source principale de toutes les souffrances. Mais cette souffrance a une forme très particulière, difficilement compréhensible pour l’homme de la Terre. Elle consiste en une sorte d’obligation intérieure de revenir en imagination sur la décision prise trop tôt et passée à l’acte, et de poursuivre la réflexion désormais inutile, comme si l’acte n’avait pas eu lieu (Épiméthée).

C’est pourquoi on voit souvent des personnes de la Balance, lorsque l’entourage les pousse à prendre une décision, faire finalement quelque chose qui heurte toute la sagesse théorique qu’elles ont toujours à portée de main pour conseiller les autres, afin d’éviter seulement le tourment d’être poussées hors de leur démarche intellectuelle. Réfléchir longtemps et faire ensuite le contraire ou laisser la décision à quelqu’un d’autre, c’est le style de la Balance.

Pensée intelligente et action stupide,

C’est ainsi que j’ai passé mes journées dans la vie!

confesse Grillparzer, qui a sans doute eu une forte influence Balance.

L’incapacité à prendre des décisions et l’aversion pour toute intervention dans le monde rude de la réalité ont cependant une raison très profonde, qui va jusqu’à la racine de ce que nous devons considérer comme la véritable destinée de l’Homme Balance, et c’est le degré auquel l’Homme de la Balance est capable de répondre à cette destinée qui détermine s’il est plutôt tourné vers son moi essentiel ou vers son moi existentiel.

Cette mission ne signifie ni plus ni moins que de trouver la médiation entre l’intérieur et l’extérieur, trouver le bon chemin dans l’esprit qui résout de manière harmonieuse la contradiction autrement insoluble entre l’esprit et la matière. Tourner toutes ses forces vers cette solution, telle est la véritable mission de l’Homme Balance. [256] S’y soustraire caractérise l’Homme Balance tourné vers le moi existentiel, le résoudre non seulement pour lui-même mais aussi pour tous les autres, celui tourné vers son moi essentiel.

Si nous pouvions anticiper la solution de cette tâche sur le fantôme, nous verrions apparaître devant nous l’image d’une route militaire, créée par l’esprit de l’Homme Balance tourné vers son moi essentiel, sur laquelle, dans une communauté d’Hommes unis par le même but, tous suivent la même voie, tantôt plus rapidement, tantôt plus lentement, devenant temporairement ou durablement compagnons de route – « la voie droite », comme Lao-tseu appelle justement son œuvre: Tao-Te-King, le Livre de la Voie droite. Lao-tseu, le grand fils de l’Empire du Milieu, qui se trouve sous la domination de la Balance. C’est Lao-tseu, en fait, qui proclame la doctrine de la Balance, Tao étant le mot qui, en chinois, signifie à la fois la voie et la considération ou la pensée qui la crée.

Si nous réfléchissons d’abord à ce qui peut résulter d’une tentative d’éviter sa mission en tant qu’Homme Balance, parce qu’elle signifie déjà une décision, nous arrivons alors à un type d’Homme qui présente aussi les critères de l’artiste, mais dans un sens presque négatif. L’Homme Balance tourné vers son moi existentiel a pour philosophie de vie d’éviter autant que possible toutes les frictions, de chercher un endroit calme et d’adopter une attitude purement attentiste face à la vie; lorsqu’il est contraint d’aller de l’avant, il prend la direction de la moindre résistance, se laissant pousser en toutes circonstances; la commodité est sa principale maxime. On constate ici une grande similitude avec le type du Taureau tourné vers le moi existentiel. Il fuit tout conflit: il suffit de ne pas s’énerver, toute passion est laide – ne rien faire tant qu’on peut remettre les choses à plus tard, surtout savoir attendre, tout passe finalement! À quoi bon s’énerver? Et encore: ne pas prendre parti, ne pas se mêler de ce qui ne nous regarde pas! Et surtout ne pas regarder ce que l’on n’aime pas voir! Le dernier refuge dans la vie est l’alibi moral et intellectuel d’un désintérêt total. Tout n’est que vanité!

Il peut y avoir ici une sorte d’indifférentisme, comme nous l’avons vu dans la caractéristique du type Poissons. Seulement, il ne s’agit pas ici du « tout comprendre » psychique, mais d’une attitude morale qui pourrait être comparée – par analogie avec l’image de la paire d’aiguilles astatiques déjà citée – à l’état d’indifférence de l’instrument de pesée lui-même, qui, dans son impartialité, est bien apte à peser, mais pas à juger et à décider. Il en résulte un état d’inertie morale qui peut même se croire « par-delà le bien et le mal », mais dont l' »au-delà » n’est que l’expression de son indifférentisme éthique total – l’image négative de la justice. Faire triompher cet indifférentisme dans la vie, là où cela est nécessaire, est l’art particulier de l’Homme Balance tourné vers son moi existentiel.

Car lui aussi est un artiste, lui aussi sait, par l’application de ce principe de la Balance, équilibrer tous les litiges, mais surtout les oppositions de principe. Chacun a raison de son point de vue, leur seule erreur est de s’être fixé sur un point de vue. Car comme le fait dire Ferdinand Raimund à son bon vieux Valentin dans Le Gaspilleur:

Au final, personne ne sait rien!

ou comme le dit le vieux Hauderer de Ludwig Anzengruber :

Tout ça n’est que stupidité!

Nous arrivons ainsi à une triade de caractéristiques propres au type de la Balance qui n’a pas encore pris conscience de sa mission: manque de force de décision, fuite devant toute perturbation de l’état d’équilibre, fuite devant le combat. Mais n’oublions pas que pour cette Balance tournée vers son moi existentiel, cette attitude ne constitue que sa philosophie théorique de la vie – qui, lorsqu’il est contraint d’agir, se révèle impuissant à donner une direction à l’action. C’est pourquoi il n’y a guère de Signe où la contradiction entre la manière d’agir et le type de caractère soit aussi fatale que chez la Balance, dont la force Rajas s’épuise dans la défense contre toute contrainte à l’action et dans la lutte pour le maintien de l’équilibre mental.

Si nous opposons à ce type de faiblesse, de mollesse et d’art de l’apaisement l’Homme Balance tourné vers son moi essentiel, dont la mission bien reconnue est de réconcilier le monde intellectuel avec le monde physique, de revêtir la vérité vue dans l‘intellect de l’habit de la Matière, alors seulement apparaît devant nous la véritable force Rajas de l’Élément Air, la force de l’artiste créateur qui sait imposer à la Matière la forme de l’Idée ou de l’archétype.

Pour comprendre cette force, nous voulons ici aussi suivre le chemin que nous avons emprunté à l’occasion du développement du type tourné vers le moi essentiel dans les autres Signes du zodiaque. Nous partons de l’organe qui, dans le corps humain, correspond au champ de rayonnement de la Balance – l’organe du rein, dont la fonction la plus essentielle est la [258] libération du corps des débris physiologiques par la désintoxication du sang. Le rein devient ici effectivement un organe de décision dans le corps, sauf qu’il s’agit d’une décision qui ne peut être prise que lorsque la distinction entre ce qui se trouve dans la direction de la vie constructive – et ce qui la menace et la détruit – est réussie. Le rein ressemble à un tamis vivant ou à un filtre qui élimine tout ce qui est nuisible à l’épanouissement de la vie. La différence avec la fonction intestinale de la Vierge est claire: il ne s’agit pas ici d’apporter de la nourriture au corps, mais seulement de le maintenir pur! Ce qui se passe par le rein dans la vie corporelle ressemble au travail d’un sculpteur qui fait naître la statue de la pierre, en enlevant au burin et au marteau ce qui la « recouvre »; car la forme – la statue – est déjà présente dans la pierre, présente au regard de l’artiste qui a vu son archétype dans son esprit – il doit seulement la libérer du cercueil de la Matière!

Être un tel formateur de vie est la vocation de l’Homme Balance tourné vers son moi essentiel. Le burin et le marteau deviennent des outils spirituels, la statue devient l’image vivante de l’Homme tournée vers son moi essentiel, les déchets de pierre deviennent les débris du développement dont il la libère.

Il lui incombera désormais, à grande et à petite échelle, de maintenir sans cesse vivante l’image idéale de l’Homme spirituel supérieur pour l’humanité – de maintenir ouverte la voie par laquelle les impulsions spirituelles des mondes supérieurs affluent dans les mondes inférieurs, la voie dont il peut être le gardien élu en vertu de sa nature Balance.

Mais quel est ce chemin? Eh bien, c’est le chemin sur lequel se déroule sans cesse le mariage entre le macrocosme et le microcosme – l’échange de forces entre la partie et le tout, ou ce que nous avons appelé la grande respiration, dont le symbole était l’étoile à cinq branches. Si nous nous souvenons encore une fois de ce symbole – l’étoile à cinq branches qui possède la capacité de croître de la même manière vers l’extérieur et vers l’intérieur, dans l’infiniment grand et l’infiniment petit, selon la même loi –, nous avons devant nous, de manière imagée, ce qui est le sens profond de chaque symbole: comprimer dans le petit, dans le compréhensible, ce [259] qu’offre l’univers dans une infinité inconcevable. Cette image comprimée et condensée du grand Tout, les Grecs l’appelaient le symbole, le condensé, la poésie, l’œuvre d’art. Le symbole est comme un talisman offert à l’humanité, un gage de mémoire, afin qu’elle n’oublie pas sa véritable patrie; la mission de la Balance – et de l’artiste – est de le renouveler sans cesse dans sa force ennoblissante. Ce faisant, maintenant que l’Homme Balance a ouvert ce chemin vers la patrie spirituelle et qu’il s’en occupe, il devient en même temps le gardien de toute intériorisation, dont le service est de garder la porte du chemin spirituel – c’est-à-dire de l’initiation au savoir secret.

De même que nous avons pu voir dans le Signe du Bélier, qui s’oppose au Signe de la Balance et qui, comme nous le verrons plus loin, en constitue le complément, le début du zodiaque, parce que c’est de lui qu’est parti le renouvellement de la vie de l’humanité après l’offrande du sacrifice, par la force duquel le cercle, qui se retourne toujours sur lui-même, a été brisé, nous pouvons voir dans le signe de la Balance le chemin vers le renouvellement du moi individuel lui-même, ou le lieu de naissance de l’Homme supérieur, qui s’arrache à l’homme inférieur, qui s’en fait sortir comme par une nouvelle naissance. C’est pourquoi, comme le Signe du Bélier au début du nouveau cercle, le Signe de la Balance se trouve au milieu de celui-ci comme Signe d’un tournant qui n’a pas le caractère d’une rupture, mais du franchissement d’une porte qui libère le regard dans les deux directions et permet ainsi de reconnaître comment tout ce qui est inférieur n’est que l’image imparfaite de ce qui est supérieur. Et comme l’œuvre d’art, offrande de l’Homme franchissant le portail sur l’autel de la vérité, montre deux visages, l’un tourné vers le monde matériel ou la beauté, et l’autre vers le monde spirituel ou la vérité, ainsi nous est révèlé la fonction de la planète Vénus, qui représente le transmetteur des forces du Signe de la Balance, cette double fonction sous une forme que Schiller a décrite avec des mots incomparables, qui nous permettent de voir en toute clarté comment la même Planète, que nous avons déjà rencontrée en tant que Maître du Signe du Taureau, émerge ici dans sa force orientée vers l’avenir:

Qui, une gloire d’Orion

Autour de son visage, dans sa majesté,

Seulement regardés par des démons plus purs,

[260] Dévorant les étoiles,

S’est enfuie sur son trône solaire,

La fertile et magnifique Urania,

Avec la couronne de feu déposée,

Elle est là, devant nous, comme une beauté.

La ceinture de la grâce est nouée,

Elle devient un enfant, pour que les enfants la comprennent.

Ce que nous avons trouvé comme beauté ici,

Nous l’aurons un jour comme vérité.

Urania – Venus Urania, c’est le nom que les Grecs donnaient à la Vénus spirituelle associée à la Balance.

Si nous considérons maintenant le rôle de l’Homme Balance dans la vie pratique, nous le voyons partout à l’œuvre pour servir la beauté, atténuer tout ce qui est rugueux, arrondir ce qui est carré, exhorter partout à la conciliation et, là où la querelle des poings, des passions et des opinions veut troubler la paix des Hommes, montrer comment seul le manque de discernement correct est responsable du fait que l’on s’est écarté de la voie juste ou que l’on n’a pas pu la trouver, laquelle ne peut être que la voie de la plus grande vérité et réalité possibles. Tendre vers cette mesure, la plus grande possible de l’harmonie, est un devoir moral; en faire le critère de son jugement signifie être juste. C’est ainsi que l’Homme Balance parvient, comme l’Homme Capricorne, à un idéal de justice. Mais alors que le Capricorne voyait dans la justice une sorte de norme juridique qui avait son modèle dans la loi physique de l’égalité de l’action et de la réaction, c’est-à-dire qu’elle correspondait en fait à une loi de vengeance, la conception de la justice, telle qu’elle correspond au Signe de la Balance, est orientée vers l’équilibre, c’est-à-dire vers la réalisation d’une compréhension qui élimine les contradictions du monde. Ainsi, nous arrivons ici aussi à une triade d’idéaux: Vérité, Justice et Beauté.

Si nous opposons à nouveau l’Homme Balance tourné vers son moi essentiel à celui tourné vers son moi existentiel, il s’avère que sur ce dernier, dont la mission n’a pas encore mûri jusqu’à sa conscience, repose également quelque chose du reflet de l’Homme plus évolué, et que cela se remarque par le fait qu’il émane de lui aussi quelque chose qui est susceptible de répandre autour de lui une étrange aura de calme et d’apaisement.

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