2.6.3. Le Sagittaire

Nous nous tournons maintenant vers le Signe du Sagittaire, la modalité équilibrante de la Qualité Feu,sagittarius. Ce qui doit être équilibré ici, c’est la force combative expansive de la volonté, qui va à l’infini et qui est toujours tendue à l’extrême, et la force victorieuse, concentrée et consciente d’elle-même, soit la volonté de vivre qui s’affirme.

Pour comprendre ce qui se passe à travers cet équilibrage, nous devons d’abord nous rappeler comment il a eu lieu pour les autres Signes Sattwa. Dans le domaine de la Qualité Terre, le sens de cette compensation était l’obtention d’un principe économique par lequel l’exigence de la plus grande utilité possible avec le moins de travail possible pouvait être satisfaite. L’exigence d’éliminer tout ce qui est superflu et nuisible conduisit à appliquer d’abord ce principe ergonomique à la pensée elle-même et à parvenir ainsi, par le biais d’un trésor d’expériences ordonné de la manière la plus claire possible, aux sciences qui, en tant que sciences naturelles, essayaient d’écouter les lois de la Nature, dont la connaissance devait d’abord rendre le travail de l’Homme lui-même fructueux.

Dans le domaine de l’Eau, l’exigence de l’équilibre entre les deux polarités de la vie de l’Âme, telles qu’elles se présentaient dans la disposition du Cancer et du Scorpion, s’appliquait à l’obtention de son centre de gravité qui seul permettait d’écarter les dangers d’une médialité s’écoulant sans forme et de rendre salutaire la force de la compassion sans limite, obtenue précisément par cette médialité.

Dans le domaine de l’Air, nous avons vu la lutte pour la suprématie entre deux contraires qui, dans leur incompatibilité en tant que patrimoine terrestre et céleste de la nature humaine, ont créé le doute dont le sens était de parvenir, pour la rédemption de toute incertitude spirituelle et de toute division en antithèses de toutes sortes, à l’acquisition d’un centre de gravité « Aérien » (intellectuel, mental) pour la foi, qui seule indique la direction univoque de toute connaissance véritablement spirituelle.

Dans le domaine du Feu, les conditions sont similaires. Si, dans ce domaine le plus élevé de l’être humain, dans lequel la fonction du Moi de l’Homme s’expérimente directement, un équilibre doit s’établir entre les deux polarités de l’expansion (Bélier) et de la volonté concentrique (Lion), cela ne peut se faire, ici aussi, que par une loi par laquelle la volonté s’autorégule et que la volonté se donne à elle-même. or cette loi ne peut être, par essence, qu’une loi éthique et ne peut servir à rien d’autre qu’à l’obtention du centre de gravité éthique. Mais où trouver ce centre de gravité?

Comprenons encore une fois que, comme nous l’avons déjà montré aujourd’hui au début de notre étude, la volonté est le domaine [303] de notre intériorité qui est actuellement encore le moins reconnu dans la conscience et qui est donc si souvent confondu avec la vie instinctive et la vie de désir. La volonté doit donc d’abord être purifiée des scories de cette vie d’instinct et de désir. Il faut en venir à une séparation entre la volonté pure et ce qui, sous l’apparence trompeuse d’être notre volonté morale, n’est en réalité qu’un « vouloir » égaré, capté par l’instinct excessif, échappant à notre domination morale ou n’étant pas encore mûr pour celle-ci. C’est ainsi que naît, au sein de la nature morale de notre être, une dichotomie semblable à celle qui existe au sein de la nature intellectuelle. Le doute mental trouve en effet son reflet dans le doute moral, et la fonction propre du rayonnement du Sagittaire est de résoudre ce doute, d’imprégner notre vouloir faussé par la vie instinctive de la volonté pure qui s’en est détachée, et ainsi de la racheter.

Pour approfondir le problème, nous partirons, comme pour le Signe des Gémeaux, de la figure symbolique du Sagittaire. Nous y voyons un être qui, comme pour le Gémeaux, présente deux figures liées l’une à l’autre, mais qui n’en représentent en réalité qu’une seule: l’Homme ambivalent. Mais alors que les deux figures du Gémeaux sont placées l’une à côté de l’autre comme des frères, dans le symbole du Sagittaire, les deux figures sont placées l’une sur l’autre pour indiquer qu’au lieu de la coordination des contraires encore en lutte dans les Gémeaux, la victoire d’une force sur l’autre est déjà accomplie dans le Sagittaire.

Cet étrange être double qui illustre le Signe de l’archer est la figure du centaure, au premier plan un animal, au second un dieu. Et dans la main de ce dieu, nous voyons l’arc avec la flèche prête à être tirée, à cause de laquelle le centaure a reçu le nom d’archer: Sagittarius. La signification de l’opposition entre l’animal et le dieu n’est pas difficile à comprendre – les deux figures indiquent la série d’ancêtres terrestres et célestes de l’Homme, le stade animal et le stade divin, entre lesquels se trouve le stade actuel de développement du dieu-embryon-Homme sur Terre. Mais que signifient l’arc et la flèche?

Réfléchissons à ce qui se passe lorsque la flèche est tirée d’un arc tendu. L’arc tendu est un symbole de ce que l’énergie potentielle possède comme force accumulée au sens de l’observation physique de la nature, au moment où [304] elle est sur le point de se décharger; mais la flèche tirée est le symbole de l’énergie in statu nascendi mise au monde par la décharge, devenue actuelle. Ce qui se passe ici ressemble effectivement à un acte de naissance, et c’est dans ce sens que les anciens ont mis l’arc et la flèche dans les mains d’Artémis, la déesse de la naissance, comme symbole de la natura naturans, la nature toujours prête à enfanter, que les Grecs appelaient pour la même raison physis, c’est-à-dire la « bulle » prête à éclater. Est-il encore étonnant que le dieu solaire Apollon porte lui aussi un arc et des flèches – le génie du Soleil, dont les rayons, pleins d’énergies actuelles, tout juste nées, continuent, comme des flèches fermées, de frapper la Terre? La flèche décochée devient ainsi le symbole de la transformation de l’énergie potentielle en énergie cinétique.

Mais l’image du centaure nous en dit plus sur la nature de cette transformation – car les flèches tirées ne quittent pas l’arc tendu à l’aveuglette, sous la contrainte d’une « nécessité » brute et sans discernement. Elles sont orientées vers un but – ce n’est pas une nécessité aveugle, c’est l' »archer » qui les tire en pensant au but.

La transformation qui s’opère ainsi n’est donc pas une simple transformation physique, mais une transformation alchimique – la force motrice de toute évolution supérieure, la transformation de l’inférieur en supérieur: de l’animal en dieu. Mais pour que cela soit possible, il faut qu’il y ait une mesure indicative qui détermine clairement le haut et le bas ou la direction vers le haut. Or ce que l’on entend par cette exigence s’exprime clairement dans l’organe qui, dans le corps humain, représente l’équivalent du rayonnement du Sagittaire: la hanche.

Les hanches sont les organes du corps dans lesquels s’effectue l’élévation, c’est-à-dire le redressement de l’Homme – la posture verticale qui le distingue de l’animal.

L’Homme, distingué des autres animaux dont la tête est inclinée vers la terre, put contempler les astres et fixer ses regards sublimes dans les cieux. Ainsi la matière, auparavant informe et stérile, prit la figure de l’Homme, jusqu’alors inconnue à l’univers.

Ovide, Métamorphoses, Livre I.

Mais ce redressement extérieur du corps n’est que l’élévation intérieure [305], passée dans le symbolisme de l’apparence physique de l’Homme, dans le sens du bas vers le haut – de l’animal vers l’Homme. Cette élévation doit cependant être conquise, arrachée à l’animal, qui doit être « surmonté », amené à mourir, afin que naisse le « niveau supérieur » de l’Homme. Ne ressemblons-nous pas à l’image d’un cavalier qui domine parfaitement l’animal, de sorte que celui-ci a intégré sa volonté dans sa vie instinctive, ne sachant pas que c’est la volonté de l’être supérieur auquel il obéit, mais la devinant et ne faisant ainsi qu’un avec le cavalier lui-même – dont il est l’instrument choisi?

Nous pouvons maintenant comprendre que de même que l’animal, guidé par la volonté de l’Homme, n’a d’abord accueilli celle-ci en lui que comme un instinct incompris, se transformant ainsi en instrument docile de l’Homme, de même l’Homme se transforme lui-même en instrument de ce qui est supérieur à lui, lorsqu’il accueille lui aussi la volonté de ce dernier, qui seule lui donne la force de se diriger vers le haut, le portant au-dessus de lui-même, vers Dieu.

Mais de même que la monture transforme inconsciemment la volonté de l’Homme en instinct, de même l’Homme intègre consciemment en lui le commandement de la volonté supérieure, reconnaissant que ce qu’il gagne en lui en surmontant l’animal ressemble à un trophée de victoire qu’il peut désormais ramener chez lui comme la loi qui détermine désormais son centre de gravité moral: la « loi morale au-dessus de moi » – l’autre côté, ésotérique, de la loi naturelle.

Cette loi morale est d’une autre nature que celle que nous avons déjà rencontrée dans le Signe de la Vierge, qui se rapportait essentiellement à l’ordre social ou aux relations d’Homme à Homme. Il s’agit ici d’une loi qui ne régit pas la cohabitation entre les Hommes, mais l’intégration de la volonté humaine dans un monde supérieur, ce qui la fait passer d’une loi sociale à une loi religieuse. L’Homme soumis au rayonnement du Sagittaire n’agit pas en fonction d’un principe reconnu comme opportun dans le sens de l’économie sociale, mais en raison de l’union du « moi » avec la volonté divine, ressentie au plus profond de lui-même.

Ce qui se présente de cette manière dans la connaissance de l’Homme n’y vit pas comme une loi scientifiquement reconnue, mais comme une impulsion venant des mondes supérieurs. L’impératif moral qui en découle, nous pouvons désormais le désigner comme l’intuition religieuse du Sagittaire, qui lui confère sa dignité propre en tant que Signe du zodiaque: non seulement connaître le but – [306] c’est-à-dire se voir placé comme lien responsable entre l’instinct naturel et sa transformation dans le vouloir humain, mais aussi se présenter comme protecteur1 – comme patron de tous ceux qui ne sont pas encore aussi avancés que lui.

Si nous devons maintenant présenter la mission du Sagittaire, nous ne pouvons pas mieux le faire qu’à travers le 27e chapitre de Lao-Tseu, qui décrit ainsi l’ordre divin-humain:

Le fort doit donc guider le faible,

car les faibles sont la matière première des forts.

Si le guide n’est pas respecté,

ou si le matériel n’est pas soigné,

la confusion s’installe, quelle que soit l’intelligence de chacun.

27e chapitre de Lao-Tseu

Le respect vers le haut et l’amour vers le bas sont les deux principes alchimiques de base du développement supérieur. Les caractéristiques du Sagittaire tourné soit vers son moi essentiel soit vers son moi existentiel, tel que nous le voyons dans la vie, ressortent clairement de ce qui précède. Retenons que la particularité de tous les êtres humains qui représentent le pur rayonnement du Sagittaire est d’avoir part à « l’intuition religieuse ». Mais l’usage que l’individu fait de ce don crée ici les différences essentielles qui peuvent être attribuées au fait que les forces directrices du respect et de l’amour ne sont pas reconnues. C’est ainsi qu’apparaît la caractéristique la plus marquante de la nature du Sagittaire attiré vers son moi existentiel: l’arrogance morale. Le Sagittaire tourné vers le moi existentiel est ainsi rempli de l’opinion qu’il a raison dans tous les domaines éthiques. Il devient l’arbitre le plus souvent malvenu dans tous les litiges imaginables. On le voit juger sans ménagement les erreurs des autres avec un excès de zèle étonnant, alors que, d’un autre côté, il est rempli d’une ferveur enthousiaste envers celui en qui il voit la perfection, se fiant dans les deux cas à son intuition infaillible et faisant preuve d’une intolérance et d’une dureté rigides. C’est sur un tel terrain que se développent ces fanatiques religieux qui « n’ont pas l’amour » (comme le Brand d’Henrik Ibsen), qui sacrifient le sens du principe éthique au nom de celui-ci. Le sagittaire de bas étage ne doute jamais d’être habilité à donner la loi morale aux autres, ou du moins à la prêcher.

Mais comme la sévérité envers les autres ne doit pas s’arrêter à sa propre personne, il en résulte assez souvent une étrange variété du [307] type Sagittaire, dont les représentants, sans saisir le sens de la loi éthique, en deviennent cependant les impitoyables dépositaires et ainsi, au lieu de mûrir par cette loi vers la liberté, s’abaissent de plus en plus en esclaves de leurs propres maximes. De telles personnes commencent à vivre elles-mêmes selon les principes qu’elles prêchent aux autres – elles ne reçoivent plus de première main les lois éthiques de leur conduite de vie; elles deviennent des « principistes » qui ont perdu l’intuition éthique directe. C’est peut-être la caractéristique la plus essentielle de ces personnes que de chercher un substitut à la force vivante perdue de l’intuition religieuse en s’accrochant à ce qui, dans la vie pratique, correspond par exemple au rituel dans le service religieux – au cérémonial au sens le plus large du terme. Ils deviennent des Hommes attaché au formalisme, des Hommes qui tiennent particulièrement au respect du cérémonial de toutes les formes dites de politesse. Le Sagittaire tourné vers le moi existentiel est un adepte du rituel et des cérémonies, qui doivent justement servir de substitut à la norme morale intérieure qui n’est plus clairement ressentie. Dans le domaine spirituel, ce fait se reflète dans une métamorphose similaire qui fait naître de la force de foi du Sagittaire tourné vers son moi essentiel la superstition qui imprègne tous les actes de la vie, sans laquelle il ne peut pas vivre, car elle doit remplacer pour lui ce que sa foi est pour le Sagittaire tourné vers son moi essentiel.

Mais ce qui caractérise les deux types, c’est l’exigence d’une loi qui maintienne la hiérarchie dans laquelle l’idée de subordination et de supériorité morales apparaît garantie. De même que la plante est au-dessus de la pierre, l’animal au-dessus de la plante et l’Homme au-dessus de tous les règnes inférieurs qu’il réunit en lui, de même la moralité en l’Homme devrait régner en maître sur le corps, sur toutes les émotions de l’âme et même sur les pensées en tant que juge suprême. Ainsi, ce que l’on appelle la discipline du corps, en tant qu’exercice infatigable, tel qu’il est connu et hautement apprécié comme sport corporel, serait tout aussi important que la maîtrise des passions et des pensées, dont la valeur de vérité – en tant que dernière pierre de touche – doit être amenée devant le forum de la conscience éthique: ne peut être vrai que ce qui ne contredit pas les principes éthiques!

Il n’est plus nécessaire de dresser le portrait du Sagittaire tourné vers son moi essentiel avec autant de détails. C’est par sa vie et son action, dans les grandes comme dans les petites choses, que le cérémonial s’établit et s’élève dans le monde, non pas en tant que simple forme, mais en tant que force vivante qui, comme la forme humaine érigée elle-même, montre le chemin de bas en haut selon la maxime de Lao-Tseu. Le respect pour ce qui est reconnu comme supérieur, l’amour pour l’outil constituent l’incarnation de toute religiosité véritable, et c’est par elle que le Sagittaire est porté et l’apporte partout vers les autres. C’est ce qui le rend apte à être non seulement prêtre, mais aussi prophète, parce qu’en contemplant cet ordre véritablement hiérarchique dans son imagination fécondée par la foi, il anticipe déjà ce qui doit arriver pour tous les autres qui sont inclus dans cet ordre. Et c’est de là que lui vient sa véritable mission: le don et le devoir de communiquer aux autres son élan intérieur, de laisser sa force se répandre dans les âmes des autres comme un fluide guérisseur et fortifiant ou, pour le dire en un mot, de bénir le don et le devoir, et d’accomplir ainsi ce que seul le « vainqueur » est capable de faire.

La Planète qui transmet le rayonnement du Sagittaire est Jupiter, qui est aussi le maître du Signe des Poissons. Sans anticiper sur le contenu du prochain épisode, précisons brièvement que ce planificateur, désigné par les Anciens du nom de leur dieu suprême, le père des dieux et des Hommes, transmet toutes les aides qui peuvent être apportées à l’Homme dans sa lutte pour l’ascension, donc avant tout les forces de la bénédiction, de la bénédiction qui « vient d’en haut ». Mais alors que dans les Poissons, cette force de bénédiction naît d’une sorte d’effacement du passé, elle coule ici de la foi en l’idéal du niveau de développement futur, qui tend pour ainsi dire sa main secourable d’en haut, la tend avec amour à quiconque est prêt à la saisir avec foi et respect.

1 En allemand, « Sagittaire » se dit Schütze, soit le « protecteur.

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