Le Carême
Quelle attitude exige de nous le CARÊME?
Sous nos latitudes, le Carême raisonne avec le printemps, car il est nécessairement observé à cette saison de l’année, qui est aussi le moment de la préparation de la fête de Pâques. Cette période de préparation a tendance à durer quarante jours, et comme elle est devenue une saison pénitentielle, il a été estimé que les dimanches, qui sont toujours joyeux en commémoration de la Résurrection, ne pouvaient pas être inclus; de sorte que le premier jour du Carême, communément appelé mercredi des Cendres, est en fait quarante-six jours avant Pâques. Cette journée a été affublée de ce nom curieux en raison d’une coutume médiévale pittoresque qui consistait à étaler à cette occasion des cendres sur le front pour en signe d’affliction pour avoir péché – une coutume héritée des anciens Juifs. Aujourd’hui encore, dans les églises romaines, les branches de palmier sanctifiées, qui ont été conservées le dimanche de l’année précédente, sont brûlées le mercredi des Cendres, et le prêtre, trempant son pouce dans les cendres, en fait une croix sur le front de chaque membre de sa congrégation avant d’égrener la messe. Cette coutume n’a pas été conservée dans l’Église catholique libérale, car elle n’est pas en harmonie avec l’attitude prônée par celle-ci dans cette affaire.
L’idée actuelle d’observer les quarante jours du Carême était inconnue dans l’Église primitive. Tout a commencé par une célébration de quarante heures – non de quarante jours. Il a été calculé que le Christ – ou plutôt Son corps – reposa dans le sépulcre pendant environ quarante heures, et de nombreux chrétiens sérieux ont pensé qu’il convenait d’observer ce temps comme un temps de jeûne. À l’époque, le jeûne signifiait probablement se priver totalement de nourriture; mais lorsque l’idée a été étendue à quarante jours, en harmonie avec le prétendu jeûne de quarante jours dans le désert, cela a naturellement commencé à être une chose bien différente, et simplement à être une abstinence de certains types de nourriture, ou se retenir de manger aussi pleinement qu’à d’autres saisons. Aujourd’hui, il s’agit généralement d’une abstinence de viande, mais même dans ce cas, il existe de nombreuses dérogations.
De plus, le jeûne a été observé à des degrés divers. Pendant longtemps, la première et la dernière semaines, ainsi que celle du milieu ont été considérées comme celle pendant laquelle on était convié au jeûne, au contraire de la période intermédiaire, de sorte que l’ensemble n’a pas été soutenu par une forte tradition apostolique ou originelle, mais n’est qu’une simple coutume parmi d’autres qui ont pu grandir dans l’Église. On en est venu à considéré cette période comme un temps d’examen de conscience et de contrition. Dans l’Église catholique libérale, l’attitude est quelque peu différente à cet égard. Cette saison n’y est pas considérée comme un temps de chagrin, mais comme un temps de préparation à la puissante fête de Pâques, et nous savons que nous ne pouvons pas célébrer cette grande fête correctement et en tirer le bénéfice que l’Église veut que nous obtenions, à moins que nous ne nous soyons bien préparés, comme nous sommes tenus de le faire en cette saison. Ce n’est pas un temps de contrition, mais le moment de se secouer pour nous libérer du péché. Assurément, nous regrettons nos péchés et nous souhaitons devenir parfaits, mais nous pensons (parce que nous savons quelque chose de scientifique sur le pouvoir et l’effet de la pensée) qu’il est conseillé de ne pas s’attarder sur les péchés et de s’en lamenter, mais simplement de prendre une courte et forte résolution de ne plus faire cette chose particulière, puis de mettre la pensée de côté. Comme l’a dit un jour un grand Maître: « La seule repentance qui vaille la peine est la résolution de ne pas recommencer« , cela est vrai, c’est le bon sens et c’est la meilleure façon, selon nous, d’aborder ces questions.
En ce qui concerne le jeûne physique, libre à chacun de le pratiquer, mais rappelons que l’ascétisme en soi n’a aucune valeur. La vieille idée à ce sujet, antérieure à l’époque chrétienne, suggérait que les dieux étaient jaloux de la bonne fortune ou du bonheur des Hommes, et que l’Homme qui se rendait volontairement malheureux pouvait espérer échapper ce faisant à crise de jalousie. On en vint à penser que la mortification du corps, l’abstinence de toute forme de plaisir, était en elle-même agréable à Dieu. Cette idée est fortement présente dans le christianisme des premiers temps, et tout au long du Moyen-Âge; on considérait en effet l’austérité et les tortures de toutes sortes étaient en soi de bonnes choses. Or, il est certain qu’en soi, ce ne sont pas de bonnes choses. Dans une manuscrit bien plus ancien que tous les nôtres, Dieu parle de ceux qui « Me torturent dans leur corps », ne réalisant pas que celui-ci fait également partie de Dieu, et cette souffrance auto-infligée à la gloire, soi-disant, de Dieu ne Lui plaît en aucune façon. On a également eu vent de cette autre théorie selon laquelle en s’infligeant une douleur, celui qui se mortifie échapperait – en l’anticipant – à une partie de la punition qui sinon leur tomberait dessus. Ce sont là les tourments d’esprits submergés par le sentiment d’avoir fait toutes sortes de mauvaises choses qui vont nécessairement se traduire dans des souffrance sous une forme ou une autre, et qu’en s’autopunissant ici immédiatement, ils vont peut-être pouvoir échapper à la punition de Dieu dans l’avenir.
Tout cela est, bien sûr, assez étranger à une façon saine et sensée de voir les choses. Que nous vivions sous une puissante et tout à fait juste loi de cause à effet, personne qui étudie la nature ne peut en douter, et le Seigneur nous a prévenu: « La vengeance est mienne; je rachèterai. » C’est-à-dire que, dans le cours normal de la nature, chaque Homme recevra selon ce qu’il a fait, que ce soit mal ou bien, et il n’y a pas d’échappatoire à cela: « Ne vous y trompez pas, on ne se moque pas de Dieu; tout ce qu’un Homme sème, il le moissonnera aussi. »
Nous ne pensons donc pas qu’il y ait de mérite particulier à se priver de nourriture. Il y a ceux qui ont une trop grande estime pour la nourriture et la boisson; il y a les gloutons, les buveurs de vin, les ivrognes, et pour ces personnes, il est certainement bon, non seulement pendant le Carême, mais aussi à tout moment, de s’arrêter, et d’être sain d’esprit et sage dans leur façon de manger et de boire – bref, comme pour tout le reste, il s’agit de savoir proportion garder! Certes, à considérer le problème de l’obésité dans les sociétés où on a confiné les gens pour les empêcher de faire du sport et de prendre le soleil, sans toutefois fermer les centres de malbouffe responsables des cas à risques par rapport au covide pour les gens âgés de moins de 85 ans, revenir à la pratique du jeûne pourrait être aujourd’hui une aide pour rouvrir les canaux bouchés vers la saine spiritualité. En particulier pour les personnes qui ne sont pas affectés à des travaux physiques, tels les bûcherons, ceux qui construisent nos routes ou évacuent nos poubelles.
Ce qui doit être clair cependant, c’est que qu’aucune forme d’auto-mortification que ce soit ne saurait être agréable à Dieu en tant que telle. Si nous avons commis des erreurs, si nous avons péché (comme nous l’avons tous fait), la seule chose qui Lui plaise est que notre réel effort pour ne pas recommencer! Nous ne devons pas perdre notre temps et notre force à être désolés, mais nous devons prendre la ferme résolution d’éviter cette faiblesse pour l’avenir. Même si nous tombons mille fois, nous devons nous relever, gagner la millième-et-unième fois et continuer. La même raison de réessayer demeure après notre millième échec qu’après notre premier.
Encore un autre point. Autrefois, beaucoup de gens pensaient qu’en jeûnant, ils pouvaient acquérir des pouvoirs spirituels et des visions. Nous savons que les personnes qui meurent de faim ont souvent des visions de différentes sortes. Il est certain que lorsque le corps physique est défaillant, le corps astral et les autres corps supérieurs prennent plus d’importance; ainsi, se laisser mourir de faim jusqu’au seuil de la mort pourrait être une méthode pour développer des facultés supérieures? Cela est tout à fait faux, car pour qu’une telle faculté puisse être vraiment utile, celui qui la possède doit être en parfaite santé. Cultiver une parfaite santé physique et un équilibre parfait entre les différents corps est le plus sûr moyen d’accéder aux facultés supérieures! Se mettre dans un état pathologique n’est jamais la bonne voie pour un véritable avancement.
On notera encore que la plupart des hymnes, généralement utilisés pendant le carême, sont souvent plein de sang, de misère et de crissements, et de références à la damnation éternelle. Ainsi, une telle ode est non seulement ridicule, mais elle est aussi nauséabonde:
Miséricorde, bon Seigneur, pitié je demande!
Ceci est mon humble prière;
Par pitié, Seigneur, pour tous mes péchés,
que Ta miséricorde m’épargne.
Si seulement les gens se rendaient compte à quel point ce genre de choses doit être fatigant pour la divinité, ils seraient peut-être moins sycophantes!
Pourquoi devrions-nous adopter cette attitude à l’égard d’un Père aimant? Ces hymnes blasphématoires sont plein de cris de miséricorde, Le suppliant d’attendre un moment avant de détruire Ses enfants pour toujours! Pensez ce que cela vous ferait d’avoir un enfant vous implorant dans une telle attitude; peut-être alors commencez-vous à voir un peu combien nous donnons inutilement du fil à retordre à Dieu et au Père de nous tous. Si seulement nous Lui faisions confiance, tellement plus pourrait être accompli; et nos progrès seraient tellement plus rapides!
Toute cette cruauté, cette terreur et cette peur était peut-être approprié sous le régime du sauvage et sanguinaire Jéhovah juif, mais tout cela est tout à fait déplacé dans la religion établie par le Christ, qui est venu prêcher un Père aimant. Pourquoi ne pouvons-nous pas oublier les interprétations erronées de la race juive et faire confiance à notre propre chef, qui nous dit que Dieu est Amour, dont le seul désir pour nous est que nous soyons un avec Lui, tout comme Il est un avec le Père? »L’amour parfait chasse la peur. »
Ainsi, les hymnes chantés pendant le Carême dans notre Église devraient être ceux qui nous suggèrent ce qu’il faut faire, et nous indiquent l’attitude dans laquelle nous devrions nous mettre pour tirer le plus grand profit de ce qui est à venir. L’idée de jeûner pour plaire à Dieu ou pour acquérir une plus grande spiritualité est une notion erronée; mais si quelqu’un sent qu’il est bon pour lui de faire un jeûne, nous ne saurions bien sûr l’en dissuader – nous pourrions même l’encourager s’il comprend bien ce qu’il est en train de faire. En effet, Dieu, qui nous a donné notre intellect et notre bon sens, attend de nous que nous utilisions ce bon sens dans la religion comme dans la vie quotidienne.
L’idée de l’auto-examen est bonne et nécessaire. Mais là encore, nous devons être sain d’esprit et prudents, sinon cela dégénérera en une introspection morbide et nous passerons tout notre temps à mettre la machine en pièces au lieu d’aller de l’avant et de faire le travail. Nous sommes ici pour servir Dieu, et nous Lui rendons le meilleur service lorsque nous sommes des instruments parfaits entre Ses mains. C’est pourquoi il nous appartient, lorsque nous connaissons des points faibles dans notre armure, de nous efforcer de les renforcer; il nous appartient de nous examiner jusqu’à voir en quoi nous sommes défaillants et de nous efforcer résolument de ne pas l’être à nouveau. Il est bon qu’une certaine saison de l’année soit réservée à cette fin; non pas que nous ne devions pas toujours être vigilants face aux faiblesses et aux défaillances, mais c’est surtout maintenant qu’il faut le faire, car le Carême est une préparation à la grande fête de Pâques.
C’est à cette occasion en effet que se produit la plus grande effusion de puissance divine de toute l’année chrétienne. Pour en profiter, pour en faire le meilleur usage possible, nous devons certainement nous préparer, et c’est pourquoi cette période du Carême est organisée de manière à ce que nous fassions, en quelque sorte, le point sur nous-mêmes. Ayant découvert nos points faibles, mettons-nous au travail avec une volonté de fer, car ce n’est que lorsque nous aurons vaincu ces faiblesses que nous pourrons observer pleinement la grande fête de Pâques comme il se doit, et en tirer tout ce que nous devrions en tirer. Un grand écrivain écrivit, trop grandiloquent et sûr de lui: « Tout Homme peut faire une erreur, mais celui qui fait deux fois la même erreur est un imbécile. » Nous faisons tous ces erreurs, tous sans exception, aussi bons sommes-nous ou essayons rigoureusement de l’être, parce que nous sommes encore des êtres humains et pas encore de grands saints. Souvent, nous les faisons encore et encore, jour après jour. Il serait insensé de se laisser abattre à ce sujet et de considérer cela comme une preuve d’une horrible dépravation. Le langage extravagant qui est souvent utilisé dans ce genre de cas est tout à fait déplacé, trompeur et déshonorant pour l’Homme et pour Dieu. Nous sommes loin d’être parfaits, et il est certain que nous ferons encore des erreurs pendant longtemps, mais il est bien sûr de notre devoir d’essayer d’en faire le moins possible. La perfection de l’âme dans l’Homme est comme la croissance lente d’un grand arbre – c’est quelque chose qui ne peut être atteint sur le moment, ni en un jour, un mois ou un an; il peut falloir de nombreuses vies comme celle que nous vivons actuellement pour l’atteindre.
Puisque nous faisons tous des erreurs, il serait naturel que nous soyons doux, charitables, prêts à excuser lorsque nous voyons des erreurs similaires chez les autres. Malheureusement, ce n’est pas notre habitude. La raison principale est que, sous la puissante Loi de Dieu, l’Homme évolue lentement et que le stade actuel de son évolution est le développement de ce que l’on appelle le « mental inférieur » – c’est-à-dire sa faculté de discernement. Or nous apprenons à discerner les choses par leurs différences; c’est pourquoi nous assistons à un tel développement de l’intellect dans le domaine de la technoscience à ce stade particulier de l’histoire du monde. L’idée que nous nous faisons de la critique consiste à se jeter sur les défauts de toute chose. Mais cela est tout à fait faux, car « critique » vient du mot grec kritein, qui signifie « juger », de sorte que « critique » a vraiment la même signification que « judiciaire »; mais nous ne l’utilisons pas ainsi. En règle générale, la critique cherche à dénoncer la faute, parce que nous sommes à ce stade où c’est la chose naturelle à faire. La faculté critique se forme en nous; d’autant plus qu’elle est nécessaire. Mais nous devons nous garder d’en abuser et de critiquer trop facilement. Nous ne pouvons pas nous empêcher de voir les erreurs que les autres commettent; soyons dès lors aussi prompts à reconnaître les nôtres! Et dans tous les cas, il est de notre devoir d’être critiques au sens propre (c’est-à-dire judiciaire) et de ne pas prendre de décision sur ce qu’un autre Homme fait ou dit tant que nous ne savons pas tout et que nous n’avons pas toutes les preuves devant nous.
Ce n’est pas la coutume du monde, mais cela devrait être notre coutume, et nous devons essayer de le faire. Nous devons apprendre à ne pas attribuer des motifs à d’autres personnes. Celui qui a développé la faculté de clairvoyance est surpris de voir que les raisons pour lesquelles les gens font des choses ne sont presque jamais celles qu’il leur aurait auparavant attribués.
Cela étant, il serait sûrement sage et digne que nous suspendions notre jugement et en disions le moins possible là où nous ne pouvons pas approuver. Si l’on devait prononcer un jugement, on dirait : « Je n’approuve pas telle ou telle chose que cet Homme a fait ou qu’il a dite, mais je ne doute pas qu’il ait ses propres raisons pour la ligne qu’il adopte, et ce n’est pas à moi de le condamner. Je ne sais pas quelles peuvent être ses difficultés ou ses tentations, et en tout cas il ne m’appartient pas de le juger ».
Nous devons juger avec une clarté de cristal les choses que nous faisons ou disons nous-mêmes. Là aussi, nous n’avons pas toujours tous les faits devant nous, mais nous sommes tenus de décider et d’agir en fonction des faits qui nous sont présentés, et il est de notre devoir de choisir ce qui est juste, dans la mesure où nous pouvons le voir. Nous devons cependant toujours nous rappeler avec humilité que ce que nous pensons être le mieux n’est peut-être pas du tout ce qu’indique le droit abstrait, et nous pouvons très bien prendre à cœur le conseil donné par le célèbre Dr South: « Suivez votre conscience par tous les moyens; mais prenez garde que votre conscience n’est pas celle d’un fou. » Nous devons nous en tenir à ce que nous sentons être juste, mais nous devons toujours être prêts à écouter et à apprendre. Nous devons surtout essayer de comprendre que d’autres personnes ont aussi une conscience et essaient de faire ce qui est juste, même si elles ne sont pas du tout d’accord avec nous. Des centaines et des centaines de personnes que nous avons peut-être mal jugées sont tout aussi désireuses de faire ce qui est juste que nous le sommes nous-mêmes. Il n’est pas normal que nous nous fassions une opinion sur ce que nous ne comprenons pas et que nous leur attribuions un motif indigne alors que la vérité est que nous ne savons rien du tout sur le sujet.
Saint Pierre aurait dit: « Que celui qui veut voir des jours heureux s’abstienne de parler du mal, et que ses lèvres ne disent pas de bêtises »; il est donc préférable de parler le moins possible des autres, à moins d’avoir quelque chose de bon à dire. Considérez ce qui est bon, et louez les autres pour de telles actions – la raison en est que lorsque nous parlons et pensons à une autre personne, la force de notre pensée agit sur cette personne. Si un Homme a fait une bonne chose, et que nous la considérons comme une bonne chose et sommes heureux qu’il l’ait fait, notre bonne pensée joue sur lui et renforce cette vertu, et l’encourage à agir de nouveau correctement. Si un Homme a fait une erreur et que nous pensons du mal de lui pour cela, nous intensifions ainsi ce mal. La mauvaise pensée de notre part joue sur lui, et s’il a vraiment fait cette erreur, nous le rendons plus susceptible de la répéter. Nous jouons le rôle d’un tentateur pour cet Homme, simplement par notre pensée.
Ceux qui n’ont pas lu sur ces choses ne connaissent pas l’immense masse de preuves de l’action de la pensée sur la vie des autres. Que celui qui en doute se mette à l’étude. J’ai passé quarante ans à étudier ces questions, et je peux vous dire que la force de la pensée est une chose très réelle et très puissante; et si vous pouviez voir comment elle agit, vous feriez très attention à ce que vous pensez des autres.
La belle prière que nous utilisons tous les jours pendant le Carême est digne d’attention: « Préviens-nous, Seigneur, dans tout ce que nous faisons avec Ta très gracieuse faveur… ». Je suppose que plus de la moitié, probablement les trois quarts des personnes qui entendent ces mots ne savent pas ce qu’ils signifient. Le mot prévenir a pris, ces derniers temps, un sens tout à fait différent de celui qu’il avait au moment de la soi-disant Réforme, lorsque cette prière a été traduite du latin. Beaucoup d’entre nous connaissent suffisamment le latin pour savoir que venio signifie « je viens », et que pre signifie « avant ». Pré-venir veut donc dire « venir avant ». Nous pouvons voir qu’un Homme peut passer avant un autre pour diverses raisons. Il peut se présenter devant lui pour se mettre en travers de son chemin et l’empêcher de faire quelque chose, ce qui est le sens moderne du mot. On peut aussi voir qu’un Homme peut venir avant un autre pour préparer le chemin de ce dernier, pour lui faciliter la tâche. C’est la signification médiévale du mot prevenir, et c’est ce qu’il signifie dans ce recueil lorsque nous disons: « Préviens-nous, Seigneur, dans toutes nos actions ». Précède-nous dans toutes nos actions pendant cette période de Carême avec Ta bienveillante faveur, afin que, sous cette influence, ces actions puissent être ce que Tu désires qu’elles soient, c’est-à-dire celles qui méritent cette faveur et non pas celles qui en seraient honteuses. C’est le sens de ces mots, et c’est précisément l’idée: « Que Dieu soit avec nous pendant tout ce temps de Carême, afin que nos pieds ne s’écartent pas du chemin, que nos paroles et nos pensées ne soient pas offensantes. »
Dieu est en effet toujours avec nous, alors peut-être pouvons-nous ajouter une autre nuance de sens et dire: « Que nous puissions, pendant cette période de Carême, réaliser que Dieu est avec nous et qu’Il (utilisant en cet instant l’autre sens du mot) nous empêche de faire le mal, qu’Il nous précède pour qu’aucun mal ne nous arrive. Nous demandons non seulement que Sa pensée nous précède jusqu’au bout, afin que nous ne fassions pas le mal, mais aussi que nous soyons encouragés, poussés, aidés par Son aide continue, afin que nous puissions faire le bien de manière active. Le premier souhait – « que nous ne fassions pas le mal » – est passif; le second est positif, « que nous devons absolument essayer de faire le bien tout au long de cette saison ».
Alors, nous donnons notre raison: « Puisse cela être accompli dans toutes nos œuvres, commencées, poursuivies et terminées en Toi, et qu’ainsi nous puissions glorifier Ton saint Nom. » Cette ainsi que notre prière prend fin. L’original latin va un peu plus loin et ajoute encore une autre supplique: « Et enfin, par ta miséricorde, que nous atteignons la vie éternelle » Nous l’omettons parce que nous savons que cette demande n’est pas nécessaire. Chacun d’entre nous atteindra finalement la vie éternelle; chacun d’entre nous atteindra la fin glorieuse que Dieu destine à toute l’humanité. Lorsque les Hommes parlent du Christ comme du Sauveur du monde et qu’ils affirment qu’il sauvera environ une personne sur un million, ils jettent un grave déshonneur sur Lui. Si le Christ est le Sauveur du monde – et nous l’admettons pleinement (non pas qu’Il le sauve d’une damnation imaginaire, mais qu’Il le sauve de l’erreur et de l’ignorance en le conduisant dans la vérité pleine et entière) – alors il l’est du monde entier et de chaque créature qui s’y trouve. Il n’y a rien qui puisse échouer, rien qui puisse opposer sa volonté à la puissante volonté de Dieu que nous appelons l’évolution.
Nous n’avons donc pas besoin de prier pour que « finalement, par Sa miséricorde, nous puissions atteindre la vie éternelle ».
Tout ce qui nous vient, c’est par sa grâce, et par son amour bienveillant, ce qui est peut-être le vrai sens de ce mot de miséricorde. Si nous sommes prêts à reconnaître cela, nous n’avons pas besoin de L’insulter en lui demandant de faire ce qu’il a déjà déterminé dans ses conseils éternels. Souvenons-nous de cette prière, et de son rappel de la Présence de Dieu avec nous tout le temps, avant, pendant et après notre action; de sorte que toutes nos œuvres, quelles qu’elles soient, qu’elles soient bonnes ou mauvaises, commencent, continuent et se terminent en Lui. En nous souvenant de cela, nous ne pourrons plus faire des œuvres qui ne sont pas bonnes, car sans cesse nous nous efforcerons de nous élever au niveau de cette merveilleuse faveur que constitue l’éternelle Présence du Divin. C’est avant tout une Présence éclairante de la gloire de Dieu qui brille sur chaque action et chaque pensée. Si nous pouvons en être digne pendant toute la durée du Carême, combien Pâques sera glorieuse pour nous! Cette grande fête sera en effet une époque marquante dans la vie de chacun d’entre nous si nous pouvons réaliser l’esprit de la prière du Carême tout au long des quarante jours! Dieu est avec nous tout le temps; nous n’avons qu’à nous en souvenir; Il se tient toujours derrière Son peuple. Si cette pensée demeure dans notre esprit pendant le Carême, Pâques sera pour nous une saison de gloire, de bonheur et de santé spirituelle inimaginables.
L’ensemble des services du Carême a pour but de nous aider dans le travail de guérison de nos défauts. La couleur même du violet que l’Église utilise n’est pas choisie au hasard; elle est choisie en raison du caractère perçant et purificateur de ses vibrations. Autrefois, tout l’édifice était décoré avec la couleur du jour, et pas seulement l’autel et les officiants. L’idée était que dans une atmosphère imprégnée de lumière violette, ce travail de purification serait un peu plus facile.
Toutes ces choses sont scientifiques si nous les comprenons; mais le sens de ce rituel a été obtenu, et il est considéré comme une sorte de décret de l’Église, et peu de gens savent pourquoi il a été ordonné. Il y a une véritable raison à cela, et il existe des livres à ce sujet pour ceux qui sont intéressés. Symboliquement, cette période indique la quatrième des étapes du développement de l’Homme; car le Carême fait partie de la préparation à la bonne célébration de cette grande Initiation à Pâques. C’est le sens symbolique de cette initiation; mais elle a aussi une application pratique et quotidienne dans nos vies.
LES DIMANCHES EN CARÊME
Dans le recueil « Épître et Évangile du premier dimanche de carême », la nécessité d’un examen de conscience est soulignée.
C’est l’un des nombreux malentendus qui se sont glissés dans la tradition chrétienne et qui nous amènent à prendre le mot « foi » de façon erronée. Il a dégénéré en une chose purement mécanique – l’idée d’une foi en la naissance du Christ à un certain moment et la foi qu’Il est le Sauveur du monde et que nous n’avons qu’à nous accrocher à ces deux faits « pour » nous en sortir d’une manière ou d’une autre. Ce n’est pas le moins du monde ce que l’on entendait par la foi aux premiers jours de l’Église. La foi est certainement une croyance forte, mais c’est une croyance qui a sa raison d’être. Nous acceptons certaines choses parce qu’elles nous semblent raisonnables, parce qu’elles nous semblent être l’hypothèse la plus probable là où nous ne pouvons pas avoir de certitude absolue. De la même manière, notre foi doit être fondée sur la raison, et elle doit être telle qu’elle nous amène à agir en fonction de celle-ci. Il ne sert à rien de prétendre croire une chose alors que nous agissons tout le temps comme si nous n’y croyions pas. Notre foi en ces matières supérieures doit être aussi absolue que notre foi dans le fait que l’eau bouillante nous brûle ou qu’une barre chauffée au rouge nous brûle. Nous croyons à ces choses, et nous y croyons suffisamment fermement pour éviter que nos mains n’entrent en contact avec l’eau bouillante et ne s’approchent de la barre rouge. C’est une foi qui vaut quelque chose; mais une foi qui est simplement en l’air et qui ne mène à aucun résultat est une très mauvaise chose; cela ne mérite tout simplement pas le nom de foi.
Lorsque l’auteur de cette épître dit: « Veillez à être dans la foi », il veut dire très clairement: « Veillez à ce que votre foi soit l’enseignement du Christ et qu’elle soit raisonnable dans son sens. » Les gens ont certaines croyances et ils s’y accrochent sans aucune raison. On peut leur montrer très clairement qu’il n’y a pas de raison réelle à la croyance qu’ils ont, mais ils ne peuvent pas s’en démettre; d’une certaine manière, elle est ancrée en eux et elle y reste. Or, la plupart de ces superstitions sont désobligeantes pour la gloire et l’amour de Dieu. L’effroyable superstition d’un enfer éternel, par exemple, a peut-être fait plus de mal dans le monde que toute autre idée. Elle est absolument sans fondement; c’est de la superstition dans la définition la plus claire du mot. Le dictionnaire donne à la superstition le sens de « faux et insensé ». Si jamais il y a eu dans ce monde une croyance fausse et insensée, c’est bien cette croyance en l’existence de l’enfer. Elle provient en grande partie de l’ignorance, de la mauvaise traduction de certains mots et d’une mauvaise compréhension de ce que notre Seigneur voulait dire lorsqu’il a fait certaines déclarations; mais elle influence encore les pensées de millions de personnes. Si l’un d’entre nous possède encore un fragment de cette superstition, qu’il relise le livre de Samuel Cox, Salvator Mundi. Il l’acceptera sans doute comme étant absolument fiable, car l’Homme était un bon érudit; et il verra alors exactement ce que le Christ a voulu dire lorsqu’il a prononcé certaines paroles qui ont été tordues en cette horrible doctrine de l’enfer.
La religion a souvent flotté dans les airs, demeurant impraticable et sur le plan physique et insaisissable sur le plan intellectuel. Les gens emploient et jonglent avec quantité de ritournelles, en les opposant les unes aux autres; pourtant, aucune d’entre elles n’a un fait solide derrière elle. C’est là que nous nous sommes si souvent trompés, et c’est pourquoi la religion a perdu son emprise sur les gens qui réfléchissent, parce qu’ils ont le sentiment que les choses dont parle la religion en général ne sont pas factuelles, n’ont pas de bases réelles. Nous devons garder les pieds sur le socle des faits, aussi loin que nous puissions aller dans nos spéculations dans le domaine de la métaphysique. Si nous n’avons pas cette base factuelle, le tout est sans fondement et sans espoir.
La foi est l’un de ces termes qui ne sont en réalité que des contreparties intellectuelles. Les gens parlent d’avoir la foi, et ils ne peuvent pas la définir avec certitude. Ce qu’ils veulent dire, s’ils veulent dire quelque chose, c’est qu’ils ont la foi dans le fait que le Christ est mort sur la croix. Pourtant, Il n’est pas mort sur la croix, car les dates sont fausses, et au moment où le corps de Jésus a été mis à mort, les Romains n’avaient pas encore occupé Jérusalem, et donc la punition romaine de la crucifixion n’a pas été pratiquée. Tout cela n’est qu’un beau mythe, un drame des Mystères qui a été dégradé et déformé en une histoire de vie physique, et les gens qui ont fait cela se sont mis à l’étroit de façon désespérée, de sorte qu’il est extrêmement difficile aujourd’hui de leur faire comprendre un sens supérieur et plus beau.
Une autre ritournelle est le mot « salut ». Les gens en parlent et jonglent avec cette idée, et si l’on essaie de la rattacher à des faits, ils semblent généralement signifier le salut d’un enfer imaginaire. La doctrine de l’enfer n’a aucun fondement, et il n’est donc pas nécessaire d’en être sauvé. Toute cette idée est un malentendu des plus regrettables et des plus désastreux. Certains d’entre eux nous disent: « Avez-vous trouvé le salut ? » ou, comme ils le disent: « Êtes-vous sauvés? » Quelle est la réponse d’une personne sensée? On peut seulement dire: « Dans le sens où tu utilises le mot, je ne le reconnais pas du tout. Il n’a pas de sens; mais si tu dis: « Sommes-nous sauvés de notre propre erreur et de notre propre ignorance… », alors tu ne peux pas répondre. Je réponds que nous sommes en train d’être sauvés par la connaissance que nous acquérons en nous rapprochant du Christ au cours de notre évolution », « Avez-vous trouvé Jésus? » s’écrie un enthousiaste hystérique dans la rue. Quelle réponse peut-on donner? Nous en savons probablement beaucoup plus sur notre Seigneur Jésus que la personne qui pose cette question stupide; et il est tout à fait incapable de saisir la vérité. Pourtant, l’enquête est bien intentionnée; le pauvre croit vraiment qu’il est en possession d’un fait que nous ne connaissons pas, et que notre possession de ce fait assurerait notre bonheur dans l’avenir. C’est une théorie étrange, impensable pour quiconque sait penser. Mais voilà, les gens utilisent ces mots, effacent la foi et le fait d’être sauvé, mais ils n’y attachent aucune idée défendable. Leur idée est de celles qui peuvent être mises en pièces en deux minutes d’argumentation.
Le péché est un autre mot avec lequel les gens jonglent. Ils parlent du péché originel, ils disent qu’un petit bébé vient au monde maudit à jamais parce que Adam a mangé une pomme qu’Eve lui aurait donnée. Personne n’a jamais essayé de vérifier cette histoire, mais ils en font dépendre la sentence la plus épouvantable. Tout cela est sans fondement; quand nous en cherchons un, tout cela flotte dans l’air; tout cela ne veut rien dire du tout. La croyance en de telles absurdités n’est pas de la foi, c’est une croyance absolument irrationnelle, c’est une simple stupidité.
Cette idée de péché a été érigée en une sorte de terrible malédiction à laquelle les hommes ne peuvent échapper qu’avec une incroyable difficulté. Il n’y a rien de tel en ce monde. Nous évoluons tous, et certains d’entre nous, je l’admets volontiers, évoluent lentement; dans le cadre de cette lente évolution, nous faisons des erreurs, nous faisons des choses que nous ne devrions pas faire. Nous pouvons appeler ces erreurs des péchés si nous le voulons. C’est un mot que j’évite, car il a des connotations si horribles. Ensuite, on nous dit que nous devons avoir la conviction du péché et sentir que nous sommes des vers et non des Hommes, ce qui est vraiment déshonorant pour Dieu. Lorsque nous commettons une mauvaise action et que nous regardons en arrière pour la reconnaître, nous nous sentons plutôt petits et nous réalisons que nous aurions dû en savoir beaucoup mieux que cela. Il est tout à fait salutaire pour nous de le penser un instant, car cela peut nous aider à ne pas refaire la même erreur, mais l’idée d’ériger cette erreur en un cauchemar effrayant, en l’étiquetant comme un péché mortel en disant que nous devons être condamnés pour cela, est non seulement inutile mais aussi hypocrite. Personne de normal ne se sent jamais désespérément mauvais; s’il le fait, il est dans l’erreur et a besoin de l’aide et du soutien de quelqu’un qui le connaît mieux. Le Christ est en chacun de nous, même si nous sommes pécheurs, et ce Christ en nous est notre espoir de gloire, et c’est par ce moyen que nous sortirons de cette condition d’erreur que nous appelons péché pour devenir une condition de justice où de tels dérapages sont rares.
Les gens parlent du pardon des péchés et en font un fétiche. La théorie du pardon des péchés communément admise semble être quelque chose comme l’effacement de l’écriture sur une ardoise. Nous avons mal agi, nous n’avons qu’à dire que nous sommes désolés et croire en Jésus, et tout est effacé. Je ne vais pas dire que je souhaite que cela se fasse aussi facilement que cela, car si c’était le cas, les lois de l’univers seraient bouleversées. Il y a une loi absolue de cause à effet, et personne ne peut faire le mal sans en subir les conséquences, sans avoir à l’expier dans le sens de le compenser autant qu’il le peut. La vérité qui sous-tend l’absolution n’est pas que notre péché est oublié, mais que la distorsion qui se produit en nous mettant dans l’erreur peut être redressée et corrigée par nous.
Avez-vous déjà pensé à l’étrangeté de la doctrine du pardon des péchés telle qu’on l’expose habituellement? La personne demande à Dieu de lui pardonner, et s’attend à ce qu’Il le fasse. Supposons qu’il n’ait pas demandé à Dieu? La suggestion est qu’Il lui en veuille. Est-ce une chose que nous avons le droit de dire contre notre Père qui nous aime? Nous ne tenons pas rigueur à un petit enfant parce qu’il ne nous a pas demandé de lui pardonner. Nous ne pouvons pas être aussi méchants que cela. Nous devrions probablement dire: « Pauvre petit gars, j’ose dire qu’il est désolé pour l’heure, j’espère qu’il ne recommencera pas », et nous devrions essayer d’arranger les choses pour qu’il ne le fasse pas. L’idée que Dieu nous en veuille et qu’il faille lui demander pardon est un outrage à la paternité de Dieu.
Ensuite, les gens parlent de « la peur de Dieu », et c’est très triste. Toute l’idée de la peur de Dieu est une horreur qui devrait être chassée. Ne nous a-t-on pas dit d’aimer Dieu et que Dieu est Amour; que l’amour parfait chasse la crainte? Lorsque les gens parlent d’un Homme qui craint Dieu, ils pensent probablement à divers textes de la bible dans lesquels le mot grec theosebeia a été traduit par « crainte de Dieu ». La véritable signification est une profonde révérence pour Dieu. Dans le passage: « La crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse »; je suis tout à fait d’accord avec la substitution de crainte par révérence; nous sommes loin d’être sages, mais dire que nous devons craindre le Père aimant est un scandale; c’est une mauvaise utilisation du terme. Le Christ nous a enseigné que Dieu est un Père aimant.
De la même façon, la « grâce de Dieu » est déformée. Ils y sont plus proches des faits, mais si nous essayons de traiter leurs notions scientifiquement, les gens se lèvent dans leur colère et disent que nous blasphémons, que nous matérialisons l’idée. La grâce de Dieu est un formidable pouvoir spirituel dans le même sens précis que les forces physiques sont des pouvoirs, mais il agit dans la matière fine. C’est une force mesurable, une force qui peut plus ou moins se déverser sur nous. ce n’est pas la mode d’être scientifique en matière de religion, mais il est nécessaire que nous soyons scientifiques; il est temps que nous nous interrogions sur notre foi et que nous essayions de savoir ce que nous croyons et pourquoi, et que nous basions notre croyance. Nous sommes appelés à obéir et à suivre notre Seigneur le Christ, mais ce n’est pas par crainte de Lui ou des conséquences si nous ne le suivons pas; c’est l’amour du Christ qui nous contraint, comme nous le dit l’Épître du premier dimanche de Carême. C’est à cause de notre amour et de notre gratitude envers Lui que nous devons Le suivre, et que nous devons nous efforcer de lui ressembler. Voilà notre raison – non pas la peur mais l’amour.
Les autres dimanches de carême, nous reprenons quelques-unes des erreurs que nous commettons souvent: la mauvaise pensée et la mauvaise parole, les commérages, l’erreur de l’orgueil. Faisons donc nôtre l’idée du Carême, examinons-nous et corrigeons tout ce qui est faux; ainsi nous pourrons profiter pleinement de cette puissante effusion de la Résurrection – ainsi nous pourrons profiter d’une heureuse Pâque dans le vrai sens de l’ancienne salutation pour le jour de Pâques; ainsi le Christ ressuscitera dans nos cœurs et dans le monde extérieur.
Dimanche des rafraîchisssements
Le quatrième dimanche de carême est généralement appelé « dimanche des rafraîchissements », un nom qui lui a été donné au Moyen-Âge pour deux raisons. Premièrement, parce qu’il s’agit du point central du Carême – la mi-carême, comme on l’appelle en français, et qu’il était donc d’usage de permettre une certaine amélioration des rigueurs du jeûne. Une autre raison qui explique ce nom provient de l’Évangile désigné pour ce jour – l’Évangile qui raconte l’histoire de l’alimentation des cinq mille Hommes avec cinq pains d’orge et deux petits poissons. Que cette histoire soit historiquement exacte ou non ne nous concerne pas. Ce n’est pas une impossibilité, cela a été fait en Inde par des professeurs d’une tout autre foi. Il s’agit simplement d’une question de matérialisation – de multiplication de la matière. C’est peut-être arrivé en Palestine – et cela n’a pas vraiment d’importance. En tout cas, c’est un beau symbole de la façon dont le Christ nourrit Son peuple avec un pain vivant qui, si petit soit-il, est suffisant pour tous.
Le Quatrième Dimanche de Carême est l’un des deux jours de l’année où l’on porte les beaux vêtements roses, pour nous donner l’atmosphère de cet amour tendre et universel qui doit être la qualité centrale de toute notre préparation à la réception de la grâce divine. Beaucoup de gens qui ne comprennent pas, qui n’ont pas pris la peine d’étudier, ou dont la manière d’étudier n’est pas adéquate, sont disposés à se plaindre de la disposition de l’Église, des vêtements que portent ses ministres, de l’ordre de son année et de ses services, etc. Ils ne se rendent pas compte qu’il existe une science de toutes ces choses, et que chacune d’elles est calculée pour produire un effet précis. Ils ne devraient pas, cependant, commettre l’erreur de considérer chacun comme ayant la même disposition qu’eux. Ce n’est pas sans raison que le violet est utilisé pendant le Carême, et le blanc à Pâques. Tout cela fait partie d’un schéma; c’est une question de taux vibratoire, et de l’influence qui est souhaitée pour rayonner. Certains sont beaucoup plus sensibles que d’autres à toutes ces choses; il y a ceux qui en sont impatients, et il y a aussi ceux sur lesquels toutes ces influences ont un effet, et ils trouvent donc que les services de l’Église les aident. Ils s’adaptent merveilleusement à leurs humeurs, et les élèvent. C’est exactement ce qui a été calculé et voulu.
En ces temps de développement de l’esprit inférieur, nos sentiments sont quelque peu en suspens. Au Moyen-Âge, lorsque les gens ne développaient pas l’esprit inférieur de la même manière, leurs sentiments étaient beaucoup plus importants, et ils ressentaient davantage ces influences. Que nous ressentions ces choses individuellement ou non, il y en a des milliers qui le font, et il est ridicule que les hommes qui ne comprennent pas une ligne particulière condamnent les autres qui la comprennent et la trouvent utile. Nous ne pouvons pas tous suivre le même chemin; certains vont d’un côté et d’autres de de l’autre, et ces chemins vers Dieu sont comme autant de langues dans lesquelles nous pouvons exprimer la même chose de différentes manières. C’est peut-être notre façon de nous exprimer par la dévotion; c’est peut-être la façon qu’a un autre Homme d’exprimer le plus haut et le meilleur de lui-même par une pensée profonde, par le développement de la sagesse. Un autre encore peut se développer au mieux par un travail extérieur, par l’activité. Tous sont des chemins, et ils mènent tous à Dieu. Pourquoi un Homme qui a trouvé l’un d’entre eux devrait-il en insulter d’autres qui ne font pas exactement ce qu’il fait, mais vont dans une autre direction? Dieu inspire tout cela, et Dieu les reçoit tous en Lui-même, et peu importe par quel chemin les Hommes s’approchent de Lui tant qu’ils s’en approchent.
Les dimanches de la fin du Carême ont chacun un nom propre. Le cinquième dimanche s’appelle le dimanche de la Passion, et il y a spécialement pour lui un hymne romain magnifique, le Vexilla Regis prodeunt, « Les bannières royales avancent, la croix brille d’un éclat mystique ». Pour les tenants de ce que le grand docteur Origène appelait le point de vue somatique de la chrétienté, la célébration du Carême s’assombrit progressivement vers sa terrible fin. La semaine qui suit ce cinquième dimanche s’appelle la Semaine de la Passion, puis nous arrivons au dimanche suivant, le dimanche des Rameaux, qui est précède Pâques, avec ensuite la Semaine Sainte au cours de laquelle se déroulent le Jeudi Saint [Maundy Thursday =litt. « Jeudi Maudit »] ]et le Vendredi Saint.
SEMAINE SAINTE
Dans l’Église catholique libérale, chacun est parfaitement libre de prendre les vieilles histoires comme il l’entend, littéralement ou symboliquement; cela n’a pas la moindre importance, bien que le clergé ait des opinions bien définies à ce sujet. Les gens vont à l’église pour être aidés, et nous essayons, par les sacrements que le Christ a ordonnés, d’apporter l’aide nécessaire. Ce qu’ils croient est leur affaire et non la nôtre, et c’est la seule base d’une parfaite liberté de pensée. Que l’Église catholique libérale donne à tous ses membres sans hésitation et sans poser de questions.
Nos frères chrétiens d’autres branches de l’Église font de cette période de la Passion et de la Résurrection la commémoration de terribles souffrances physiques; et ils lisent le récit détaillé des souffrances du Christ, s’attardant sur les détails macabres afin d’éveiller chez les gens des sentiments de pitié, de dévotion et de gratitude envers le Christ qui a tant souffert pour eux. Nous savons, grâce à des enquêtes de clairvoyance, que ces événements ne sont pas historiques, et c’est pourquoi, à travers les âges, une grande partie de la sympathie et de la pitié les plus profondes a été déversée sur un rêve concernant une chose qui, comme on le comprend généralement, ne s’est pas produite du tout, car le corps du disciple Jésus a été tué par lapidation, et non par crucifixion. Il n’est pas facile pour nous de dire si, dans l’ensemble, cette histoire a fait plus de mal que de bien. Je ne peux qu’estimer qu’elle est responsable d’une grande partie du mal; mais d’un autre côté, je constate que la légende était à sa manière une noble légende, et que beaucoup ont pu être aidés et ainsi en bénéficier.
Pourtant, la vérité est certainement plus noble et bien plus belle, car tout ceci est un splendide morceau d’allégorie. La souffrance, la croix, la passion, la mort, l’enterrement, la résurrection, tout cela est le symbole de ce qui se passe lors de la quatrième des grandes Initiations, celle de l’Arhat. Je ne nie pas le moins du monde, je ne souhaite pas minimiser un instant la souffrance et la crucifixion qui font partie de cette grande étape; pas de souffrance physique vraiment, mais néanmoins réelle et terrible. Mais lorsque nous comprendrons ce que cela signifie, nous considérerons cette souffrance d’un point de vue très différent. Elle est assez vraie, elle est assez terrible, et elle viendra à chacun de nous comme elle est venue en son temps au Christ lui-même. Souvenez-vous de ce que notre hymne nous dit:
Et sur la Sainte-Croix, le Christ est pendu mais en vain,
À moins que dans nos cœurs il soit à nouveau mis en place.
Mais nous devrions certainement nous pencher sur cette question, tout comme nos soldats se sont penchés sur l’horreur de la grande guerre. Il serait difficile pour nous d’exagérer: évaluer, ou même imaginer, les horreurs par lesquelles les Hommes ont dû se rendre sur le front; pourtant ils n’ont pas souligné ces horreurs; ils les ont prises comme faisant partie du travail du jour, comme faisant partie d’un terrible devoir qui devait être accompli. Ils pensaient toujours à la fin pour laquelle ils se battaient: la délivrance du monde des armées du mal, la paix, le bonheur, la liberté que ce combat devait apporter. Aussi, lorsque nous nous tournons vers l’avenir, à travers cette période de célébration de la Passion, vers la grande Initiation à travers laquelle nous devrons un jour passer comme tous les autres, tout en connaissant la souffrance, nous la considérerons certainement comme une joie au regard de la gloire et de la splendeur. C’est pour cela que nous l’osons, que nous la rencontrons. Ce n’est pas pour nous plaindre des souffrances personnelles ou pour exagérer les horreurs, mais plutôt pour la regarder du point de vue du bien du monde.
C’est certainement de cette façon que nous tirerons le plus grand profit de la contemplation de la pensée de la Passion et de la Crucifixion. Non pas qu’elles soient moins réelles pour nous lorsque nous en donnons l’interprétation spirituelle, car nous savons que, que la mort et la résurrection aient eu lieu ou non littéralement en Palestine dans cette incarnation du Christ, elles ont lieu dans la vie de tout Homme chrétien, et c’est ce qui nous concerne, non pas l’événement particulier qui se produit dans le temps, mais le passage perpétuel de l’humanité développée à travers ces différentes étapes. Ces choses sont des faits; ils ont lieu dans l’évolution humaine, ordonnés par la sagesse insondable de Dieu; il est donc bon que nous les considérions non pas sous l’angle de l’horreur et de la souffrance, mais en nous rappelant la gloire qui se cache derrière et le sens profond de tout cela.
Je me souviens qu’enfant, on m’a enseigné ce qu’on devait considérer comme la séquence des événements commémorés au cours de cette Semaine Sainte – qui est le point culminant et la conclusion du Carême. On m’a expliqué que l’excitation populaire et l’acclamation du dimanche de Pâque étaient le résultat direct et immédiat du réveil de Lazare le jour précédent. Il m’a semblé (et me semble toujours) que les nécessités de l’histoire exigent un intervalle un peu plus long entre ces deux événements; mais ce n’est peut-être là qu’un autre exemple de la caractéristique qui est si importante dans le Mystère des évangiles: l’ensemble de la présentation n’est pas celui d’un récit continu, mais d’un certain nombre de scènes séparées destinées à être jouées. En tout cas, ceux d’entre nous qui connaissent un tant soit peu la nature des races orientales peuvent facilement comprendre le mouvement de commotion et l’enthousiasme que susciterait la résurrection de Lazare; nous pouvons imaginer comment les gens des villages voisins se presseraient à Béthanie et attendraient avec impatience la chance de voir Jésus ou Lazare.
C’est ainsi qu’ils attendaient tous de Le voir ce dimanche matin quand il est entré en ville; et dès qu’il est apparu, ils ont tous commencé à l’acclamer. Ils se sont rassemblés autour de Lui, ils ont fait une sorte de procession pour l’escorter, ils ont arraché de grandes feuilles de palmier des arbres pour Le saluer sur son passage, et dès que l’idée leur est venue que c’était un grand saint, un grand prophète, ils ont enlevé leurs vêtements extérieurs pour les jeter sur Son chemin – pas seulement pour Lui faire honneur, mais aussi pour que ces vêtements soient bénis par le contact des pieds du Grand Seigneur, et même par les pieds de l’âne sur lequel Il chevauchait. Pour nous, c’est une action étrange et exagérée, mais c’est tout à fait naturel pour un oriental. Bien sûr, nous ne devons pas penser à nos horribles vêtements modernes, mais aux robes flottantes de l’Orient – le tissu extérieur en forme de châle qui est jeté autour des épaules. J’ai vu la même chose se produire devant un saint musulman qui avait la réputation d’être exceptionnellement sage; et à deux reprises au moins, le même honneur m’a été rendu lorsque j’ai donné une conférence qui a particulièrement touché l’enthousiasme religieux d’un public oriental.
Alors, Jésus a fait son chemin, au centre d’une foule bruyante et gesticulante. Naturellement, les gens couraient de tous côtés, demandant ce qui se passait, et lorsqu’on leur disait : « C’est Jésus, le prophète de Nazareth, qui a ressuscité Lazare d’entre les morts », ils se joignaient à la procession et criaient avec les autres. Les Juifs ont toujours eu la réputation d’être un peuple turbulent et émeutier, et lorsque leurs autorités ont vu cette foule immense et excitée s’approcher de la ville, elles se sont alarmées et ont ordonné à leurs soldats de sortir, craignant le début d’une révolution. Et même lorsqu’ils ont été rassurés pour un moment, leurs esprits étaient encore troublés, et ils se sont consultés pour décider de ce qui devait être fait de Jésus. Ils ont estimé qu’Il devenait trop populaire, qu’Il avait une influence beaucoup trop grande sur les gens – une influence qui pourrait facilement être utilisée (et qui avait d’ailleurs dans une certaine mesure déjà été utilisée) en opposition à la leur, de sorte qu’ils craignaient le renversement de leur autorité. Ils estimaient également que quiconque bousculait les conventions décentes de la vie ordinaire par une innovation révolutionnaire telle que la résurrection d’un homme mort était une personne dangereuse, qui devait être immédiatement réprimée de peur de perturber encore davantage le courant tranquille de respectabilité qui les avait conduits à des positions de richesse et de pouvoir. Ainsi, ils complotèrent pour son renvoi par le simple processus d’un meurtre judiciaire.
Sa petite procession désordonnée mais enthousiaste atteint la ville, et Il se dirige vers la synagogue et commence à parler aux gens, comme Il en a l’habitude. Il semble avoir passé beaucoup de temps de cette manière pendant les lundi et mardi; en fait, près de la moitié de Ses discours qui nous sont connus auraient été prononcés ces deux jours-là. Il était en quelque sorte un héros populaire, non seulement en raison de ce qu’Il avait fait dans l’affaire Lazare, mais aussi parce qu’Il ne craignait pas le parti au pouvoir et qu’il le dénonçait de manière cinglante; les autorités ont donc eu peur de procéder ouvertement à son arrestation, de peur de provoquer un sauvetage par la foule. Il semble qu’elles aient jugé nécessaire d’agir rapidement, car d’énormes foules d’ardents pèlerins excités affluaient chaque jour dans la ville pour préparer la grande fête annuel de la Pâque juive; ils laissèrent donc la rumeur se répandre qu’ils étaient prêts à payer un bon prix à toute personne qui arrangerait une occasion commode pour Sa capture secrète et rapide. Cela suscita la cupidité de Judas Iscariote, qui était le trésorier de la petite communauté péripatétique, et il s’attira le mépris et la répugnance d’innombrables sectateurs en trahissant son Maître et en l’offrant entre les mains de cette administration peu recommandable. Cette scène de racaille a été concocté le mercredi, et on nous a dit que c’était à cause de la honte apportée à l’humanité par cette action atroce que l’Église d’Angleterre ordonne que sa litanie lugubre soit récitée ce jour-là, le mercredi en horreur de la trahison du Christ, et le vendredi à cause de sa mort. On ne nous a pas expliqué pourquoi cette lugubre litanie devait également être attribuée au dimanche, sauf si l’on part de la théorie selon laquelle ce n’est que ce jour-là qu’un nombre suffisant de personnes pourraient être déprimées par son étrange enchevêtrement de servilité et de morosité.
Le jeudi est toujours considéré et célébré comme le jour de l’institution de la Sainte Eucharistie, bien que de nombreux étudiants considèrent que, si l’on tient compte des différents événements mentionnés dans le récit, il doit être postérieur à minuit lorsque cette institution a eu lieu, et donc vraiment le Vendredi Saint matin. Selon les calculs des Juifs, il s’agissait certainement du vendredi, car l’hébreu comptait ses jours du coucher du soleil au coucher du soleil. J’ai expliqué dans un précédent volume de cette série (« La science des sacrements ») que le merveilleux changement qui se produit dans les éléments sacrés par l’acte de conscription ne peut être réalisé qu’entre minuit et midi – un fait qui plaide en faveur de l’ancienne tradition qui place l’institution après minuit. Quoi qu’il en soit, le jeudi est communément associé au Saint Sacrement, de sorte que si une église n’a qu’un seul office de nuit en semaine, c’est généralement ce jour-là.
Le nom Jeudi Saint [Maundy Thursday] est une corruption du latin mandatum, qui est le premier mot de l’antienne spécifique de ce jour. Il signifie « commandement » et se réfère non seulement au nouveau commandement « que nous nous aimons les uns les autres », mais aussi à l’ordre donné pour la première fois ce jour-là, il y a deux mille ans: « Fais ceci en mémoire de Moi ».
Selon l’évangile, de nombreux événements se sont déroulés dans cette nuit fatidique entre le jeudi et le vendredi: la visite du jardin de Gethsémani, la trahison proprement dite (ce qui a été mémorisé le mercredi était le complot pour la trahison), la mise en accusation devant le Sanhédrin, devant Pilate et devant Hérode, et la condamnation finale. Bien sûr, il est manifestement impossible de faire une histoire des événements réels, mais nous ne devons jamais oublier que les écrivains n’avaient pas cette intention dans leur esprit, et qu’ils auraient probablement été horrifiés s’ils avaient pu prévoir l’étonnante interprétation erronée, pourtant presque universelle, qui attendait leurs efforts littéraires. D’autre part, s’ils avaient pu prévoir quelque chose, ils s’appuieraient avec confiance sur cette impossibilité évidente pour prévenir une erreur aussi étrange. Si ces récits n’avaient pas été entourés pour nous, dès notre enfance, d’une sorte de glamour de la sacro-sainteté, nous ne les aurions jamais pris pour l’histoire; et quand on a bien compris l’idée qu’ils sont les scènes d’unMystère religieux, on explique tout si clairement qu’on ne peut douter de sa vérité.
Les évangélistes ne s’entendent pas sur les heures exactes, qu’elles que puissent être celles-ci; mais leur histoire est que Jésus est mort un vendredi et que son corps a été enterré le soir même dans un tombeau en pierre par Joseph d’Arimathie. Il est resté là tout le samedi, mais il a été élevé très tôt le dimanche matin, juste après minuit, conformément à une tradition de l’Église. Cela donne au corps une trentaine d’heures dans le tombeau, ce qui ne fait que satisfaire aux exigences de la déclaration selon laquelle « le troisième jour, il est ressuscité des morts », mais n’accomplit en rien la prophétie selon laquelle le Fils de l’Homme devrait être pendant trois jours et trois nuits au cœur de la terre. D’autres traditions étendent le temps passé dans la tombe à quarante heures, comme cela a déjà été dit.
Nous avons affaire à une allégorie, et une allégorie remarquablement précise. Tout le drame a pour but d’illustrer une présentation vivante du progrès de l’Initié; et ses étapes indiquent les grandes Initiations qui sont, pour ainsi dire, les jalons de ce puissant voyage de l’âme humaine. Les événements attribués à la Semaine Sainte et à Pâques symbolisent la quatrième de ces étapes, et en suivent d’ailleurs les caractéristiques essentielles. Ceux qui ont surmonté les épreuves sont liés par des vœux de secret quant aux détails, tout comme le serait un néophyte de l’époque maçonnique; mais ils ne violent aucun engagement lorsqu’ils nous disent que cette histoire de l’Évangile suit ses grandes lignes avec une fidélité considérable. Le candidat semble toujours rencontrer un certain degré de triomphe et de reconnaissance terrestres, et il en profite pour faire ce qu’il veut dans la manière d’enseigner et d’aider les autres, c’est le devoir qui lui est imposé. Ses efforts suscitent l’envie, la haine et une violente opposition, et parmi ceux qui ont reçu son aide, il y en a toujours un qui se retourne contre lui, qui le trahit, qui porte de faux témoignages contre lui, qui le calomnie et déforme ses actions. La honte et les obscénités de toutes sortes s’empilent sur lui, et bien que les lois modernes n’autorisent pas la crucifixion physique, l’étonnant dépit et l’amère vindicte de ses persécuteurs montrent à quel point ils seraient heureux de raviver les feux de Smithfield1 si leur furieuse malignité n’était pas freinée par l’avancée de la civilisation.
Ruysbroek, le mystique flamand du XIVe siècle, écrit à propos de ces candidats: « Parfois, ces malheureux sont privés des bonnes choses de la terre, de leurs amis et de leurs relations, et sont abandonnés par toutes les créatures; leur sainteté est méprisée et dédaignée, les Hommes font une mauvaise construction de toutes les œuvres de leur vie, et ils sont rejetés et dédaignés par tous ceux qui les entourent; et parfois ils sont affligés de diverses maladies. » Et une autre grande mystique, Madame Blavatsky, écrit avec encore plus de force et de vérité: « Où trouve-t-on dans l’histoire ce messager, grand ou humble, Initié ou néophyte, qui, lorsqu’il est devenu le porteur d’une vérité jusqu’alors cachée, n’a pas été crucifié et mis en pièces par les chiens de l’envie, de la malice et de l’ignorance? Telle est la terrible loi occulte; et celui qui ne sent pas en lui le cœur d’un lion pour mépriser les aboiements sauvages, et l’âme d’une colombe pour pardonner aux pauvres fous ignorants, qu’il abandonne la Science Sacrée » (La Doctrine Secrète, iii, 90.)
Lorsque l’explosion de folie a atteint son point culminant, il y a une période de paix et d’obscurité, puis, si le candidat a supporté l’épreuve avec satisfaction, il atteint l’étape pour laquelle il s’est tant battu, et le succès qui couronne ses efforts est bien plus grand qu’il n’a jamais rêvé, qu’il s’agit bien d’une résurrection vers une vie plus noble et un monde plus élevé. Mais les pauvres persécuteurs ignorants ne le savent jamais.
Les compilateurs des évangiles connaissaient évidemment la forme égyptienne de la quatrième Initiation, car beaucoup de ses détails apparaissent dans leur présentation de celle-ci. L’introduction de la croix elle-même fait partie du symbolisme égyptien, car elle n’a jamais été une méthode d’exécution juive, et à la date réelle de la mort du corps de Jésus, les Romains n’avaient pas encore annexé la Palestine. La »prédication aux esprits en prison » de samedi rappelle également le plan adopté sur les rives du Nil; mais tout cela appartient plutôt à l’explication doctrinale que j’espère donner dans un prochain volume de cette série.
LES SERVICES DE LA SEMAINE SAINTE
En raison de la lamentable matérialisation de la sublime allégorie dans l’histoire physique, les services religieux de la Semaine Sainte ont pris très tôt une teinte sombre et sont devenus si sombres et déprimants que le nom de « service divin » ne pouvait plus leur être appliqué. Les cérémonies romaines sont très compliquées et élaborées, et montrent des traces distinctes du culte pré-chrétien du Dieu-Soleil. L’Église d’Angleterre a soigneusement éliminé tout le pittoresque des rites traditionnels, et ne nous a laissé qu’une série de longues lectures d’une lassitude indicible. Certaines de ses églises plus ritualistes, cependant, se sont aventurées à aller un peu au-delà des sombres prescriptions de son livre de prières et ont introduit l’ancien Office des Ténèbres. Elles ont également inventé un nouvel objet liturgique pour commémorer les trois heures de douze à trois heures le Vendredi saint, durant lesquelles Jésus est censé être suspendu à la croix. Il est de tradition de réciter les sept mots ou expressions qu’Il est censé avoir prononcés à ce moment-là, chacun étant suivi d’une courte allocution et d’une litanie.
Le dimanche des rameaux
L’Église catholique libérale perpétue les cérémonies anciennes, qu’elle utilise de manière scientifique, tout en omettant celles qui n’ont aucune signification rationnelle ou justification historique. Le triomphe temporaire du dimanche des Rameaux était un événement réel dans la vie de Jésus, et représente également un fait certain dans l’expérience de chaque initié, aussi suivons-nous les rites traditionnels pour ce jour, en égrenant notre service principal avec la bénédiction des Rameaux. Les feuilles ou les branches du palmier dattier (ou, si elles sont introuvables, d’une autre plante lui ressemblant le plus possible) en nombre suffisant pour en fournir une à chaque membre de la congrégation, sont déposées sur une table latérale dans le chœur et recouvertes d’un voile blanc ou violet. La procession entre dans l’église comme d’habitude, et lorsque le chœur est atteint, les branches de palmier sont découvertes et bénies par le prêtre, qui les asperge d’eau bénite et les encense. Elles sont ensuite distribuées au clergé, au chœur et au peuple, et une branche est attachée avec un ruban violet au sommet de la croix processionnelle. Lorsque les congrégations sont nombreuses et que les branches de palmier sont difficiles à obtenir, la coutume a parfois été de faire de petites croix à partir des feuilles du palmier et de les distribuer au peuple.
Le cortège est maintenant formé dans le chœur, et se déplace le long de la nef et à la porte ouest, chacun de ses membres portant son rameau. L’hymne chanté à cet endroit est généralement « Hosanna! chantaient les petits enfants », puis lorsque la procession a passé sous le porche, la porte de l’église est fermée, deux chantres étant généralement laissés à l’intérieur pour diriger le chant de la congrégation. Les fidèles se tournent alors vers l’ouest et chantent le verset d’ouverture de l’hymne traditionnel du dimanche des Rameaux, « Toute la gloire, la louange et l’honneur », qui a été composé pour ce service en 810 par Theodulf, évêque d’Orléans. Ce verset est répété par ceux qui se trouvent devant la porte. Les deux cantors et l’assemblée chantent ensuite le verset suivant, « Tu es le roi d’Israël », et attendent pendant que le refrain (qui est le même que le premier verset) est chanté par ceux qui sont dehors. L’hymne se poursuit de la même manière, chacun des versets étant chanté à l’intérieur de l’église, tandis que le refrain répond toujours de l’extérieur; mais dans le refrain, après le dernier verset, tous se rejoignent. Quand cela est terminé, le crucifix frappe à la porte avec l’extrémité inférieure du bâton de la croix processionnelle; celle-ci est immédiatement ouverte par les chantres, et la procession entre avec ses rameaux, en chantant un hymne approprié. La Sainte Eucharistie commence alors et se déroule comme d’habitude. Les gens ramènent chez eux leurs branches ou leurs croix de palmier, et les conservent jusqu’à l’année suivante.
Une curieuse petite erreur est parfois commise dans ce vieux rituel pittoresque de l’Église romaine, le porteur de la croix donnant un coup de pied à la porte au lieu de frapper avec le bâton de la croix de procession. Cette erreur est due à une mauvaise traduction par Dale des indications données dans l’œuvre monumentale de Baldeschi, coi suo piede étant interprété comme se référant au pied de l’homHe au lieu du pied de la croix.
Il n’y a pas de cérémonies particulières les lundi, mardi et mercredi de la Semaine Sainte. L’Église romaine récite l’office appelé Tenebrae le mercredi soir – ainsi que les nuits du jeudi et du vendredi. La principale caractéristique de ce service (d’où son nom) est que pendant son déroulement, toutes les lumières de l’église sont progressivement éteintes jusqu’à ce qu’il ne reste qu’une seule bougie, qui est alors cachée derrière l’autel. Dans l’obscurité, un grand fracas est fait pour signifier le renversement de la nature à la mort de son Grand Architecte, puis la bougie allumée est produite et montrée à nouveau pendant un moment, et toute l’assemblée se lève et part en silence. Un service étrange, et pas particulièrement utile, à ce que l’on peut voir; c’est pourquoi nous l’avons omis.
Jeudi Saint
Pour la même raison, nous ne perpétuons pas la cérémonie du lavement des pieds de treize pauvres hommes le Jeudi Saint. Ce jour est considéré parmi nous comme un jour de splendeur festive en l’honneur de l’institution de la Sainte Eucharistie, et lors de la Haute Célébration, nous portons le Saint Sacrement en procession autour de l’église, tout comme lors de la Bénédiction. Trois grandes Hosties supplémentaires sont consacrées lors de cette célébration et réservées pour un usage ultérieur. Le soir, un ciboire contenant ces trois Hosties les emporte dans une procession solennelle. Ces Hosties, ainsi que quelques particules pour le besoin éventuel des malades, doivent être réservées dans un tabernacle de la sacristie ou dans un autre endroit pratique hors de l’église. Deux de ces Hosties sont nécessaires pour l’Eucharistie du Pré-sanctifié le Vendredi Saint et le Samedi Saint respectivement, et la troisième doit être placée dans le tabernacle sur le « maître-autel » avant la première Célébration le jour de Pâques, ou le samedi soir si les premières Vêpres de Pâques et de bénédiction sont célébrées.
Après l’office du soir du Jeudi Saint, l’autel est dépouillé de ses fleurs, de ses vêtements et de sa couverture, le tabernacle est laissé ouvert et vide, et la croix de l’autel est à nouveau voilée de violet – comme cela a été le cas tout au long de la Semaine Sainte, sauf que le voile a été remplacé par du blanc pour le Jeudi Saint. Ce jour-là, l’évêque, dans sa cathédrale, consacre les huiles sacrées qui seront utilisées l’année suivante.
Vendredi Saint
Le Vendredi saint, l’autel est recouvert d’un tissu de lin uni et d’une couverture violette, mais il n’est pas orné autrement. Aucune bougie n’est allumée. Le service commence par l’Asperges Me, dans sa forme longue ou courte (mais en omettant la collecte pour l’ange). Les collectes, l’épître et l’évangile suivent immédiatement. Après l’Évangile suit le sermon s’il y en a un; et immédiatement après suit l’ancien sermon de révérence à la croix. La croix d’autel est placée au centre de l’autel et dévoilée; et lorsque le voile est enlevé, le peuple s’agenouille. L’officiant et les autres membres du clergé et les acolytes s’approchent de l’autel à partir de l’extrémité du chœur par trois étapes, et à la fin de chaque étape ils fléchissent tous simultanément. Lors de la première génuflexion, le prêtre chante les mots « Holy art Thou, 0 God« , qui sont répétés par l’assemblée. À la deuxième génuflexion, il chante : « Holy art Thou, 0 Mighty One« , et à nouveau le peuple répète encore une fois ce qu’il dit. À la troisième véritable action, les mots sont: « Holy art Thou, 0 Immortal;pour out Thy love upon us. » Et le peuple répond à nouveau avec les mêmes mots. C’est l’une des plus anciennes cérémonies, et comme elle est encore pratiquée aujourd’hui dans l’Église romaine, l’ancienne forme est conservée; car le prêtre prononce ses phrases en grec, tandis que la congrégation lui répond en latin. Cependant, étant donné l’impossibilité de faire prononcer ces mots correctement par l’homme moyen d’aujourd’hui, nous avons jugé souhaitable de traduire les versets en anglais.
Ensuite, on chante l’hymne « Prends ta croix », et vers la fin, on allume les bougies sur l’autel et on remet la croix à sa place habituelle. Une procession se forme alors, qui va chercher l’Hostie et revient au maître-autel avec des lumières et de l’encens, le célébrant portant l’Hostie dans un ciboire. L’Hostie est placé sur le corporal, et du vin et de l’eau sont versés dans le calice, mais sans les prières habituelles. Le prêtre encense les offrandes sur l’autel de la manière habituelle et reprend l’Eucharistie à l’Orate Fratres, en utilisant seulement deux courtes prières; il élève ensuite l’Hostie, la brise sur le calice, et la dépose en particule comme d’habitude, mais en silence. Il récite ensuite la prière »0 Toi qui dans cet adorable Sacrament », et communique lui-même comme d’habitude. Immédiatement après cela, il conclut l’office par la prière Post-Communio, et la nappe d’autel est alors retirée.
Cette forme curieusement abrégée est appelée dans l’Église romaine la Messe des Présanctifiés. Elle est utilisée, dans cette église et dans la catholique libérale, uniquement le Vendredi Saint et le Samedi Saint, mais dans l’église orientale, une forme similaire est prescrite pour tous les jours du carême, à l’exception des samedis et des dimanches. Les offices traditionnels du Vendredi Saint et du Samedi Saint sont prolongés par la lecture de longs passages de l’Ancien Testament; mais l’ensemble de ces passages est omis dans nos offices. Notre attitude à l’égard des événements que ces journées sont censées commémorer est si différente de celle des autres Églises que la forme de service qu’elles prescrivent est totalement inadaptée pour nous. Le Vendredi Saint, cependant, offre une excellente occasion au prêtre d’expliquer à son peuple tout ce qu’il sait sur la grande Initiation que l’Église symbolise pour nous ici. C’est en quelque sorte la dernière des Initiations purement humaines. Il y en a encore une autre, la cinquième – celle de l’Asekha, qui signifie « l’Homme qui n’a plus rien à apprendre » (c’est-à-dire en ce qui concerne notre chaîne planétaire) – et qui est symbolisée dans le système chrétien par l’Ascension et la descente du Saint-Esprit le dimanche de Pentecôte. Mais cette Initiation ratisse l’Homme de l’humanité et en fait un surHomme, si bien que l’on peut dire que ce que nous célébrons maintenant – l’Arhat – est la dernière des Initiations purement humaines.
On se demande souvent pourquoi il devrait y avoir autant de problèmes et de souffrances associés. Cela fait partie de notre enseignement qu’aucune souffrance ne peut jamais arriver à un Homme sans qu’il ne l’ait méritée – qu’il y a une loi puissante de cause à effet dans l’obéissance à ce qui apporte la souffrance ou la joie, selon le cas. C’est pourquoi l’Homme qui est sur le point de mettre fin à ses affaires en tant qu’être humain et est en train de de passer dans un état plus élevé, doit s’en aller avant d’avoir des arriérés de karma, comme ils disent en Inde – toute dette en cours résultant des actions dans le monde. Un certain montant de ce résultat demeure jusqu’à la fin de sa carrière humaine, et il lui arrive alors de le solder à cet instant – au moment où il franchit cette dernière étapes. Nous générons tous des causes tout le temps – chaque jour, à tout moment, par nos pensées, nos paroles, nos actions, nous mettons quelque chose en mouvement. Inévitablement, tout cela réagit sur nous, que ce soit bien ou non. L’Homme qui a atteint le niveau de cette Initiation supérieure a peu de chances de faire beaucoup de mauvais karma, parce qu’il se tient bien au-dessus de la moyenne dans son développement spirituel. Il est donc nécessaire que la plus grande partie de son karma soit incontestablement bonne, mais comme il est encore un être humain, une partie sera encore mauvaise, bien que la proportion puisse être restreinte. Bien que ce karma soit une loi naturelle et fonctionne ici-bas tout aussi absolument comme les lois de la nature physique, il est aussi administré par des fonctionnaires qui sont nommés pour superviser son application, et il y a des cas où ils interfèrent avec ce qui autrement serait l’action directe de la force. Jamais ils ne pourront diminuer le paiement, ne serait-ce d’un iota; car ce qu’un homme met en mouvement lui reviendra. Les fonctionnaires ne peuvent pas atténuer le karma, mais ils peuvent retarder ou accélérer son action, et ils le font selon qu’ils pensent que ce sera pour le bien de l’Homme. Nous pouvons voir que dans les premiers stades du développement de l’Homme, lorsqu’il était encore un sauvage, lorsqu’il est la proie de passions violentes de toutes sortes, il faisait naturellement beaucoup de mauvais karma, et si tout ce karma s’était abattu sur lui en même temps, il n’y aurait pas de progrès; l’Homme aurait été écrasé à terre; là, dans tous ces premiers stades de sa croissance, le karma est retardé. Mais lorsque l’Homme commence à avoir suffisamment de bon karma pour le compenser, peu à peu le karma désagréable est libéré, et ce que l’on peut appeler son destin ou sa destinée pour une vie est en réalité la quantité de son karma qui est tranché pour lui être donné à travailler dans cette vie. Il en reste donc une certaine quantité jusqu’à la fin, mais il faut ensuite le clarifier.
C’est ce qui se passe lors de cette Initiation de l’Arhat. Si nous voulons un exemple de la façon dont cela se passe, il suffit de lire l’autobiographie de Mme Besant, et nous verrons comment la souffrance s’accumule sur celui qui est sur le point d’atteindre l’Éveil. Il existe de nombreux autres exemples. Les citations de Madame Blavatsky et de Ruysbroek nous montrent que, depuis des siècles, l’idée a été bien comprise par les personnes qui entreprennent cette vie supérieure. Ils savent qu’ils doivent se débarrasser de ce qui reste de leur dette envers la loi divine et ils sont prêts à faire face à tous les problèmes et à toutes les souffrances que cela implique, par souci du pouvoir qu’ils obtiendront alors de faire du bien à autrui.
Mais dans la vie quotidienne, nous qui sommes loin d’atteindre une telle Initiation, nous constatons que nous avons une certaine quantité de peines et d’ennuis qui convergent vers nous. C’est aussi le résultat de ce que nous avons fait dans des vies antérieures. Il y a un texte curieux qui dit: « Celui que le Seigneur aime, Il le châtie. » Dans le temps, je ne savais pas ce que cela signifiait, et ce n’est pas le bon sens tel qu’on le comprend habituellement. La réalité est la suivante: Si un Homme réussit exceptionnellement bien dans la vie, s’il se débarrasse de tout le karma précoce qui lui est attribué, parfois les Seigneurs du Karma lui en donneront un peu plus. Ils lui rendront, à tous égards, la pareille en lui donnant des peines et des ennuis exceptionnels; mais la raison en est qu’ils le jugent digne, assez fort pour rembourser un peu plus sa dette, et ainsi se rapprocher du moment où il sera libéré de tout cela. C’est donc un compliment lorsque les Seigneurs du Karma font subir des souffrances supplémentaires; ils donnent la douleur de deux vies en une, et font ainsi gagner du temps; ils diminuent d’une vie le nombre de vies qui sont devant l’Homme en chemin, et le rapprochent d’autant plus de sa liberté.
Mais dans la vie quotidienne, nous avons une autre tâche devant nous; nous devons essayer de nous développer pour l’avenir. C’est ce que signifie ce qui est dit dans l’Évangile du Vendredi Saint: « Si quelqu’un ne prend pas sa croix et ne me suit pas, il ne peut pas être mon disciple », ce qui signifie que tout Homme doit s’emparer de sa nature inférieure et la soumettre. C’est extrêmement bon pour l’Homme – pour son âme – mais c’est extrêmement déplaisant pour la nature inférieure qui est soumise; c’est pourtant une nécessité absolue, et parce que, ici-bas, ces véhicules inférieurs sont si peu dociles, qu’on est amené à prendre une croix définie et à supporter un certain nombre d’inconvénients. Quiconque a une mauvaise habitude constatera qu’il n’y a il n’y a pas peu de souffrance à la supprimer. Si une personne a pris l’habitude de se droguer, c’est pour elle un combat terrible pour vaincre cette habitude. Et ce n’est pas un moindre combat pour vaincre la mauvaise humeur, pour vaincre la paresse, pour vaincre l’habitude de critiquer et de se plaindre constamment. Toutes ces choses sont des croix bien définies, mais nous devons prendre notre croix et la porter – à défaut, nous ne pouvons pas être de vrais disciples du Christ. Aussi, tant que nous ne nous sommes pas débarrassés de nos défauts, une certaine dose de tristesse et de souffrance est inévitable dans la vie quotidienne pour ceux d’entre nous qui tentent de s’en sortir.
Mais ne pensez pas que le chagrin et la souffrance plaisent à la divinité. Il y a une écriture plus ancienne que toutes les nôtres qui représente le Logos disant à Son peuple: « Certains, étant ignorants, Me torturent, demeurant dans leur corps »; parce que toute vie est la vie divine, et ceux qui torturent le corps agissent ainsi sur le Dieu intérieur. Une telle ascèse n’est pas utile en soi, et est souvent nuisible. Il n’est jamais bon de torturer le corps, mais il faut s’efforcer de contrôler tous nos véhicules, le physique, l’astral, le mental; et faire cela est très souvent fastidieux et gênant. Par conséquent, il s’agit en effet de saisir une croix et à ne pas avoir honte de le faire. Il faut le faire. S’il y a du chagrin, des problèmes, de la douleur, nous nous en sommes chargés en laissant les mauvaises habitudes se développer dans le passé. Nous devons faire face à la souffrance et l’atténuer. C’est la véritable leçon du Vendredi Saint: la croix que nous dressons à l’imitation du Christ est la conquête de la nature inférieure. Ce n’est pas une mince affaire à prendre à la légère; il s’agit d’une entreprise sérieuse; si nous ne l’affrontons pas dans cette vie, cela signifie seulement que les mauvaises habitudes se renforceront, et donc que nous aurons plus de chagrin à vaincre dans quelque vie future. C’est pourquoi il n’y a que la sagesse et le bon sens pour prendre ces questions en main dès maintenant. C’est à cette occasion que l’Église nous le rappelle. Découvrons nos points faibles et interrogeons-les; c’est le vrai sens de l’histoire du Vendredi Saint. Si nous faisons cela, nous entrerons aussi dans la gloire de la résurrection, dans la libération de l’esclavage, de la mauvaise habitude, dans l’ascension vers une vie plus élevée que nous commémorons le dimanche de Pâques.
Peu importe dans quelle mesure l’histoire de l’évangile est historique; ces événements ne se sont probablement pas produits comme décrit dans cette vie en Palestine, mais il est tout à fait certain que notre Seigneur, même s’il y a longtemps, est passé par toutes les étapes que nous devons traverser. En toutes choses, il a été tenté comme nous le sommes; en toutes choses, il est notre exemple et notre guide. Il ne nous demande pas de passer par quelque chose que Lui-même n’a pas enduré auparavant. Il est donc bon que nous ayons les yeux ouverts, que nous comprenions que nous ne commettons pas d’erreurs en matérialisant et en dégradant l’ensemble de cette magnifique allégorie.
Par conséquent, en ce jour, le prêtre pourrait bien parler à son peuple de la nécessité du sacrifice de soi dans la vie religieuse, et de la conquête de la nature inférieure par la nature supérieure. Si un service du soir est célébré le Vendredi Saint, il doit être accompagné de Complies, car ni les Vêpres ni la bénédiction ne sont possibles.
Le samedi saint
Les anciens services du Samedi Saint sont pittoresques et compliqués, et beaucoup d’entre eux ont été créés bien avant la fondation du christianisme. L’obtention du nouveau feu, par exemple, peut être retracée aux tout premiers temps du zoroastrisme – non seulement à la prédication du dernier Zoroastre, quelque quinze cents ans avant le Christ, mais bien plus loin encore, à l’époque du premier d’une longue lignée de prédécesseurs. L’intitulé de notre liturgie prescrit qu’à un moment opportun avant l’office, le feu est allumé à l’extérieur de l’église. Il est souhaitable que le briquet à partir duquel ce feu est allumé soit éclairé depuis le soleil au moyen d’une lentille, mais si cela n’est pas possible, il faut utiliser du silex et de l’acier. L’autel est recouvert d’une toile de lin ordinaire et d’une couverture violette, mais sans aucun ornement. Aucune bougie n’est encore allumée. Le service commence avec l’Asperges. Ensuite, une procession se forme, qui se dirige vers la porte de l’église. Les braises incandescentes sont alors placées dans un récipient approprié, tel qu’un encensoir ouvert, et le prêtre bénit le nouveau feu. Le charbon pour brûler l’encens est alors allumé à partir du nouveau feu et placé dans un autre encensoir, et une triple bougie spécialement préparée est allumée à partir du nouveau feu et bénite. La procession revient, le diacre (vêtu d’une dalmatique blanche) portant la triple bougie qui a été allumée du nouveau feu. À chacun d’eux, le diacre élève la triple bougie et chante: « Le Christ est notre Lumière », ce à quoi les gens répondent: « Que Sa Lumière brille dans nos cœurs. » Lorsqu’ils atteignent l’autel, il récite le Munda Gor Meum, et le célébrant fait la réponse habituelle, après quoi le diacre lit comme un évangile les douze premiers versets de ce qui est dit dans Saint Jean.
Une grande bougie placée dans un haut chandelier au coin de l’espace du côté de l’évangile de l’autel a été préparée au préalable. Le diacre attache maintenant à cette bougie cinq grains d’encens, et le prêtre la bénit spécialement. Le diacre l’allume ensuite, ainsi que les bougies de l’autel, à partir de sa triple bougie, et on récite une collecte appropriée. Le diacre reprend alors la dalmatique violette.
Cette grande bougie, appelée le Cierge pascal, est allumé à toutes les célébrations de la Sainte Eucharistie et aux Vêpres, du jour de Pâques jusqu’à la fête de l’Ascension, où il est solennellement éteint après l’Évangile. Il réapparaît la veille de la Pentecôte (mais sans son chandelier) lors de la cérémonie de bénédiction des fonts baptismaux, dans les églises où elle est célébrée.
L’Église romaine a pour coutume de réserver ce jour-là l’eau qui sera utilisée pour les baptêmes de l’année à venir; et s’il y a des sujets qui s’y prêtent, il est jugé souhaitable qu’un ou plusieurs baptêmes aient lieu à ce moment-là. Nous adoptons également cette pratique traditionnelle, s’il y a un candidat au baptême, mais nous préférons consacrer l’eau spécialement pour le baptême chaque fois que cela est nécessaire. Si l’eau est bénie maintenant, le prêtre abaisse la base de la triple bougie dans l’eau et fait avec elle le signe de la croix trois fois. Après cela, le culte des Présanctifiés suit, tout comme la veille.
Dans l’Antiquité, les gens passaient la nuit du Samedi Saint à prier et à regarder, et c’était souvent pendant la nuit que l’eau des fonts baptismaux était bénie et que les catéchumènes étaient baptisés pour participer à la célébration de la Résurrection à l’aube. En préparation de tout cela, de longs discours et des lectures de l’Écriture Sainte ont été donnés pour l’instruction des fidèles. Au cours du Moyen Âge, la tendance à anticiper les événements liturgiques s’est manifestée de manière de plus en plus irrésistible. Aujourd’hui, l’Église romaine célèbre la Messe de la Résurrection ainsi que la bénédiction du feu nouveau et des fonts baptismaux le samedi matin. Dans le rite catholique libéral, nous sommes revenus à l’usage plus ancien et sûrement plus sain qui consiste à ne pas célébrer la Messe de la Résurrection avant le matin de Pâques. Le service des Vêpres du samedi est, bien sûr, celui de Pâques lui-même et, par conséquent, est à tous égards aussi grandiose qu’il peut l’être.
1[NdT] Probablement une allusion aux hérétiques qu’on a brûlé dans ce quartier de Londres durant le XVIe siècle.