1.6.4. La « seconde naissance » – ou le sens de l’horoscope

Si l’horoscope de l’Homme a un sens, ce ne peut être que celui de représenter sa mission, cette mission qui doit lui permettre de faire un pas de plus sur le chemin que nous venons d’évoquer, celui de la transformation du fils de la Terre en un pur miroir de l’univers, débarrassé de la calamité héréditaire, et d’accomplir ainsi son devoir cosmique.

Il nous faut cependant encore dire quelques mots à ce sujet.

Permettez-moi tout d’abord d’utiliser à nouveau une image simple qui nous permettra de mieux comprendre ce que l’on veut atteindre par ce travail qui est proposé à l’Homme. Pensons à la plante qui naît de la graine enfouie dans la terre. Elle contient, comprimée dans un minuscule grain, la masse de mémoire biologique de toute l’histoire de son espèce – la partie souterraine, tournée vers le passé, de la plante; mais à partir de la graine, la plante croît à la lumière du jour, en direction du soleil, dont elle reçoit la lumière. Cette croissance résulte du travail effectué sur les radiations célestes dans son corps, en construisant avec leur aide, et en les transformant, son corps de matière terrestre. C’est ainsi que la plante rend à la Terre des services de développement par la transformation alchimique de matières organisées inférieures en matières organisées supérieures.

Si nous appliquons cette image de la plante à l’Homme, peut-être pouvons-nous d’abord seulement penser que, de même que la plante croît « d’elle-même », sans rien y ajouter de son propre chef, l’Homme aussi croît de lui-même, vieillit, pour rendre à la Terre la matière solide après sa mort corporelle – transformée alchimiquement, comme l' »humus » que devient le corps de la plante lorsque la vie a cessé en elle.

Mais alors, sous cet angle, l’Homme n’a pas vécu une vie de l’Homme, car il a simplement « végété », comme on a coutume de le dire de manière assez caractéristique. Or il est possible d’envisager autrement la vie de cette plante – [111] on peut essayer de soigner cette plante comme un jardinier la soigne – non pas un jardinier d’agrément, mais comme ce jardinier qui est l’ancêtre de toute l’humanité, qui n’est peut-être pas devenu jardinier de son plein gré, mais qui a reçu l’ordre de le devenir: cet Adam qui, selon les paroles de la Bible, a été chargé d’être un jardinier, de « cultiver la terre à la sueur de son front ».

Ce travail dans le grand champ de la « Terre » est désormais la profession la plus importante et la seule qui sied véritablement à la stature de l’Homme. Fondamentalement, tout travail signifie cultiver la terre; par ce la labeur, l’Homme travaille l’enveloppe obscure qui se trouve entre son archétype parfait tel qu’il est exprimé dans le Zodiaque (Paradeisos était le nom donné par les Grecs à ce terreau céleste de l’Homme!) et le fils de la Terre, l’enfant de le la femme. Le travail dans le champ de la Terre, par lequel l’Homme doit en extraire le pain sans lequel il ne pourrait pas vivre – n’est-il pas étrange que l’expression pour ce labeur soit la même dans toutes les langues de la Terre ?

Labourer, c’est agere, c’est faire; l’activité première de l’Homme est agere, c’est-à-dire travailler en conscience à cette partie de son être qui constitue son héritage terrestre.

Et quel est le fruit de ce travail? Le pain qu’il doit récolter afin de vivre sa propre vie – celle de l’homme, et non celle de la plante. Voilà ce qui ne peut être arraché à la Terre que par le seul agere, le produit de la récolte, le fruit de l’agere – l’ego, le « moi » existentiel, qui se manifeste maintenant, suite à ce travail conscientisé en « soi » – le moi essentiel de l’Homme.

La Lune est la semence terrestre, creuset du moi existentiel; le Soleil fournit la lumière pour que l’Homme s’éveille à son moi essentiel – à son for intérieur. La première est chargé du passé, dont elle est le fruit; le second n’en a cure, il est totalement indifférent au passé.

Revenons maintenant à la question qui nous est apparue aujourd’hui sous sa forme la plus tragique: dans la vue du ciel étoilé, de l’immense grandeur du cosmos lui-même, suis-je futile ou important?

C’est à moi de décider si je suis l’un ou l’autre – à partir du moment où je commence à comprendre ma mission.

Nous sommes partis du principe que le moment de la naissance peut être mis en analogie avec le moment où une pensée jusqu’alors simplement imaginée est exprimée – le moment où une intention devient une action.

Mais renversons maintenant cette pensée: que se serait-il passé si la pensée n’avait jamais été exprimée, si la résolution n’était jamais passée à l’acte? Que se serait-il passé si Mozart n’avait porté ses [112] œuvres que dans sa tête, son intestin ou ses orteils, sans jamais les livrer au monde? Ne suffirait-il pas que tous les Hommes qui sont intervenus de manière créative dans la vie culturelle de l’humanité – que ce soit en bien ou en mal – n’aient porté leurs pensées que dans leur tête – intestin ou orteils?

Eh bien, chaque artiste sait que cela ne suffit pas, il sait que ce n’est qu’après avoir réalisé son œuvre qu’elle devient pour lui une marche sur laquelle il peut s’élever, il sait aussi que c’est le prix qu’il devait payer à l’esprit du monde pour le don reçu qui a fait sa vocation.

De même, lorsque la Terre laisse sortir de son sein la pensée qui s’appelle « Homme », elle a fait un pas de plus sur le chemin de son perfectionnement! Et de même que la pensée, libérée du cerveau humain, devient quelque chose qui lui revient, en l’entravant ou en la favorisant – de même l’Homme, que la Terre a libéré, revient à elle, en lui incorporant de nouvelles forces, qui peuvent la favoriser ou l’entraver.

Ainsi, l’Homme, en travaillant à son propre développement, collabore en même temps au développement de la Terre elle-même, et le degré auquel il le fait détermine aussi son degré d’importance, détermine la mesure de sa liberté!

Nous touchons là à l’un des principaux problèmes de la philosophie en général!

Dans une certaine mesure, il nous est déjà apparu clairement aujourd’hui quelle lumière la pensée astrologique peut jeter sur les confusions dans lesquelles la pensée non ésotérique doit s’embourber lorsqu’elle est placée devant ce problème, dont la clé ne peut être trouvée que dans les profondeurs de la révélation du moi: l’Homme ne parvient à la liberté que lorsqu’il commence à travailler avec détermination à son perfectionnement, et la lutte consciente pour se libérer des chaînes de l’hérédité terrestre est le contenu même de la liberté humaine.

Il ne serait pas inintéressant de jeter ici un coup d’œil rapide sur la position de la pensée philosophique par rapport au problème de la liberté. N’est-il pas de prime abord étrange que ce problème ait été quasiment inconnu de la pensée antique? Le fait est que la liberté de la volonté humaine n’a jamais fait de doute dans l’Antiquité. On ne ressentait aucune contradiction entre la conviction de la liberté intérieure de la volonté d’une part, et l’inéluctabilité du destin d’autre part, car on ne voyait dans le destin que le contenu objectif de l’événement dans lequel l’Homme est impliqué. De même que personne ne doute de la liberté de sa volonté parce qu’il ne peut pas déplacer un rocher, l’Antiquité ne doutait pas de cette liberté, malgré la croyance en l’inéluctabilité de tout événement, qui doit être simplement acceptée, comme la loi naturelle et le cours des astres.

Ce n’est qu’au Moyen Âge, lorsque le centre de gravité de toute expérience fut déplacé vers le monde psychique intérieur, que le problème de la liberté dut être affronté dans toute sa force bouleversante, parce que ce poids insurmontable n’était plus le rocher du dehors, mais le rocher intérieur et indomptable du fardeau héréditaire – considéré comme le poids du péché originel, qui, par la chute de l’Homme céleste, devint l’héritage de tous les Hommes, transplanté depuis les temps des Pères fondateurs; le vase du destin que l’Homme antique croyait hors de lui, l’Homme médiéval le voyait en lui-même, comme la cause première du vice d’où jaillit tout mal. C’est pourquoi la pensée médiévale devait nier la liberté de l’Homme, puisqu’elle ne voyait aucune libération de ce péché originel, si ce n’est par la grâce de Dieu. Mais cette grâce enseigne précisément à comprendre comment le travail de l’Homme dans son champ terrestre doit lui procurer, comme fruit du labeur de son moi existentiel, la conquête de son moi véritable, c’est-à-dire la reconnaissance et la soumission à son moi essentiel, lequel est totalement détaché, car indépendant, de la masse héréditaire terrestre.

Revenons maintenant à notre Homme individuel, avec son lot terrestre de soucis individuels.

Nous voulons faire une brève réflexion sur son chemin vers cette libération que nous avons appelée sa deuxième naissance – ce chemin laborieux de l’illumination progressive de la région lunaire par les forces de la région solaire, jusqu’à ce que tout ce qui est obscur s’éclaire et soit consumé dans le feu du soleil intérieurement allumé, rendant transparente l’enveloppe terrestre.

Eh bien, nous pouvons qualifier ce chemin de triple libération.

Le Bouddha Gautama a décrit ce triple chemin avec des mots incomparables dans le discours par lequel commence ce que l’on appelle le « Recueil central ». Il y est dit:

Considérons, chers moines, celui qui n’a rien appris, cet Homme ordinaire, sans sens du sacré, qui n’a pas accès à la sainte doctrine ni à l’attitude noble, et qui prend donc la Terre pour la terre, et qui, ayant pris la Terre pour la terre, pense la terre, pense de la terre, pense sur la terre, pense : « La Terre est à moi », et se réjouit de la Terre; et pourquoi? Parce qu’il ne la connaît pas…

(c’est la perspective de la Terre.)

Moines, pour celui qui, en tant que moine combattant, cherche à conquérir la sécurité incomparable, la Terre est considérée par lui aussi comme la terre, et s’il a considéré la Terre comme la terre, il ne pense pas la terre, il ne pense pas de la terre, il ne pense pas sur la terre; il ne pense pas: « La Terre est à moi », il ne se réjouit pas de la Terre: et pourquoi? Pour qu’il la connaisse…

(c’est la perspective du changement).

Mais, moines, celui qui, en tant que saint moine, vainqueur de l’illusion, finisseur de l’œuvre accomplie, s’est débarrassé de son fardeau, a accompli son but, a détruit les chaînes de l’existence, a été racheté dans une sagesse parfaite, pour lui aussi la Terre est considérée comme terre, et s’il a considéré la Terre comme terre, alors il ne pense pas terre, ne pense pas à la terre, ne pense pas sur la terre, il ne pense pas : « La Terre est à moi » et ne se réjouit pas de la Terre; et pourquoi pas? parce qu’il en est détaché!

(c’est la troisième perspective.)

Trois cheminements sont ici décrits. Nous appellerons le premier la voie de l’insensé. Le troisième, la voie du sage. La voie du milieu est celle de celui qui lutte pour la libération.

À propos de la voie de l’insensé, nous nous rappellerons de l’œuvre intitulée La confession d’un fou d’August Strindberg. La plupart d’entre nous pourraient placer ce titre au-dessus de son autobiographie. Et pourtant, chacun d’entre nous apprendra peut-être qu’à un moment de sa vie, cette confession commence à prendre une autre forme, et c’est le moment où les connaissances astrologiques lui deviennent accessibles, ou ce qu’elles lui permettent d’acquérir, s’enracinent dans d’autres compréhensions, lorsqu’il reconnaît les nécessités qui ont dû jusqu’à présent conduire à ce qu’il doive confesser, et pourquoi son désir de se confesser est né. Or, nous savons tous que la confession peut être le début d’un acte de libération, mais qu’elle ne doit pas l’être. La confession d’un insensé confesse essentiellement que sa vie n’a été qu’une obéissance sans résistance à tous les instincts et à toutes les tentations nés de sa constitution héréditaire. Il n’y avait pas de mauvais mouvement auquel il n’ait pas cédé, pas d’acte assez stupide, insensé ou mauvais pour ne pas être fait, et tout cela lui a apporté de la souffrance; nous nous sommes fait du mal encore et encore, nous avons dû subir la même souffrance encore et encore, jusqu’à ce que s’éveillent en nous des forces de résistance. C’est le chemin de l’insensé, il ne vit que la terre, il ne vit que ce qui est conforme au côté nocturne de son être; il doit souffrir encore et encore de la même souffrance jusqu’à ce qu’il apprenne à s’en méfier, jusqu’à ce qu’il apprenne à reconnaître le point sensible de sa disposition.

C’est alors que commence le chemin de la lutte pour la libération.

Lorsque nous avons reconnu qu’il y a en nous quelque chose qui résiste aux chaînes que la Terre nous impose, il ne nous est plus possible de continuer à suivre le chemin de l’insensé avec la naïveté d’autrefois. Car nous savons maintenant que ce chemin de souffrance de notre destin ne peut être changé que si nous commençons à lutter contre nous-mêmes! Lorsque nous commençons à nous souvenir de notre autre origine!

Et, au moment où ce souvenir s’insinue dans la conscience, commence déjà notre libération!

Lorsque ce moment arrive, nous remarquons en général quelque chose d’étrange: le destin extérieur commence à changer. Plus cette lutte est menée avec énergie, plus la transformation du destin devient évidente. Le destin commence à « galoper », selon l’expression de Meyrink. Au moment où le combat commence, tout ce qui, dans notre horoscope, était susceptible de nous détromper dans notre folie se transforme, de sorte que ce qui était auparavant un coup du sort extérieur devient maintenant une expérience intérieure. La vie extérieure ne fonctionne plus comme avant avec les grands canons. En revanche, nous ressentons maintenant en nous toutes les douleurs de l’accouchement qui accompagnent le lent détachement de notre véritable « moi » de son enveloppe – la reconnaissance du moi essentiel comme véritable maître de l’ego, ou moi existentiel –, mais aussi toutes les joies qui sont la marque du sentiment de liberté qui s’éveille et qui est au-delà de la douleur.

Je ne veux pas parler en détail de la voie sage; c’est le niveau de l’Homme qui s’est déjà détaché de la Terre, qui est devenu qui il est véritablement – « Je suis qui je suis » Exode 3:14.

Que personne ne se vante à la légère d’avoir atteint cet état!

Si nous prenons la perspective de celui qui lutte, alors nous reconnaissons avec une pleine clarté que ce que nous avons pris auparavant pour notre volonté n’était pas du tout notre volonté.

« Si la pierre lancée avait conscience, elle croirait qu’elle vole parce qu’elle le veut », dit ברוך שפינוזה pour caractériser ce type de volonté. De cette manière, la pierre peut « vouloir », la plante peut « vouloir », l’animal peut « vouloir » – une fois qu’il est entré sur le chemin de la libération de son moi essentiel, ce n’est plus de la dignité de l’Homme que d’ainsi vouloir. Désormais, la volonté ne peut être appelée vraie que si elle émane de l’archétype immuable de l’Homme, qui n’appartient pas à la perspective terrestre, mais à la perspective éternelle du Zodiaque. Et comme nous l’avons plus tôt confessé: la liberté terrestre n’est rien d’autre que la lutte pour se libérer des entraves du passé, de même le libre arbitre n’est rien d’autre que l’effort pour faire entrer notre volonté temporelle dans la volonté immuable ou la loi suprême – « la loi morale au-dessus de moi – laquelle est dans mon for intérieur en moi ». Appelons cela la volonté de Dieu.

Celui qui en arrive à ce point, est complètement détaché de la Terre, il n’est plus influencé par son horoscope terrestre, il est par delà le destin.

Le chemin est incroyablement long. Mais la connaissance de notre horoscope peut nous aider à quitter le chemin de l’insensé, car il nous indique les points malades de notre hérédité, il nous montre où notre travail doit commencer, le travail dans la terre, qui est le plus important de notre vie! Même si ce qui se passe à travers elle peut paraître futile au regard de l’éternité, il est d’une importance irremplaçable, car il ne peut être accompli que par nous seuls! Cette responsabilité est notre part dans l’œuvre de la création.

« Luttez sans relâche », tel fut le legs du Bouddha à ses disciples. Mais Schiller, dont la langue nous est peut-être plus familière, parle d’

Une occupation qui ne s’épuise jamais,

Qui contribue à la construction des éternités,

Certes, grain de sable par grain de sable,

mais qui, de la grande dette des temps,

Efface les minutes, les jours, les années.

C’est ainsi que nous voulons conclure notre réflexion d’aujourd’hui sur la signification cosmique de l’instant de la naissance, telle qu’elle se présente depuis la perspective terrestre.

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