[241] Nous avons parcouru le monde de la Terre et de l’Eau et ainsi appris à connaître suffisamment la moitié féminine du spectre zodiacal pour comprendre quels types d’Hommes lui correspondent. Nous avons vu s’animer devant nous les trois sous-espèces de l’Homme qui fait, qui agit dans et avec cette Terre, et les trois sous-espèces de l’Homme qui souffre – l’Homme dominé par l’Élément Eau – tout cela bien sûr ne sont que de simples types non individualisés, c’est-à-dire ne correspondant en aucun cas, tel quel, à aucun Homme; ce ne sont que des images partielles et monochromes d’une impression polychrome.
Aujourd’hui, notre tâche sera d’aborder de la même manière le problème de l’Homme d’Air, c’est-à-dire des types d’Hommes qui incarnent l’influence pure des radiations provenant de la région des Signes d’Air: Balance, Verseau et Gémeaux.
Avec cette région du zodiaque, nous entrons déjà dans sa moitié positive, masculine, et plus précisément, nous entrons dans le monde mental – le monde de nos forces de compréhension; nous entrons dans le royaume des énergies créatives – détachées du passé – et orientées vers l’avenir.
Essayons d’abord de nous faire une idée de la relation entre ce monde mental – ou « aérien » – et les trois autres mondes:
+ + + Feu
+ – + Air
– + – Eau
– – – Terre
Nous pouvons constater que ce monde est dans une opposition systématique au monde aquatique, analogue à celle entre le Feu et la Terre, mais qui cependant, dans l’ensemble, présente un caractère plus doux.
Nous pouvons comprendre cette dernière opposition de la manière suivante: l’Homme [242] incité à agir par les impulsions des Signes de Terre – l' »Homme agissant » – se heurtait partout, à l’intérieur du monde de son activité, à une résistance qu’il se voyait contraint de comprendre comme l’expression d’une contre-volonté. Dans la matière, le substrat de ce monde de réalité, et dans sa résistance, il supposait la dureté d’une volonté naturelle inflexible, contre laquelle il devait diriger ses propres forces en évaluant intelligemment ses fins. Il en résultait une relation plus étroite entre la qualité du Feu et celle de la Terre, dans la mesure où la matière devait désormais apparaître à l’Homme « agissant » comme le reflet de l’inflexibilité, de la constance et de la cohérence d’airain d’une Volonté suprême, et ses lois comme le reflet des Lois morales du monde inhérentes à cette Volonté.
Nous devons comprendre autrement la relation dans laquelle se trouve l’Homme aérien, l’Homme qui habite le monde mental, par rapport au monde Terrestre.
+ – +
– – –
Ici, il y a déjà un lien commun et intermédiaire. Ce qui se présente au regard de l’Homme d’Air comme le reflet de sa nature, ce n’est pas la résistance d’une « matière » avec laquelle il n’a plus aucun contact direct, ce n’est pas une quelconque loi propre de la matière qui lui apparaîtrait en quelque sorte comme une sorte de précipité de la loi morale d’une volonté supérieure, mais la constance ou la force de cohésion interne des formes qui s’expriment bien dans la matière Terrestre, mais dont les lois ne sont absolument pas les lois de la matière, mais des lois d’un genre essentiellement différent.
Pour l’Homme mental, le monde terrestre ne se présente pas comme un terrain de jeu de forces et de lois physiques ou chimiques, mais comme des formes et des configurations marquées dans la matière. Ces formes sont elles aussi quelque chose de solide (firmare: a) affermir, rendre plus solide, plus ferme; b) affirmer, démontrer. Ou formare: concevoir, former dans son esprit), dont la résistance, comme nous le verrons, va même plus loin que celle de la matière! Mais le soutien de cette solidité repose tout à fait dans le mental, dans le monde de l’esprit, c’est-à-dire, en fin de compte dans le monde spirituel!
Car ces formes ne sont présentes dans le monde matériel que dans la mesure où elles peuvent être vues dans le monde spirituel, et c’est bien là qu’elles ont leur véritable place, qu’elles sont irradiées dans le monde terrestre. Platon les appelle des images originelles (arché-types) ou desIdées.
Nous avons déjà essayé de décrire ce monde des Idées, même si ce n’est que de manière très générale. [243] Mais aujourd’hui, nous avons l’occasion de nous attarder encore un peu sur ce sujet.
La relation entre ce royaume des Idées et le royaume de la Matière n’a peut-être jamais été représentée de manière aussi impressionnante que par Schiller dans son poème L’Idéal et la Vie. Il y parle de ce royaume comme des « régions où résident les formes pures » et ailleurs:
Mais libre de toute contrainte temporelle,
La compagne des natures bienheureuses,
Marche là-haut, dans les champs de lumière,
Divine parmi les dieux – la forme idéale1.
Lao-Tseu souligne avec une acuité particulière l’opposition entre le monde Spirituel et le monde Terrestre. Dans le onzième chapitre du Livre de la Voie et de la Vertu, on peut lire
Trente rayons rejoignent le moyeu;
Mais le vide entre eux crée l’essence de la roue.
On pétrit l’argile pour en faire des vases;
Mais leur vide qui en donne l’usage.
Des murs avec des fenêtres et des portes forment la maison;
Mais c’est le vide en elle qui donne l’essence de la maison.
La matière apporte l’utilité2.
L’immatériel agit en tant qu’être3.
Le vide?
N’oublions pas que ce « vide » n’est lui aussi qu’une image. L’essence de la forme ne peut pas être expliquée par la matière et ses lois. C’est une autre sorte de légalité que partout l’Homme aérien cherche à travers les « mailles » (masques) de la Matière. Elle se rapporte à la matière et à ses lois comme la forme du récipient au contenu – le contenu peut changer, la forme reste –, elle se rapporte comme le sens – ferme – se rapporte au mot qui résonne – toujours fluctuant dans sa phonétique, même dans une même langue.
Dans le Divan occidental-oriental (2. Hafis-Nameh, p.47), Goethe parle de cette relation d’une manière spirituellement taquine:
Un mot n’a pas qu’une seule acception: le mot est un éventail! Entre les branches brillent deux beaux yeux. – L’éventail est un crêpe gracieux, qui cache le visage, il est vrai, [244] mais il ne me cache point la jeune fille: car ce que la jeune fille a de plus beau, son œil, vient étinceler dans mon œil.
L’œil spirituel voit donc partout, œil pour œil, derrière la Matière, un être qui lui est apparenté, spirituel, plus réel, plus effectif, qui, si vous me permettez l’expression, est simplement peint de la couleur de la Matière pour être perceptible dans le monde des sens.
Mais c’est le monde organique qui nous donne l’exemple le plus convaincant du rapport entre la substantialité mentale et la substantialité matérielle, en montrant comment les formes vivantes des plantes et des animaux non seulement se maintiennent, bien que leurs substances matérielles se renouvellent et changent continuellement, mais ne restent vivantes que grâce à ce changement. La forme « qui se développe de manière vivante » se révèle ainsi plus résistante et plus durable que la matière sur laquelle elle se manifeste.
Et aucun temps ni aucun pouvoir ne morcelle Forme empreinte qui évolue de manière vivante.
GOETHE, Paroles originelles–Orphisme
Or, ce qui apparaît dans le « monde terrestre » comme une telle forme liée à la matière, mais qui est à proprement parler l’organisateur de cette matière, est la correspondance de ce qui apparaît dans le spirituel comme la fonction vivante de la connaissance elle-même, dont la force essentielle est: la délimitation, puis la dissolution de ce qui est délimité pour son insertion dans l’unité supérieure; l’expression spirituelle du « Grand Souffle », dont nous avons décrit le rythme dans nos deux premières conférences sur les « Fondements généraux ».
C’est ainsi que naissent dans la pensée les représentations de ces images originelles – les archétypes, comme l’a bien vu Jung, n’ont pas de formes: elles ne sont en elles-mêmes que les conditions de possibilités des formes, c’est-à-dire des symboles qui permettent à l’Homme de se les représenter – créées par les plus hautes entités spirituelles, dont la saisie pressentie permet à l’Homme aérien de trouver l’accès, le seul possible pour lui, au monde terrestre en trouvant les noms des figures qui se présentent à lui. Les noms et les formes proviennent de la même source, ils sont corrélés. Le nom est le vêtement infini de l’esprit infini. Et de même que l’Homme de Terre suppose derrière la résistance de la matière une Volonté suprême, de même l’homme d’Air doit supposer derrière la constance des formes une Intelligence suprême, en laquelle il entreprend, en se fiant à elle, de sonder spirituellement ce monde matériel. Si l’Homme de Terre est à proprement parler un physicien, l’Homme d’Air est, quant à lui, un méta-physicien.
[245] Et maintenant, avant de passer à la caractéristique générale de l’Homme Aérien, encore quelques mots sur la relation du monde de l’Air avec le monde de l’Eau:
+ – + Air
– + – Eau
Ce rapport est plus difficile à saisir, car bien qu’il s’agisse d’un pur rapport d’opposition, ce qui est similaire dans ce rapport prend également une importance décisive. Nous pouvons peut-être mieux comprendre cette relation si nous imaginons que le monde Aquatique se place comme une sorte de lien entre le monde Spirituel et le monde Terrestre, entre la forme et sa manifestation dans la matière, entre la pensée et l’acte qui la réalise. La pensée ne contient aucune détermination qui oblige à l’acte de réalisation. Ce n’est que dans le monde Aquatique que naissent les désirs et les passions qui attirent la pensée pure dans le domaine de la matière. Mais ce qui est ainsi provoqué, c’est l’enchaînement ou la limitation par la Matière de la force de pensée qui vagabonde à l’infini. En tant que substitut dans une législation morale, la Matière, en servant à la réalisation ou à l’utilisation de la « matière de la pensée », met en évidence, en même temps que la concrétisation de ce qui était jusqu’alors général, toutes les imperfections de ce qui a été créé dans l’esprit, mais qui n’a pas encore été éprouvé dans la réalité, et prépare ainsi la voie au développement supérieur dans le spirituel lui-même. Le désir, véritable agent de la force hydraulique, n’est certes pas le père de la pensée, mais la mère de sa mise à l’épreuve dans la matière. Nous nous trouvons ainsi devant une connaissance plus profonde qu’il n’y paraît à première vue.
Rappelons le schéma de la structure des mondes Élmentaires, tel qu’il a été donné dans l’introduction:
Terre – Minéral – le corporel
Eau – Plante – le psychique
Air – Animal – le spirituel, et en particulier le mental
Feu – Homme – La moralité et son porteur: « Je »
Dans son ascension vers le divin, l’Homme reconnaît le Feu en lui comme son membre le plus élevé, grâce à son reflet dans le corps, de sorte que l’échelle des degrés s’inverse. Le dernier échelon qui menait jusqu’à l’Homme devient maintenant l’échelon le plus bas, à partir duquel commence son ascension autonome vers le divin.
[246] La figure suivante, qui simplifie le schéma donné à l’époque, devrait le montrer clairement:
Le corps ou la « Terre » dans l’Homme devient ainsi le premier échelon de son ascension ou de son chemin vers l’intérieur; de là, il s’élève à nouveau vers le Feu à travers les régions intérieures de l’Eau et de l’Air. Or, lors de cette évolution intérieure, la région de l’Eau correspond maintenant à ce qui était l’Air lors de l’évolution extérieure, et l’Air correspond à ce qui était l’Eau lors de l’évolution extérieure. Cela signifie qu’en évoluant sur le plan psychique, l’Homme rencontre en lui l’animal qui doit maintenant être transformé (âme animale), et en évoluant sur le plan Spirituel, il rencontre en lui la plante qu’il doit transformer.
Nous comprenons dès lors en quoi consiste la similitude du monde Aquatique et du monde Aérien, et en même temps leur opposition. Ce que l’intellect animal produit dans l’animal devient dans l’Homme sa vie passionnelle, et ce que la vie animale pure produit dans la plante devient dans l’homme sa vie mentale.
Attardons-nous un peu sur cette idée!
La dernière fois que nous avons essayé d’esquisser le portrait de l’Homme Aquatique pur, nous sommes partis de l’état de rêve de l’Homme endormi, de l’Homme qui, comme l’animal, ne possède pas de corps physique, dont le monde onirique est le reflet de ses désirs et de ses passions. L’Homme, en tant que pur Homme Aquatique, vit en fait la vie de l’animal humanisé, ou l’animal, comparé à l’Homme, a une vie de pur rêve. Mais de même que l’animal, considéré humainement, vit une vie de pur rêve, de même la plante, considérée humainement, vit une vie de pure pensée, sauf que cette vie de pures créations de formes ne lui est consciente que de manière pulsionnelle. C’est pourquoi ce qui se manifeste dans la vie végétale en toute pureté se situe au-delà de toutes les passions et de tous les désirs et est l’affirmation constante [247] ou, exprimé plus nettement, l’affirmation défensive des formes pures, telles qu’elles s’unissent par les lois d’une sorte de symétrie au sens le plus large du terme, et telles qu’elles se créent et se maintiennent toujours à nouveau, en dépit de toutes les influences hostiles, par une épreuve intérieure qui représente l’analogue de ce qu’est la vérité dans la vie spirituelle de l’Homme. C’est par la force de cette vérité que les formes-pensées et les édifices de la pensée se renouvellent et se maintiennent en dépit de toutes les forces hostiles, et aucune force brute ne peut les détruire. Et cette vérité se situe également au-delà de toutes les passions et de tous les désirs, qui sont totalement impuissants face à elle.
Mais dans la mesure où cette force défensive de la vérité apparaît dans la conscience de l’Homme d’Air comme la force organisatrice proprement dite de son monde, elle acquiert encore une deuxième destination au sein de sa vie spirituelle ou, autrement dit, elle lui ouvre le regard sur l’autre côté de cette vérité comme loi par laquelle non seulement la douleur spirituelle subsiste seule, mais surtout lui-même, en tant que témoin aidant cette valence, se rajeunit constamment par sa force. En ce sens, il participe directement à cette force motrice intérieure de la vérité, il est entraîné dans l’ivresse de la connaissance créatrice de la vie spirituelle en tant qu’extase de vie, dont le miroir dans le monde physique peut être la joie de vivre en tant que pure ivresse de l’existence, telle qu’elle se manifeste le plus purement dans le monde végétal et se révèle spirituellement comme la beauté: l’autre visage de la vérité.
De l’expérience de cette beauté émane un effet sanctificateur qui appartient tout à fait au monde Spirituel et qui fait de celui qui est saisi par son charme, même s’il est profondément empêtré dans les liens de la matière Terrestre ou les passions du monde Aquatique, un citoyen du monde Aérien pour la durée de cet enchantement, de sorte qu’il se libère de toutes les déterminations et entraves terrestres, de toutes les passions dévastatrices, et qu’il cesse même d’être l’Homme qui porte tel ou tel nom, qui appartient à telle ou telle communauté familiale ou populaire, à telle ou telle époque, à tel ou tel âge de la vie – « pur sujet de la connaissance », c’est ainsi qu’Arthur Schopenhauer le nomme dans cette phase Spirituelle.
Maintenant retiré du monde Terrestre, il se transforme en un Homme Spirituel désincarné et pur. C’est à la source de cette beauté que se renouvellent sans cesse les énergies spirituelles de l’humanité, fatiguées par la Matière et sa résistance, et c’est à sa force curative [248] que se rattachent tous les idéaux; elle guide le pressentiment de l’Homme vers l’action d’une loi qui est au-dessus de toutes les lois terrestres et qui se comporte avec elles comme la liberté intérieure se rapporte à la contrainte extérieure.
Ce qui a été dit jusqu’ici devrait déjà avoir permis d’esquisser les caractéristiques de l’Homme purement Aérien, au point que nous pouvons maintenant dessiner ce type en quelques traits.
L’homme d’Air n’est lui non plus un Homme de la « réalité »; il vit lui aussi, comme l’Homme d’Eau, une vie d’irréalité, que nous ne pouvons toutefois pas, dans ce cas, comparer sans autre à la vie de rêve. Si nous essayons de nous faire une idée d’un Homme qui ne vivrait que dans un monde de pensées et d’images mentales, nous nous heurtons, en essayant de former cette idée de manière conséquente, à une difficulté qui nous apprend immédiatement la particularité du comportement de l’Homme Aérien dans la vie « réelle ».
On ne peut en effet nier que l’Homme rencontre dans cet environnement spirituel, qui ne devrait rien contenir d’autre que ce qui a été produit par la pensée et ses seules lois, des formations de pensées ou des représentations qui, comme le remarque Kant dès le début de sa Critique de la Raison pure, renvoient à une réalité qui se trouve en dehors de sa pensée et qui ne peut pas avoir été produite par cette pensée elle-même.
Mais comme l’Homme d’Air pur n’est entouré d’aucune autre réalité que celle de sa pensée, il doit considérer les contenus de son environnement Spirituel comme s’ils avaient été globalement établis dans leur nécessité par cette pensée elle-même. La pensée de l’Homme d’Air ne peut pas trouver plus tôt le repos et la tranquillité avant d’avoir reconnu tout ce qui se présente à lui dans cet environnement Mental comme une fonction de cette faculté de penser elle-même, et ce qui devient maintenant sa véritable tâche ne peut être ni plus ni moins que de créer encore une fois en esprit, par ses propres forces, tout ce qui se présente à lui comme réalité. L’exemple le plus pur de la création de telles structures, qui nous apparaissent comme des réalités et qui sont pourtant de notre essence, est l’édifice des mathématiques et de la géométrie.
Amener toutes les formes de notre environnement Mental dans un rapport tel que leur relation devienne comme la relation mathématique, tel est le leitmotiv de la vie de l’Homme d’Air, qui ressemble donc au commandement suprême d’une sagesse de vie dont l’emblème est la saisie de la vérité mathématiquement.
[249] Il apparaît déjà clairement que ce leitmotiv peut être appliqué dans un triple sens.
D’abord comme l’exigence idéale d’ériger un tel édifice qui, vu de l’extérieur, ressemble à une imitation du donné naturel par la force créatrice de la pensée, et vu de l’intérieur, à la prémonition de ce donné naturel dans l’esprit. Nous appellerons la force qui permet d’ériger un tel bâtiment la force artistique, le bâtiment lui-même – l’œuvre d’art. Il en résulte la détermination d’une modalité active au sein de la qualité Air, telle qu’elle rayonne dans le Signe cardinal de la Balance. L’Homme de la Balance est l' »artiste ».
La deuxième modalité, ou la modalité passive – féminine – se rapportera à la capacité de l’homme d’Air de se construire, à l’intérieur de l’édifice qu’il s’est bâtit, en l’aménageant dans toutes les directions, un monde totalement fermé sur lui-même, dans lequel il vit comme le moine dans son ermitage, mais qui est plus riche et plus grand, plus glorieux et plus vaste que toute réalité, et dans lequel toutes les choses qui, dehors, « se heurtent durement dans l’espace », « habitent légèrement ensemble » dans leur forme mentale. Appelons provisoirement l’Homme du Verseau ainsi constitué le sage ou l’ermite.
Et enfin une troisième modalité, la modalité équilibrante, qui s’efforce sans cesse d’éprouver la valeur intérieure de cet édifice, d’examiner et de vérifier sans cesse ses fondements. Nous appellerons l’Homme des Gémeaux ainsi brièvement caractérisé le « tentateur » ou, plus simplement, le chercheur.
Mais avant de passer à la description de ces trois sous-espèces de l’Homme d’Air, laissez-moi encore jeter un coup d’œil sur la relation de l’Homme Aérien en général avec les trois autres domaines Élémentaires. En ce qui concerne tout d’abord la relation de l’Homme d’Air avec le monde physique, il est déjà devenu clair que la réalité Matérielle de ce monde, qui était pour l’Homme de la Terre l’instance ultime et suprême de la réalité, ne peut pas avoir la même signification pour l’Homme d’Air. Au contraire, les réalités de ce monde matériel ne lui apparaissent que comme les images projetées d’un monde supérieur, qui sont captées par la Matière comme une sorte d’écran de projection.
Les processus véritablement réels se déroulent donc sur un autre « plan ». Le « plan » physique, comme nous pouvons appeler cette scène de projection du monde Matériel dans le sens de l’Homme d’Air, n’est donc qu’une scène d’effets dont aucun ne peut être saisi dans un rapport de causalité avec un [250] autre de ces effets, de même que les images qui se déroulent sur l’écran de cinéma ne peuvent pas se conditionner les unes les autres de manière causale – elles indiquent plutôt, dans leur caractère de choses apparentes, la véritable cause première qui se trouve au-delà du plan de l’écran. C’est pourquoi certaines écoles occultes appellent la partie du corps mental à laquelle les formes du monde des Idées sont directement accessibles, le corps des causes ou le corps causal.
De cette attitude envers le monde physique, propre à tous les Hommes d’Air, mais dont seuls les plus évolués sont réellement conscients, découle un type d’attitude envers les processus réels de la vie, semblable à la situation d’un spectateur au théâtre.
Celui-ci sait également que ce qui se passe sur la scène doit simplement « présenter » quelque chose, il sait que les acteurs ne sont pas les véritables acteurs du drame, et il en tire la conclusion qu’il peut bien regarder la pièce de théâtre, mais qu’il serait inutile d’intervenir physiquement dans son déroulement pour en changer l’issue. S’il voulait l’influencer, il devrait parler avec le poète lui-même – et celui-ci est au-delà de la pièce. Regarder la réalité de cette manière, comme si elle était l’œuvre d’un poète – un jeu d’ombres –, c’est ce que les Grecs appelaient la théorie. Celui qui regarde la vie de cette manière n’est pas un praticien comme l’Homme de Terre, il n’est pas un exécutant, mais il n’est pas non plus un souffrant comme l’Homme d’Eau, mais tout au plus un critique ou – pour utiliser l’expression des Anciens – un théoricien. L’Homme d’Air est avant tout le théoricien de la vie.
Tous les processus de la vie, et même celle-ci, n’ont pour lui de sens compréhensible que s’ils peuvent être compris comme la vérification ou une sorte d’exemple d’illustration d’une théorie dont la logique interne remplace dans le mental ce qui dans les processus naturels n’a pas de causalité contraignante. Et de même que l’Homme de Terre était plus enclin à douter de sa propre existence que de la réalité du monde extérieur, de même, inversement, l’Homme d’Air est plus enclin à se méfier du témoignage de ses sens que des résultats de sa théorie. Le précepte de Protagoras:
L’Homme est la mesure de toutes choses, de celles qui sont, qu’elles soient, de celles qui ne sont pas, qu’elles ne soient pas
est sans doute à inclure ici.
Or, il résulte de la distance que nous venons de décrire entre l’Homme et la vie réelle une maladresse et une pusillanimité dans l’action qui ne font presque jamais défaut et qui font que presque tous les [251] Hommes d’Air sont des procrastinateurs et des retardataires; ce sont ceux qui, comme le poète rêveur de Schiller, repartent bredouilles lors du partage de la Terre, parce qu’ils n’ont pas pu se décider à défendre ou même à conquérir leur place par la force brute.
Avant de prendre congé de la relation de l’Homme Aérien avec le monde physique, quelques mots encore sur sa position par rapport à l’érotisme. Ce n’est ni la sensualité ni le désir de l’âme qui constituent ici le leitmotiv, ce n’est pas l’union des corps ou des âmes qui est le but du désir. Il s’agit plutôt du désir de quelque chose que les ménestrel – Walter von der Vogelweide en tête – appelaient la Minne – ou « amour courtois », devant la majesté de laquelle ils s’inclinaient avec un pieux respect:
La Minne n’est ni homme ni femme,
Elle n’a pas d’âme, elle n’a pas de corps,
Elle n’a pas eu droit à l’image terrestre;
On sait qu’elle est étrangère ici-bas.
Et pourtant, personne ne peut s’en passer
S’il espère gagner la grâce et la faveur du ciel…
La Minne ne peut être saisi que Spirituellement; c’est le don, qui resplendit dans les profondeurs d’une « mémoire » ouverte à l’au-delà, de reconnaître ce qui était déjà en nous autrefois comme notre autre partie, qui fait indissolublement partie de nous et qui, avec nous seulement, réalise notre unité humaine.
Le sentiment érotique devient ainsi la joie des retrouvailles et de la reconnaissance dans la béatitude du renouvellement d’une alliance qui existait déjà depuis toujours. Mais ce qui donne sa consécration à cette alliance, c’est qu’en elle entre tout ce qui lie l’Homme à l’Homme – donc toute sorte de parenté, qui prend alors la forme d’une fraternité anoblie cosmiquement, qui par essence n’est possible que dans un ordre idéal, le plus grand et le plus vaste, l’ordre de l’humanité elle-même, auquel appartiennent comme frères ou sœurs tous ceux qui se rencontrent en tant que purs citoyens du monde mental. C’est l’amour enraciné dans l’idéal d’une telle appartenance qui transfigure la vie érotique du pur Homme d’Air.
En ce qui concerne le monde Aquatique, l’Homme d’Air occupe une position qui lui impose de chercher partout derrière les passions et les émotions un sens secret, dont la connaissance lui permet de les considérer dans leur ensemble comme les symptômes d’une maladie qui menace l’harmonie spirituelle. Comme les [252] douleurs physiques, les souffrances psychiques indiquent également un point sensible et sont en fin de compte l’expression d’une confusion spirituelle qui doit être corrigée par l’esprit. Les passions et les douleurs sont des erreurs de l’âme dues à l’obscurcissement de la faculté de connaissance claire. Si l’on parvient à clarifier ces confusions, alors apparaît cette forme d’humeur de l’âme qui seule est digne de l’Homme Spirituel, l’humeur calme et sans trouble – la sérénité du sage.
Mais dans les régions sereines,
Où résident les formes pures,
La tempête de la tristesse ne gronde plus.
Plus aucune larme ne coule ici sur la souffrance,
Seulement la résistance courageuse de l’esprit.
Comme le feu de l’iris
sur la rosée parfumée du tonnerre,
À travers le voile de la nostalgie,
Le bleu de la sérénité transparaît.
SCHILLER, L’Idéal et la Vie
La position de l’Homme Aérien par rapport à son propre territoire a déjà été suffisamment caractérisée. En ce qui concerne les sciences, il est tout à fait métaphysicien; ses aspirations vont vers ce que Kant a appelé la « science pure », c’est-à-dire une science dont les connaissances sont parfaitement liées par les lois de la logique. Mais cela montre déjà clairement que ce qui apparaît ici comme une science, contrairement au caractère empirique de la science de l’Homme de Terre, prend un caractère fortement spéculatif, ou plutôt constructif, de sorte que la science qui naît de cette manière est par essence apparentée à l’art.
Toute la science dans le domaine de l’Air a pour mission de rechercher les lois qui constituent en même temps le plan de construction de la plus grande œuvre d’art, que les Grecs appelaient avec une admiration pleine de vénération le cosmos (littéralement « ornement« ) – l’édifice du monde. Dans le cosmos, les lois de l’art humain et de la science de la région Aérienne s’écoulent de la même manière. Toutes les sciences de cette région ont donc le caractère de « science de l’esprit ».
[253] Et l’art? Il est l’expérience adéquate pour une telle science de l’esprit, dans le vrai sens du terme; c’est la tentative de créer un cosmos en miniature et d’utiliser ainsi l’énergie créatrice de la faculté de connaissance pour s’exercer sur le fantôme. L’art sur le plan mental devient un champ d’exercice de l’esprit humain – une école préparatoire à la sagesse.
C’est pourquoi l’Homme d’Air ne cherche dans l’œuvre d’art ni la régularité des formes, ni le romantisme d’une âme prête à une conception supérieure, mais le messager spirituel du monde supérieur qui lui murmure le mot d’ordre ouvrant la porte du Ciel pour le laisser entrer, après avoir rejeté les choses terrestres, comme hôte où le créateur peut entrer et sortir selon sa volonté! La beauté est, nous l’avons vu, le signe de reconnaissance de ce messager. Elle devient le critère de toute évaluation artistique. L’artiste lui-même devient le maître d’une sagesse qui, bien qu’étant la même que celle à laquelle aspire la science de l’esprit, lui est cependant supérieure, ou comme Ludwig van Beethoven l’a dit un jour de la musique:
La musique est une révélation plus haute que toute la sagesse de la philosophie.
et Schiller dans son ode Aux Artistes:
Ce que la raison vieillissante n’a inventé qu’après des millénaires,
Se trouvait dans le symbole du beau et du grand
Révélé d’avance à l’intelligence puérile.
Pour l’Homme d’Air, la valeur de tout art réside dans le fait qu’il représente un symbole de vérité.
Et maintenant encore quelques mots sur la position de l’Homme d’Air par rapport au problème moral. Il est clair que les critères du bien et du mal ne peuvent pas être vus ici dans l’acte bénéfique ou nuisible, ni dans le degré d’implication dans la charge héréditaire et la passion, mais seulement dans la disposition qui soit renie ce qui a été reconnu comme le bien, soit le prouve à tout prix. Il en résulte qu’il ne peut y avoir qu’une seule forme de mal, à savoir: agir contre la vraie conviction. Ce qui vient ainsi dans le monde n’est pas le « mal » ni la « faute », mais le « péché » ou la tentative sacrilège de saper l’édifice de la vérité elle-même, qui constitue la base du monde Spirituel! Ce qui apparaît donc ici comme la faute la plus grave, c’est le mensonge sous toutes ses formes! C’est de lui que naissent les plus grands [254] dangers dans le domaine Aérien. C’est par lui que naît la contrepartie du beau – le laid, le faux. Nous y reviendrons plus tard.
Passons maintenant aux différents Signes d’Air eux-mêmes.
1En allemand: die Gestalt.
2En allemand: Nutzbarkeit
3En allemand: Wesenheit