Aux origines modernes de l’État d’Israël: le foyer national juif et la déclaration Balfour

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les sionistes s’activent pour inciter les Britanniques à créer le Foyer national juif. Alors que la Grande-Bretagne en 1916 est en difficulté, acculée par l’Empire germanique et sur le point de signer l’armistice proposé par le Kaiser, une délégation sioniste d’Allemagne se rend en Grande-Bretagne, au British War Cabinet (le Cabinet britannique de la Guerre) pour proposer un marché à celle-ci. C’est en 1961 que cet épisode a été relaté par Benjamin Harrison Freedman (1890-1984), homme politique et homme d’affaires juif américain, au cours d’une conférence sur le sionisme à l’hôtel Willard de Washington:

Les sionistes, à Londres, sont allés au British War Cabinet, et leur ont dit “regardez, vous pouvez encore gagner cette guerre, vous n’avez pas besoin d’abandonner, vous n’avez pas à accepter les négociations proposées par l’Allemagne. Vous pouvez gagner cette guerre si les États-Unis entrent en guerre en tant qu’alliés. Nous vous garantissons de ramener les États-Unis dans cette guerre et de combattre à vos côtés, si vous nous promettez la Palestine après que vous aurez gagné la guerre.”

Benjamin Harrison Freedman, Discours sur le Sionisme, 1961.

Des déclarations officielles du Premier ministre britannique de l’époque, Lloyd George, faisant état de ce marché conclu, sont consignées dans le rapport de la Commission Peel (juillet 1937)(22):

Dans les preuves qu’il a apportées devant nous, M. Lloyd George, qui était Premier ministre à l’époque, a déclaré que, tandis que la cause sioniste avait été largement soutenue en Grande-Bretagne et en Amérique avant novembre 1917, le lancement de la déclaration Balfour à cette époque était “dû à des raisons de propagande” et il a souligné la grave position dans laquelle se trouvaient alors les puissances alliées et associées. Les Roumains avaient été écrasés. L’armée russe était démoralisée. L’armée française était incapable à ce moment de lancer une offensive à grande échelle. Les Italiens ont subi une grande défaite à Caporetto. Des millions de tonnes de navires britanniques ont été coulés par les sous-marins allemands. Aucune division américaine n’était encore disponible dans les tranchées. Dans cette situation critique, on pensait que la sympathie des Juifs ou l’inverse ferait une différence substantielle dans un sens ou dans l’autre pour la cause alliée. En particulier, la sympathie juive confirmerait le soutien des Juifs américains, et rendrait plus difficile pour l’Allemagne de réduire ses engagements militaires et d’améliorer sa position économique sur le front oriental.

1936-37: Palestine Royal Commission Report (Royal Commission).

C’est dans ces circonstances que le gouvernement britannique a publié la déclaration Balfour:

Les dirigeants sionistes (M. Lloyd George nous a informés) nous ont fait la promesse formelle que, si les Alliés s’engageaient à accorder des facilités pour l’établissement d’un foyer national pour les Juifs en Palestine, ils feraient de leur mieux pour rallier le sentiment et le soutien des Juifs du monde entier à la cause alliée. Ils ont tenu parole.

Rapport de la Commission royale sur la Palestine, présenté par le Secrétaire d’État aux Colonies au Parlement sur ordre de Sa Majesté, juillet 1937, p. 23.

Et c’est précisément ce qui se passa. Les États-Unis, qui n’avaient aucun intérêt dans ce conflit européen, sont venus à l’aide des Britanniques en déclarant la guerre à l’Allemagne le 02 avril 1917. L’avocat juif Louis D. Brandeis (descendant d’une famille sabbato-frankiste), alors président de la Cour suprême des États-Unis, et le rabbin Stephen Wise (cofondateur de la Fédération sioniste de New York en 1897 et président du Congrès juif américain de 1922 à 1946), ont pesé sur les décisions du président Woodrow Wilson pour qu’il fît entrer en guerre les États-Unis et pour qu’il soutînt la Déclaration Balfour; un procédé semblable a été employé pour pousser le président Truman à reconnaître l’État d’Israël en 1948.

En outre, Chaïm Weizmann (1874-1952), qui présidait l’Organisation sioniste mondiale (à partir de 1920) et qui devint le premier président de l’État d’Israël (en 1948), fut très actif durant la Première Guerre mondiale. Dans cette période il fut très proche du gouvernement britannique, pour qui, en tant que chimiste, il élabora une formule pour la fabrication d’explosifs. Mais il n’était pas qu’un simple chimiste, il joua aussi un rôle diplomatique important. Weizmann prétendait, à raison, détenir, comme le souligne Henry Laurens, une influence considérable sur les Américains et la Russie bolchevique. Laurens ajoute que Weizmann utilisait de façon constante cette grande influence.

La promesse des sionistes ayant été tenue avec l’entrée en guerre des États-Unis, sept mois plus tard, jour pour jour, le 02 novembre 1917, fut publiée la déclaration Balfour. Cette déclaration est une lettre d’Arthur James Balfour, ministre des Affaires étrangères britannique faite au banquier Lionel Walter Rothschild, dans laquelle il promettait la création d’un foyer juif en Palestine. Voici le contenu de cette fameuse déclaration:

Cher lord Rothschild, j’ai le grand plaisir de vous adresser de la part du Gouvernement de Sa Majesté la déclaration suivante, sympathisant avec les aspirations juives sionistes, déclaration qui, soumise au cabinet, a été approuvée par lui. Le Gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un Foyer national pour le peuple juif et emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte soit aux droits civils et religieux des communautés non juives existant en Palestine, soit aux droits et au statut politique dont les Juifs disposent dans tout autre pays. Je vous serai obligé de porter cette déclaration à la connaissance de la Fédération sioniste.

Traduction française d’époque, extraite de L’Asie française, 1925, p. 145. Cité par Laurens p. 164.

Henry Laurens fait remarquer que la déclaration Balfour ne mentionne les Arabes de Palestine (musulmans et chrétiens) que comme collectivités non juives ayant des droits civils et religieux. Dès le départ, il leur est refusé le statut de peuple ayant des droits politiques. Pour Balfour comme pour d’autres responsables britanniques, reconnaître des droits nationaux aux Arabes de Palestine est contradictoire avec la volonté de créer un foyer national juif.