Printemps 2022: ingénierie sociale simultanée

Tiré du Manifeste conspi, pages 135-9:

Le coup de mars 2020 a partout pris la couleur locale : doloriste-macabre en Espagne, gris-fonctionnel en Allemagne, pastoral-hystérique en Italie, furieusement disciplinaire et faussement égalitaire en France, sereinement désordonné en Grèce, gore-assassin aux Philippines. C’était inévitable.

Quant à ses méthodes, en revanche, il fut uniforme. Les mêmes manœuvres transparaissent aux mêmes dates dans les différents pays, pour le peu de documents qui ont, à ce jour, fuité.

Allemagne

En Allemagne, le secrétaire du ministère de l’Intérieur Kerber écrit le 18 mars à une brochette de « scientifiques de référence », dont le chef de l’Institut Robert-Koch et notre cher virologue Christian Drosten. Il les appelle au secours pour qu’ils rédigent dans les plus brefs délais un document permettant de justifier « de nouvelles mesures de nature préventives et répressives ». Il en va « du maintien de la sécurité intérieure et de la stabilité de l’ordre public en Allemagne ». Rien de moins.

Il faut que le mal soit implacable afin que les règlements puissent l’être aussi.

Une « plateforme de recherche ad hoc » mariant scientifiques et ministère de l’Intérieur se constitue dès lors. Rien de ce qui s’y échange ne doit s’ébruiter, en aucun cas : « Zéro bureaucratie. Maximum de courage », s’enthousiasme Kerber. Heureusement pour nous, quelqu’un a eu le courage d’en divulguer les échanges.

Toujours lyrique, le secrétaire ose comparer son petit complot avec la mission Apollo 13 vers la Lune en 1970. Suite à des dysfonctionnements en série, la NASA était passée à deux doigts de ne jamais revoir ses astronautes vivants. « Une tâche très difficile, mais qui finit bien grâce à une collaboration maximale. » Les chercheurs s’exécutent. La collaboration est, en effet, maximale.

Quatre jours plus tard, la précieuse étude scientifique, opportunément estampillée « secret-défense », tombe entre les mains de la presse. Une inexplicable indiscrétion. Elle annonce, modélisation à l’appui, un million de morts à venir si les mesures les plus énergiques ne sont pas prises immédiatement. L’Institut Robert-Koch invente un taux de létalité double de celui que l’on observe alors. L’effet de déflagration médiatique recherché est instantané. On a enfin fait naître dans l’esprit des Allemands les bonnes images : « Plein de malades dans un état grave sont amenés à l’hôpital par leurs proches, mais sont renvoyés chez eux et meurent asphyxiés dans d’atroces souffrances. »

On pourrait  plaider  que de  naïfs  scientifiques ont  cédé  à  une requête pressante d’autorités bien intentionnées. Il n’en est rien. C’est l’un des scientifiques, dont le nom est malheureusement noirci dans la correspondance publiée, qui divague sur les meilleurs moyens de susciter:

« la peur et le suivisme dans la population ». Et qui préconise : « Il faut contenir le sentiment d’impuissance diffus par l’impression d’un interventionnisme étatique musclé. »

Royaume-Uni

Le jour même de la révélation de l’étude allemande, le 22 mars 2020, un organe consultatif du gouvernement britannique, le « Groupe scientifique indépendant “pandémie grippale” sur les comportements » (le SPI-B) dépendant du « Groupe de conseil scientifique sur les situations d’urgence » (SAGE) communique aux autorités un rapport intitulé « Options pour accroître l’adhésion aux mesures de distanciation sociale ». Avec la constitution en 2010 de la Behavorial Insight Team (BIT), l’exécutif britannique fait figure de pionnier européen en matière d’application des « sciences comportementales » aux politiques publiques. Le futur prix Nobel d’économie Richard Thaler, auteur en 2008 avec Cass Sunstein du manifeste de l’économie comportementale Nudge, a parrainé en personne la naissance du BIT. Le rapport du SPI-B pointe un certain nombre de manques et suggère les remèdes correspondants. D’abord, « un nombre conséquent de gens ne se sentent pas suffisamment menacés personnellement […] Le niveau perçu de menace personnelle doit être augmenté parmi ceux qui se montrent complaisants en utilisant des messages émotionnels qui frappent dur. […] Ces messages doivent souligner et expliquer le devoir de protéger les autres. […] Les stratégies de communication doivent procurer l’approbation sociale aux comportements requis et promouvoir l’approbation sociale à l’intérieur de la communauté. […] L’expérience britannique en matière d’application de l’obligation de porter la ceinture de sécurité suggère qu’avec la préparation adéquate de rapides changements peuvent être réalisés. Certains pays ont introduit l’isolement obligatoire à large échelle sans troubles publics majeurs […] La désapprobation sociale de votre communauté peut jouer un rôle important dans la prévention des comportements antisociaux ou décourager les infractions aux comportements pro-sociaux. […] Il existe neuf grandes manières de parvenir à un changement de comportement: éducation, persuasion, incitation, coercition, habilitation, formation, restriction, restructuration environnementale et modélisation. » Suivent toutes sortes de conseils pratiques qui furent si bien appliqués que, dix jours après la remise du rapport, les rues du pays étaient couvertes des messages suggérés. « Restez chez vous. Sauvez des vies », « Le coronavirus, tout le monde peut l’avoir, tout le monde peut le répandre », etc. À la mi-avril 2020, une campagne schizo « Tous dedans, tous ensemble » était lancée main dans la main par le gouvernement et la presse nationale. Quel que soit votre journal, il était enveloppé de la même jaquette qui ordonnait : « Restez chez vous pour l’hôpital public, votre famille, vos voisins, votre nation, le monde et la vie même. »

France

Le 20 mars 2020, en France, a lieu la première téléréunion de l’équipe

« Sciences comportementales » de la Direction interministérielle à la transformation publique – l’administration chargée de mettre l’administration « en mode start-up » – avec la Nudge Unit de BVA, une agence de publicité en quasi-faillite, animée par Eric Singler – un gourou de la com’ qui croit savoir que « les humains ne sont pas rationnels » ou que « la recherche a prouvé que l’homme tend naturellement à se conformer à la norme ». Les gouvernants français, avec leur mélange caractéristique de fatuité et de suivisme angoissé, ont attendu 2018 pour se convertir aux « sciences comportementales ». Dix ans plus tôt, Barack Obama – un type assez dual, dans son genre – y avait massivement recours pour sa campagne et les installait, en la personne de Cass Sunstein, à la Maison-Blanche dans la foulée. La fine équipe qui téléconférencie quatre jours après la pathétique « Adresse aux Français » du président – « Nous sommes en guerre. […] L’ennemi est là, invisible, insaisissable, qui progresse. Et cela requiert notre mobilisation générale » – va faire passer le nudge français, d’après Singler, « d’un stade exploratoire à un stade industriel ».

Et en effet, rien ne nous sera épargné : ni les SMS du gouvernement, ni le décompte quotidien des morts « pour ancrer l’idée de danger pour soi et ses proches », ni les métaphores grotesques – première, deuxième ou troisième lignes –, ni les autoattestations ubuesques conçues pour être si impénétrables que vous renoncez à les remplir et donc à sortir, ni les néologismes-pièges tels que les « gestes barrières » ou la distinction entre « présenciel » et « distanciel » – qui anticipe, par l’équivalence qu’elle suggère, la mise au rebut de professions entières, à commencer par cet irritant corps professoral pourtant si discipliné –, ni la signalétique débile, digne de la maternelle, qui a subitement envahi espace public, ascenseurs, trains, quais et supermarchés, ni les prêches radio des éditorialistes du service public martelant que « les contaminations ne résultent que de nos comportements individuels et collectifs », d’une « somme d’imprudences » et du « relâchement des Français ».

C’est Ismaël Émelien, un ancien de l’agence Havas, qui suggéra d’avoir recours à la Nudge Unit de BVA. Un homme, donc, qui est passé pour le « cerveau » du président jusqu’au jour où il a ouvert la bouche en public. Contre les esprits chagrins, il défend son intercession philosophiquement:

« C’est un débat théorique. En réalité, tout est manipulation. »

Ismaël Émelien

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