Et maintenant, essayons de comprendre le sens de ce cercle et de cette lutte, de cette oscillation et de cette rotation – de cette pulsation cosmique – en partant de faits très simples, tels que la vie quotidienne nous les présente directement. Nous chercherons à connaître le déroulement en deux phases de notre vie quotidienne afin de le comprendre sur l’arrière-plan de notre vie cosmique. Nous voulons nous plonger dans un état de plénitude de cette pulsation du cordon ombilical cosmique, qui nous apporte le courant de vie du cosmos et sa loi, comme la nourriture à l’embryon.
Si nous nous laissons aller à l’impression que nous donne le déroulement de la vie dans sa forme la plus extérieure, nous ne pouvons pas ne pas voir qu’il y a en lui une structure rythmique qui correspond à une alternance régulière de périodes [88] de fréquence plus ou moins grande, comme les longueurs d’onde plus ou moins grandes de différents sons. Le changement de période le plus impressionnant et peut-être le plus élémentaire est l’alternance quotidienne de la veille et du sommeil, correspondant à l’alternance du jour et de la nuit, un autre – analogue à celui-ci, mais plus étendu dans le temps – est l’alternance de l’été et de l’hiver.
Les deux rythmes reflètent deux phases du rythme terrestre; deux mouvements circulaires de la Terre; l’un, à court terme, une rotation axiale, l’autre, à long terme, une rotation autour du Soleil: le jour et l’année, les mesures de base dans le déroulement de la vie. Le printemps et l’été correspondent à la phase diurne, l’automne et l’hiver à la phase nocturne.
La phase diurne de notre journée civile ordinaire commence lorsque le soleil se lève et se poursuit jusqu’à son coucher, la phase nocturne commence lorsque le soleil disparaît sous l’horizon et se termine lorsqu’il revient. La phase diurne de l’année commence lorsque l’équinoxe de printemps a lieu et que les jours deviennent plus longs que les nuits, la phase nocturne de l’année lorsque les nuits prennent le dessus sur les jours après l’équinoxe d’automne.
Essayons maintenant de nous rendre compte comment ces deux rythmes terrestres se répercutent sur le cours de la vie humaine, comment nous vivons cette pulsation de la Terre, comment l’alternance périodique de ces deux phases, la phase diurne et la phase nocturne, se répercute psychiquement et spirituellement dans la conscience de l’Homme, alors se présente à nouveau à notre regard intérieur, avec la force d’une vision, le fait d’une double nature de notre être, dont les parties se comportent l’une par rapport à l’autre comme le 1 par rapport au 2, comme les nombres primordiaux, qui s’opposent dans l’acte de révélation, mais aussi comme Rajas et Tamas, comme actif et passif, comme masculin et féminin.
Quand il fait jour, nous vivons vers l’extérieur – en émettant de la force, en faisant, en agissant, en créant, en nous réalisant avec l’environnement. Quand il fait nuit, nous ne vivons plus que vers l’intérieur, incapables d’émettre de la force, incapables de faire, incapables d’agir, incapables de créer, incapables de nous réaliser avec l’environnement maintenant englouti, effacé. Notre conscience, complètement tournée vers l’intérieur, ne vit plus que dans un monde intérieur, dans lequel tout ce qui était notre monde extérieur dans la phase diurne ne trouve accès que sous la forme que notre mémoire est capable de lui donner – ne vivent maintenant que les images-souvenirs plastiques du passé – notre passé. Dans la phase diurne, nous sommes tournés vers l’avenir, portés en avant dans le temps, augmentant le fonds de nos expériences, acquérant du nouveau, [89] créant du nouveau, vivant du nouveau. Dans la phase nocturne, nous sommes tournés vers le passé. La nouveauté n’a pas accès à nous, nous ne faisons que rassembler, classer, stratifier et passer au crible l’ancien, ce qui est déjà devenu. Oui, dans la mesure où l’avenir semble nous préoccuper, il ne se produit que sous la forme sous laquelle il a été désiré ou redouté le jour.
Les rêves dits de vérité ou d’avertissement représentent eux aussi du « futur », mais pas pour le dormeur, pour qui ils semblent être un « présent » qu’il subit sans pouvoir se défendre! L’essence du rêve d’avertissement est qu’il représente comme déjà arrivé ce qui ne deviendra effectivement réalité que plus tard.
Le jour est comme une sortie de nous-mêmes, comme un dépouillement, comme une sortie de nous-mêmes, la nuit comme un retour à la maison. Goethe décrit dans son Faust le sentiment solennel avec lequel nous nous apprêtons à rentrer chez nous le soir:
J’ai quitté les champs et les prés
qu’une nuit profonde recouvre
avec un soupçon d’horreur sacrée,
nous éveillons en nous une âme meilleure.
Les instincts sauvages se sont endormis
avec chaque action impétueuse,
l’amour humain se réveille,
l’amour de Dieu s’agite maintenant.
Ah, si dans notre cellule intime
la lampe se rallume avec bienveillance,
alors la lumière se fait en nous,
dans le cœur qui se connaît lui-même.
Verlassen hab’ ich Feld und Auen
Die eine tiefe Nacht bedeckt
Mit ahnungsvollem, heil’gem Grauen
In uns die bess’re Seele weckt.
Entschlafen sind nun wilde Triebe
Mit jedem ungestümen Tun,
Es reget sich die Menschenliebe,
Die Liebe Gottes regt sich nun.
Ach, wenn in unserer trauten Zelle
Die Lampe freundlich wieder brennt,
Dann wird’s in unserm Innern helle,
Im Herzen, das sich selber kennt.
C’est par ces mots que Goethe décrit l’humeur de l’âme à la fin de la phase diurne, le soir. Entre le jour et la nuit, et entre la nuit et le jour, il y a le réveil matinal comme une ivresse printanière, l’attente d’un retour au monde extérieur avec toutes les nouvelles implications qui en résulteront; et avant le retour à l’intérieur, le sentiment du soir, le sentiment de la fin de la journée, le pressentiment de l’immersion imminente dans la phase d’éveil et d’intériorisation.
De même que les animaux et les plantes qui hibernent ne sont pas en mesure d’absorber de la nourriture provenant de l’environnement pendant cette phase nocturne intérieure et ne sont plus capables que de consommer les substances qu’ils ont accumulées pendant la phase diurne, de même [90] cet état nocturne de l’être humain correspond intérieurement à une consommation des réserves de la vie mémorielle. Mais cette consommation des réserves, qui remplit la phase nocturne, est d’une importance énorme pour tout ce qui constituera notre travail diurne le lendemain. En effet, cette consommation renouvelle l’utilité des impressions accumulées durant la journée écoulée et les intègre dans l’ensemble de notre constitution intérieure, de sorte que nous abordons la nouvelle journée de manière plus ordonnée, plus rassemblée et donc plus riche, grâce à ce travail de digestion nocturne dont le fruit constitue le « don du matin » pour la journée à venir. C’est ainsi que nous renaissons chaque jour en un certain sens, en tant que rejetons et héritiers de notre ancêtre d’hier, pour mourir à nouveau chaque soir en un certain sens.
Le sommeil et la mort, l’endormissement et la mort se correspondent comme la veille et la vie, comme l’éveil et la naissance. Le sommeil et la mort, la naissance et la mort sont également deux phases et leur alternance dans une succession de périodes à grande échelle: la vie est la phase masculine, ce qui peut se trouver entre la mort et le retour à la vie est la phase féminine.
La relation entre le matin et le soir est similaire à celle qui existe entre le début du printemps et celui de l’automne, tandis que les solstices, comme le midi et le minuit, sont des moments où une sorte de changement d’humeur se prépare intérieurement pour la phase suivante. L’entrée du soleil dans les points équinoxiaux du zodiaque en fait des points de repère de la renaissance ou de la résurrection d’une part (printemps), et de la mort ou de l’entrée dans le grand jugement et de la préparation à un nouvel éveil d’autre part, des points de repère qui jouaient un rôle énorme dans la vie des peuples primitifs qui, de par leur proximité avec la nature, vivaient directement le sens de ce grand rythme de vie et l’alternance des deux phases. Ces points de repère devinrent ainsi en quelque sorte les mesures de la vie de l’Homme et de la vie cosmique, comme les signes sur le cadran d’un immense mécanisme d’horlogerie, dont la marche s’effectue selon les mêmes « lois d’airain, éternelles et identiques », selon lesquelles nous devons tous « accomplir les cercles de notre existence ».
Quelle que soit la manière dont cette expérience en deux phases que nous venons de décrire se manifeste intérieurement, elle met en évidence ce qui correspond aux deux pôles opposés dans l’acte de révélation lui-même, qui se manifestent par les deux premiers nombres – 1 et 2. Rajas et Tamas, [91] qui s’unissent par le Sattwa (périodicité): 3. La qualité originelle masculine et féminine et leur association.
Source: Das Testament der Astrologie, tome 1, Oskar Adler, 1930-38