[324] La fête de la Toussaint m’a toujours semblé être l’une des plus belles de l’année chrétienne. Tout au long de cette année, nous célébrons à intervalles réguliers la naissance des grands de l’Église, tout comme dans la vie privée nous célébrons la naissance de nos amis. La seule différence est que dans le calendrier ecclésiastique, nous célébrons généralement l’anniversaire d’un saint non pas dans cette vie physique, mais dans la vie plus large de la sphère supérieure; c’est-à-dire que nous gardons ce qui est communément appelé la date de sa mort. Nous le faisons non seulement par affection pour lui, mais aussi pour nous rappeler le noble exemple qu’il nous a donné. Nous remercions Dieu pour l’exemple du saint, et pour le glorieux encouragement de son succès. Mais ce n’est pas tout, il y a encore quelque chose de plus, et c’est précisément ce quelque chose de plus qui est souvent si tristement méconnu. J’ai déjà fait remarquer que chez beaucoup de ceux qui se disent chrétiens, l’idée de l’intercession des saints semble susciter une quantité étonnante de colère et de préjugés incompréhensibles. Avec une irascibilité extraordinaire, ils clament qu’il est malveillant de notre part de demander l’aide des saints, et encore plus ridicule de l’attendre. Il m’a toujours semblé que c’est une question qui relève de notre bon sens; si cette aide doit être obtenue, elle doit s’inscrire dans le plan de Dieu et sous sa providence, car il travaille par des moyens et des intermédiaires, alors pourquoi serait-il malveillant ou ridicule de la demander? [325] Considérons quels sont les faits dans cette affaire.
Tout grand professeur de religion est un centre d’inspiration et d’aide active. Prenez, par exemple, une personne que beaucoup d’entre nous connaissent et aiment, Mme Annie Besant. Beaucoup d’entre nous lui sont profondément reconnaissants de l’enseignement qu’elle donne dans ses livres, qui a changé tout l’aspect de la vie de milliers d’hommes et de femmes; mais nous lui sommes également profondément reconnaissants de son inspiration et de son exemple, ainsi que, dans de nombreux cas, des conseils personnels directs qu’elle nous a prodigués. Lorsqu’elle se débarrassera de son corps physique – et ce jour sera peut-être lointain – cette inspiration et cet exemple seront-ils moins réels? Nous lui envoyons fréquemment des pensées d’amour dévoué maintenant, et la réponse que nous recevons est sans aucun doute édifiante; cela sera-t-il moins vrai alors? L’Homme que nous avons considérée comme si pleine d’amour, de force et d’utilité dans ce monde, ne change pas au moment de sa mort; il garde toutes ces caractéristiques même sans corps physique. Car dans ces questions, nous avons affaire au moi essentiel, et celui-ci ne meurt pas.
Certains, tout en admettant d’emblée qu’un tel pouvoir de réponse resterait tout à fait inchangé pendant la vie astrale, se sont encore demandé s’il ne serait pas entravé par les limitations du monde céleste. Il faut se rappeler que pour l’Homme développé – le saint – ces limitations n’existent plus. L’Homme ordinaire ne s’en trouve empêtré que parce que son corps mental est encore imparfaitement évolué; celui dont le corps mental est en pleine activité se déplace aussi librement sur le plan mental que la plupart d’entre nous le font dans l’astral. Et dans tous les cas, de telles limitations [326] ne sont que celles de la personnalité, du moi existentiel. Quels que soient les pouvoirs que possède le moi essentiel, il les possède de manière permanente, et il peut les utiliser quasiment sans considération des conditions spécifiques du véhicule inférieur. Il ne fait aucun doute que pour chacun d’entre nous figure en ce moment dans le monde céleste plusieurs de nos amis disparus, bien que dans la conscience physique nous n’en sachions rien. Chacun se fait sa propre image de cet ami défunt qu’il aime, et cet amour même constitue un appel au moi essentiel de l’être aimé, appel qui n’est jamais laissé sans réponse. Le moi essentiel, éveillé par ce toucher parfait, se déverse immédiatement et remplit cette forme-pensée; mais il n’est pas de son ressort d’imprimer son action, ni sur son propre cerveau physique (s’il en a un en ce moment), ni sur celui de l’objet de son affection. Le moi essentiel est certainement capable de remplir mille images dévachaniques à la fois.
Les saints d’autrefois peuvent maintenant renaître, et peuvent travailler noblement dans une autre personnalité. En effet, j’en connais personnellement beaucoup qui le font; par exemple, Saint Bernard de Clairvaulx, Saint François d’Assise et Saint Antoine de Padoue sont tous actuellement en incarnation et travaillent énergiquement pour les mêmes idéaux qu’ils ont si noblement poursuivis sous ces noms historiques. Les personnalités actuelles – leurs mois existentiels – ne savent peut-être rien ou presque de leur travail en tant que saints, mais leurs moi essentiels sont toujours aussi actifs. Ce que nous savons être vrai pour ces personnes et pour d’autres doit certainement être vrai aussi pour des milliers de cas que nous ne connaissons pas. Les appels à de tels mois essentiels développés suscitent sans aucun doute des réponses amicales et utiles de leur part. Nous ne demandons pas leur intercession, [327] parce qu’une telle idée est basée sur une conception indigne de Dieu – une suggestion qu’Il a besoin d’être propitié ou apaisé; mais nous demandons leur bénédiction et leur pensée amicale. En tant qu’évêque, je donne la bénédiction de Dieu à la fin de chaque service, ou chaque fois qu’on me demande d’exercer ma charge; pensez-vous que je serai moins disposé ou moins capable de la donner lorsque je laisserai tomber ce corps physique? Et sûrement ce que je peux faire, et que je serai heureux de faire, ces personnes bien plus importantes peuvent le faire aussi.
Commençons-nous à voir maintenant ce que signifie la doctrine de la Communion des Saints? Ne voyons-nous pas maintenant comment ce que l’on gagne est vraiment gagné « pour tous ceux qui sont prêts à le partager »? Pourquoi devrions-nous nier le fait de la Communion des Saints, et pourquoi devrions-nous rejeter ses avantages? Lorsque nous deviendrons à notre tour des saints, ne serons-nous pas heureux d’aider nos semblables? Alors pourquoi ne seraient-ils pas également prêts à faire ce qu’ils peuvent? Acceptons volontiers l’aide que le plan de Dieu nous offre; rendons grâce à Dieu pour toutes les bonnes personnes et recevons volontiers tout ce qu’elles peuvent donner.
Le jour de la Toussaint, nous célébrons, louons la vaste foule de saints hommes qui n’ont pas été suffisamment remarqué pour qu’un jour spécial leur soit assigné – qui ont vécu des vies belles et utiles qui, bien que reconnues sans aucun doute par Dieu, n’ont pas attiré l’attention des fonctionnaires de l’Église chargés de recommander des Hommes pour la canonisation. Il doit y avoir plusieurs milliers de ces héros inconnus de la foi – oui, de toutes les confessions – qui sont tout aussi dignes de notre gratitude et de notre reconnaissance que ceux dont le nom a été [328] préservé à travers les âges. Nous consacrons donc cette journée à leur mémoire.
L’une des petites difficultés que nous rencontrons dans la poursuite du travail pratique de l’Église catholique libérale est de trouver des hymnes appropriés que nous pouvons chanter de tout notre cœur, en pensant vraiment à chaque mot qu’ils nous mettent dans la bouche. Nos difficultés tiennent principalement à l’attitude indigne adoptée envers la divinité et à la théorie erronée de l’expiation par procuration; mais nous sommes également contraints de rejeter de nombreux beaux hymnes anciens en raison de la vision grossièrement matérialiste qu’ils adoptent de la condition future de notre peuple dans les mondes supérieurs.
Il serait difficile de chanter sans un sentiment d’irréalité un vers comme:
Voilà le trône de David;
Et là de soins libérés
Le cri de ceux qui triomphent
Et le chant de ceux qui festoient.
L’implication selon laquelle la même personnalité restera pour toujours dans un paradis imaginaire est bien sûr infondée, car nous savons qu’en temps voulu, cette personnalité prendra fin et que le moi essentiel se réincarnera. Mais il nous sera tout à fait possible de chanter un grand nombre de ces beaux hymnes anciens lorsque nous réaliserons que leurs expressions sont censées être considérées comme symboliques; car il est parfaitement vrai que la vue ouverte de Dieu et la gloire inimaginable de sa présence perpétuelle sont des faits toujours vivants pour le moi essentiel hautement développé – ceci est d’autant plus vrai bien sûr pour la Monade; mais vrai pour le moi essentiel également lorsqu’il vient avec cette Monade et en est une expression parfaite à son niveau. Et donc, quand on pense aux [329] saints comme toujours en présence, nous devons être conscients qu’ils ne sont pas confinés à un endroit particulier, mais que, où qu’ils soient et quel que soit le plan sur lequel ils opèrent, « leurs Anges voient toujours la face de notre Père qui est aux cieux »; le vrai Soi, sur son propre plan, est toujours consciemment en présence directe de la Déité.
Il n’y a pas de place particulière, car nous sommes tous dans cette présence ici et maintenant; c’est seulement que nous n’avons pas encore appris, comme le saint l’a fait, à en être pleinement conscients. Même le saint peut avoir cette conscience, bien que rarement et imparfaitement dans son cerveau physique; mais dans son corps causal, il l’a toujours. C’est pourquoi il est vrai de dire des saints:
Maintenant ils règnent dans la gloire céleste,
Maintenant ils marchent dans la lumière dorée;
Maintenant, ils boivent comme dans un fleuve,
la béatitude sacrée et l’infini.
La faiblesse et l’insuffisance de toutes ces expressions symétriques ne doivent pas nous faire oublier la vérité infiniment glorieuse de la Communion des Saints.
Soyez très sûrs que, tout comme le Christ lui-même existe, tout comme la Hiérarchie de ses saints Anges existe, ainsi existe aussi la Grande Fraternité Blanche, la Communion des Saints. Remercions Dieu, lors de cette grande fête, pour l’exemple, l’encouragement et l’aide de ces glorieux épigones; puissions-nous les suivre dans une vie vertueuse et pieuse, afin que nous puissions bientôt connaître le bonheur ineffable d’être des canaux conscients de son amour éternel.
Source: Charles W. Leadbeater: The Hidden Side of Christian Festivals, 1920.