On peut lire aux pages 118-20 du Manifeste conspi ce qui suit:
Contrairement à ce que veut la saga officielle, les liens entre Google et le renseignement américain ne datent pas du recrutement de son PDG Eric Schmidt à la tête d’un organe consultatif des armées sous Obama. Ni du jour de 2004 où Google rachète Keyhole, une entreprise de cartographie dont le principal investisseur est In-Q-Tel, le fonds d’investissement de la CIA, pour en faire Google Earth. Ni du jour de 2003 où l’on développa à Mountain View un outil de recherche spécifique pour la NSA. Ces liens sont originaires, organiques. La « communauté du renseignement » a été la bonne fée au-dessus du berceau de Google, qui en a réalisé le rêve. Dans les années 1990, malgré l’échec de la NSA à faire placer dans chaque ordinateur produit aux États-Unis une clipper chip, une
puce lui garantissant un accès distant à celui-ci, le renseignement américain voit croître avec gourmandise la masse des données circulant dans le monde et donc la masse de données qu’elle intercepte – en violation, bien sûr, de toutes les conventions existantes – grâce au réseau Echelon notamment. Son idéal inoxydable est de tout enregistrer, tout stocker, et si possible tout traiter. Mais elle manque d’outils pour cela, c’est-à-dire pour « organiser les informations à l’échelle mondiale dans le but de les rendre accessibles et utiles » – la mission que, par miracle, Google se fixera officiellement. Le rêve de la NSA a été formulé en 2003 par son ex-amiral Pointdexter avec son programme Total Information Awareness, qu’il présentait comme le
« projet Manhattan du contre-terrorisme » : « Les informations
pertinentes extraites des données doivent être disponibles dans des dépôts à grande échelle avec un contenu sémantique renforcé pour permettre à l’analyse d’accomplir sa tâche. »
Ce qui manque aux services, en ces années 1990, c’est un moteur de recherche pour exploiter son océan de données volées. En 1993 est donc lancé, avec la collaboration de toutes sortes d’universitaires en sciences informatiques, le projet Massive Digital Data Systems (MDDS). Voici la déclaration d’intention : « La communauté du renseignement – entendez la CIA et la NSA – prend un rôle proactif en stimulant les recherches en matière de traitement efficace de bases de données massives et s’assure que les exigences de la communauté du renseignement peuvent être incorporées ou adaptées aux produits commerciaux. » En 1995, Lawrence Page et Sergey Brin, les futurs fondateurs de Google, encore étudiants de Terry Winograd à Stanford, reçoivent deux bourses : l’une bien connue de la DARPA pour constituer une mégabibliothèque utilisant Internet comme squelette, et une autre, tristement oubliée, portant sur le traitement des requêtes des utilisateurs, et elle financée par le MDDS. Donc, par la « communauté du renseignement ». Comme l’explique bien le texte de Brin, Page et Winograd
« Que pouvez-vous faire avec le Web dans votre poche ? » en 1998,
l’algorithme de Google, Page Rank, est la réponse à la question que se pose
la « communauté du renseignement » : comment organiser toute l’information éparse sur le Web à partir des requêtes ciblées des utilisateurs ?
La fable veut que le capitalisme de surveillance date du jour de 2001 où les États-Unis, frappés par le terrible 11-Septembre, ont bien voulu abaisser leurs standards exclusifs de démocratie en consentant à surveiller en masse leurs citoyens. On aurait par la suite découvert, émerveillé, que la surveillance policière de masse rencontre miraculeusement les intérêts des GAFAM, avides, eux, de données sonnantes et trébuchantes sur leurs utilisateurs en vue de monnayer les « surplus comportementaux » !
Cette fable est ridicule.
Se fier à l’ancien chef de la CIA et de la NSA, Michael Hayden, confessant publiquement en 2013 que la CIA « pourrait à juste titre être accusée d’avoir militarisé Internet » suite au 11-Septembre, est à mourir de rire. Ce faisant, Hayden ne fait que fixer un faux repère événementiel afin d’attribuer à l’ennemi, une fois celles-ci révélées, l’origine de ses propres turpitudes. C’est en 1997, et non en 2002 ou 2010, que le directeur de la CIA, George Tenet, décrète, fidèle aux métaphores maoïstes : « La CIA doit nager dans la Valley. » Le 11-Septembre a servi de justification a posteriori à la folie de contrôle qui constitue la raison d’être de la « communauté du renseignement » depuis la Seconde Guerre mondiale.