Nous allons progressivement introduire et faire progresser la technique de méditation appelée ajapa japa. Selon la méthode choisie, elle peut comporter un nombre variable d’étapes; nous en présenterons cinq.
Ajapa japa1 fait partie intégrante du kriya yoga. De plus, c’est une aide précieuse pour développer la conscience de la respiration et du mantra, en préparation au kriya yoga. On dit, avec raison, que les pratiques de kriya yoga doivent être précédées d’une longue et régulière pratique d’ajapa japa. Nous vous encourageons donc vivement à pratiquer ajapa tous les jours sans exception. Toute la vie palpite au rythme d’expansions et de contractions, d’inspiration et d’expiration, de prana et d’apana. Chaque molécule, chaque aspect de l’existence vibre à ce rythme. Tout est dans un état continu et spontané de changement cyclique. Tout répète sans cesse, de façon subtile, un mantra. L’être humain vibre lui aussi à ce pouls de la vie de multiples façons. Les plus évidentes sont le battement du cœur et la respiration. Les anciens yogis ont mis au point une méthode merveilleuse et pourtant très simple: utiliser ce rythme constant de la vie pour calmer le mental et élever le niveau de conscience et de compréhension. Ils ont découvert que la respiration est un rythme permanent qui répète continuellement un mantra. Ce mantra est généralement appelé Soham (ou Saham).
La pratique s’appelle ajapa. Le préfixe «a» ajouté devant japa indique que le processus devient spontané. Autrement dit, le japa se transforme en ajapa quand le mantra se répète tout seul, sans aucun effort: le mantra a été planté si profondément par la pratique du japa que tout l’être vibre avec lui. Le japa demande un effort conscient; l’ajapa, aucun effort. On dit que le japa sort de la bouche, tandis que l’ajapa sort du cœur. Le japa est la pratique préliminaire, l’ajapa est la perfection du japa.
Objectif
L’objectif final est d’arriver à un état où le mantra choisi se répète de lui-même, continuellement et spontanément, 24 heures sur 24. Le mantra doit occuper toute votre attention; il doit devenir le fond permanent de toutes vos pensées et de toutes vos actions. Quoi que vous fassiez – travail, loisirs, etc. – il doit y avoir une conscience constante du mantra. Cela produit une concentration mentale extraordinaire et, avec le temps, apaise tous les problèmes et toutes les fluctuations mentales.
Le mantra doit également être synchronisé avec la respiration. Une personne qui a maîtrisé l’ajapa répétera donc environ 21’600 fois le mantra par jour (15 respirations par minute = 900 par heure). En réalité, le nombre sera bien moindre, car la pratique continue d’ajapa entraîne une telle détente physique et mentale que le rythme respiratoire diminue fortement. À un stade avancé, il peut tomber à 2 ou 3 respirations par minute. Tout le corps et tout le mental doivent vibrer sans cesse avec le mantra. Ce n’est pas facile au début: il faut un gros effort pour empêcher le mental de vagabonder. Il faut entraîner le mental à répéter le mantra (c’est le japa). Dès qu’on perd l’attention, on oublie le mantra. Mais quand le processus devient spontané (ajapa), plus aucun effort n’est nécessaire. On est comme «forcé» d’être attentif au mantra; on y est attiré comme le fer par un aimant.
Atteindre ce stade demande beaucoup de temps et de persévérance, mais une fois arrivé là, toute la vie est transformée. Le mental devient un miroir parfait de l’expérience et de la conscience. Très peu de personnes parviennent à maintenir le mantra toute la journée. Il suffit donc, pour la plupart d’entre nous, de répéter le mantra synchronisé avec la respiration uniquement pendant la durée de la séance fixe d’ajapa japa que nous allons décrire. Pratiquée avec assiduité, cette séance apporte déjà d’immenses bienfaits, même s’ils ne sont pas aussi profonds que ceux de l’ajapa continu jour et nuit.
Choix et intégration du mantra
N’importe quel mantra peut être synchronisé avec le flux de la respiration, mais le mantra Soham est celui qui est le plus couramment utilisé, car il surgit naturellement et correspond exactement au son réel de l’inspiration et de l’expiration.
Écoutez attentivement votre souffle: vous entendrez le son So à l’inspiration et Ham à l’expiration. C’est particulièrement net quand on pratique ujjayi pranayama. Selon la longueur du souffle, le son sera un long «S-o-o-o-o» et un long «H-a-a-a-m-m-m». Très peu d’imagination est nécessaire. C’est pourquoi Soham est un mantra si puissant: il naît presque spontanément du son de la respiration.
On peut aussi utiliser Hamsa (l’inverse). C’est tout aussi valable. En réalité, si vous entendez un autre son-mantra émerger spontanément de votre souffle, utilisez-le sans hésiter – il y aura même un grand bénéfice. Vous pouvez choisir Aum, Ram, Hreem, votre mantra de guru, le gayatri mantra, etc. Dans le cas du gayatri mantra, on répète une moitié à l’inspiration, l’autre à l’expiration.
Le mantra n’a pas d’importance que dans la mesure où il vous vient naturellement. Une fois choisi, ne le changez plus. Nous vous conseillons néanmoins d’adopter Soham, car ce mantra a été testé et validé par des générations de yogis dans la pratique d’ajapa. C’est celui qui favorise le mieux la conscience continue en union avec la respiration. Dans le Kularnava Tantra, Saham (ou Soham) est appelé le «Sri Prasadapara mantra»: le mantra suprême qui accorde la grâce divine sublime.
Signification de Soham
La signification n’est pas indispensable pour la pratique, mais il est bon de la connaître:
- So = Shiva* ou «Lui»
- Ham = Aham = «je suis»
- Donc Soham = «Je suis Lui», «Je suis Shiva» [*NdT: « Brahman2 » nous semble plus approprié en la circonstance!?], «Je suis la Conscience [AdT: universelle et immuable]».
Saham se décompose de la même façon et a exactement le même sens. On peut garder cette signification en arrière-plan pendant la pratique, comme une affirmation puissante. C’est particulièrement utile pour ceux qui ont déjà eu une expérience transcendante et veulent maintenir cet état. Mais ce n’est pas obligatoire. Ce qui compte vraiment, c’est la remembrance continue et l’attention soutenue au mantra et à la respiration.
Posture
- Ajapa peut se pratiquer dans n’importe quelle position, n’importe où, n’importe quand.
- Pour la séance fixe que nous allons décrire, préférez une posture assise confortable et stable: padmasana, siddhasana, siddha yoni asana, vajrasana, swastikasana, ardha padmasana ou sukhasana.
- Shavasana (posture du cadavre) est possible, mais elle conduit facilement au sommeil.
Intégration d’Ujjayi pranayama et de Khechari mudra
Ces deux pratiques très simples mais très puissantes doivent être combinées avec ajapa pour en tirer le maximum de bénéfices.
AJAPA JAPA – ÉTAPE 1 (Pratiquez cette étape 1 tous les jours jusqu’à parfaite maîtrise avant de passer à l’étape suivante)
Technique
Asseyez-vous dans une posture confortable.
Fermez les yeux et détendez tout le corps.
Gardez la colonne vertébrale droite, sans tension excessive.
Dites-vous intérieurement que, pendant toute la durée de la pratique, vous laissez de côté tous les soucis et tous les problèmes; toute votre attention sera portée sur ajapa japa.
Quand vous êtes prêt, commencez.
- Commencez par pratiquer ujjayi pranayama et khechari mudra (langue roulée en arrière si possible).
- Prenez conscience de la respiration naturelle.
À chaque inspiration, sachez que vous inspirez.
À chaque expiration, sachez que vous expirez.
Soyez totalement attentif au rythme du flux respiratoire.
Continuez ainsi quelques minutes. - Imaginez maintenant que la respiration circule entre le nombril et la gorge (face antérieure).
À l’inspiration : le souffle monte du nombril vers la gorge.
À l’expiration : le souffle redescend de la gorge vers le nombril.
Au début, cette visualisation peut sembler difficile; ne vous inquiétez pas, essayez simplement. L’important est de rester pleinement conscient de la respiration.
Laissez la respiration devenir rythmée, profonde et longue, mais sans forcer. Plus vous vous détendez, plus elle deviendra automatiquement lente et profonde.
Continuez au moins 5 minutes. - Intégrez maintenant le mantra Soham en le synchronisant parfaitement avec le mouvement respiratoire:
- Le son So accompagne l’inspiration qui monte du nombril vers la gorge.
- Le son Ham accompagne l’expiration qui redescend de la gorge vers le nombril.
Soyez simultanément conscient:
- du mouvement ascendant et descendant de la respiration,
- et du son Soham produit dans la gorge.
Maintenez une conscience ininterrompue de Soham à chaque inspiration et expiration entre nombril et gorge. Si le mental s’égare (ce qui arrivera forcément), ne luttez pas: laissez-le vagabonder, mais sachez qu’il vagabonde et essayez en même temps de conserver la conscience du souffle et du mantra. Continuez jusqu’à la fin du temps que vous avez prévu pour la séance.
Point essentiel: la conscience continue
Comme dans toutes les techniques méditatives, l’essence d’ajapa est l’attention soutenue à la pratique. Il ne s’agit pas de réprimer les pensées ou distractions, mais de maintenir en même temps la conscience du souffle et du mantra. Laissez le mental divaguer: il vous suffit de rester conscient.
Bienfaits
Ajapa japa procure tous les bienfaits des autres pratiques méditatives. Ce que vous en retirerez dépendra entièrement de votre régularité, de votre effort et du degré d’harmonie actuel de votre mental.
C’est une préparation excellente et indispensable au kriya yoga; elle apporte la paix mentale, la concentration à point unique et conduit directement à la méditation véritable.
- Définition « japa »: répétition continue d’un mantra (mentalement ou oralement). ↩︎
- 1. Écriture en Sanscrit
Devanagari : सोऽहम्
IAST (transcription standard): So’ham (la forme contractée de Sah + Aham)
2. Décomposition et Étymologie
Soham est un composé de deux mots-souches extrêmement simples et fondamentaux:
a) Sah (सः)
C’est le pronom démonstratif de la 3e personne au cas nominatif, masculin, singulier.
Il signifie: « Il », « Cela ».
Dans un contexte philosophique et spirituel, « Sah » ne désigne pas une personne, mais la Réalité Ultime, l’Absolu, Brahman, la Conscience Cosmique.
b) Aham (अहम्)
C’est le pronom personnel de la 1re personne au cas nominatif.
Il signifie: « Je ».
Il représente le soi individuel, l’ego, la personne que l’éducation non initiatique vous a appris à croire que vous êtes (à ne pas confondre avec « Atman »).
3. Signification Littérale et Contraction
Signification littérale de l’association: Sah + Aham = « Cela je suis » ou « Cela, je le suis ».
La contraction (Sandhi en sanskrit) :
En sanskrit, lorsque deux mots se rencontrent, leurs sons fusionnent souvent selon des règles précises. Ici :
Sah (qui se termine par un « visarga »:ḥ, un souffle aspiré) + Aham (qui commence par un « a »)
La règle veut queaḥ+adevienneo.
Ainsi, Sah Aham devient naturellement et grammaticalement So’ham (सोऽहम्).
Traduction de la forme contractée :
« Je suis Cela » ou « Je suis Lui » (où « Cela/Lui » = la Réalité Absolue, Brahman).
4. Signification Philosophique Profonde
Soham est bien plus qu’une phrase; c’est une déclaration d’identité qui est au cœur du Vedanta non-duel (Advaita Vedanta).
C’est la grande révélation des Upanishads: la nature la plus intime de l’individu (Atman, le « Je ») est identique à la nature de l’Absolu universel (Brahman, le « Cela »).
Ce mantra résume des affirmations védiques célèbres comme « Tat Tvam Asi » (« Tu es Cela ») du Chandogya Upanishad.
C’est un mantra naturel (Ajapa Japa) car il est lié au souffle:
– Le son « So » (सो) est produit naturellement à l’inspiration (un léger sifflement).
– Le son « Ham » (हम्) est produit naturellement à l’expiration (un léger bourdonnement).
Ainsi, à chaque respiration, sans même y penser, chaque être vivant répète en silence: « Je suis Cela ».
5. Contexte
Pilier du Vedanta et du Yoga. Considéré comme le mantra de la respiration naturelle.
En résumé, l’étymologie de Soham est d’une simplicité et d’une profondeur bouleversantes. Elle nous rappelle que notre propre souffle, à chaque instant, chuchote la vérité la plus fondamentale de notre existence : « Je suis la Conscience Universelle elle-même. » ↩︎

