[309] Nous avons maintenant achevé provisoirement nos recherches sur la caractéristique générale des douze sections du zodiaque. Ce que nous avons fait à propos de cette caractéristique ressemble à une tentative d’analyse spectrale de l’anneau de rayonnement que le soleil ferme lors de sa migration annuelle à travers l’écliptique. Cette analyse spectrale nous a appris à comprendre la relation particulière que chacune des douze sections entretient avec l’entité humaine en général. On ne pouvait encore rien dire sur la manière dont l’individu humain absorbe et combine ces différents rayonnements, car la manière particulière dont cela se produit dépend de leur mélange particulier, qui n’est pas seulement déterminé par la position du zodiaque par rapport à l’horizon du lieu de naissance au moment de la naissance, mais également par la répartition des planètes sur les différentes parties du spectre céleste, qui décide seulement de la manière particulière dont le rayonnement global du ciel s’écoule vers l’individu à ce moment-là. Si donc, conformément à ce qui a été dit plus haut, la caractéristique du rayonnement zodiacal donnée jusqu’à présent ne permet pas encore de tirer des conclusions applicables à la nature individuelle d’un homme déterminé, parce que, vu dans la perspective zodiacale, l’homme individuel n’est pas encore reconnaissable, la structure de la nature humaine en général en devient reconnaissable, ce qui nous permet d’avoir un aperçu. Nous pouvons ainsi nous pencher sur un domaine qui, en raison de sa généralité, concerne l’ensemble de l’humanité, bien au-delà des dispositions et des destins individuels, et qui jette les bases d’une évaluation générale de la nature humaine et de ses possibilités de développement. Oui, nous pouvons même, sur la base des connaissances acquises jusqu’ici sur la structure du zodiaque, dans lequel reposent, comme nous l’avons expliqué dans le premier épisode, non seulement l’archétype de l’Homme, mais aussi les conditions de son développement, arriver à définir la loi cosmique du développement de l’humanité [310] et de voir dans les douze sections du zodiaque les sources de douze impulsions de développement qui affluent vers l’humanité au cours des époques historiques successives et sont absorbées par elle selon son degré de maturité, obéissant dans leur succession à un rythme dont l’esprit a une validité inviolable, comme la loi qui régit la succession du jour et de la nuit ou la succession du printemps, de l’été, de l’automne et de l’hiver.
S’il était possible de rédiger cette loi, nous aurions un aperçu de l’ensemble de l’histoire de l’humanité et nous apprendrions à reconnaître les forces directrices qu’elle suit. L’histoire de l’humanité, dans son déroulement, nous révélerait un sens qui ferait apparaître tout ce que nous appelons habituellement « histoire » sous une toute autre lumière que celle de la science historique. Elle nous dévoilerait l’arrière-plan cosmique des nécessités historiques, tout comme le zodiaque nous dévoile les lignes fondamentales de l’espèce humaine. La science historique est essentiellement une chronique du passé. Parmi toutes les sciences, elle occupe – selon Schopenhauer – le rang le plus bas, parce qu’elle doit même « apprendre de chaque nouveau jour, dans sa quotidienneté, ce qu’elle ne savait pas jusqu’alors »! C’est pourquoi même sa connaissance la plus précise ne permet aucune conclusion sur le présent et le futur. Pour clore cette série de conférences, nous voulons maintenant tenter de comprendre les forces qui animent l’histoire de l’humanité à l’aide de la doctrine de la structure du zodiaque. Mais pour cela, il est nécessaire que nous nous fassions une autre idée de l’essence de ce que l’on entend généralement par « histoire » que celle enseignée par la recherche historique exotérique – c’est-à-dire que nous devons remplacer le concept exotérique de l’histoire par son concept ésotérique.
Toute compréhension ésotérique de l’essence de l’histoire humaine, et même de l’histoire tout court, part d’une hypothèse qui apparaît d’emblée comme un axiome et qui est passée inaperçue dans la conception de la recherche exotérique, à savoir l’hypothèse que l’humanité doit être considérée comme un tout, comme une entité vivante existante, c’est-à-dire non pas comme un simple « concept générique » logiquement supérieur à l’Homme individuel, mais comme une sorte d’être vivant gigantesque, qui a donc aussi bien son développement que l’individu individuel.
Nous avons exposé en détail l’aspect ésotérique de cette idée dans les deux premiers cours du cycle d’introduction et dans les [311] deux autres conférences, le côté ésotérique de l’idée de développement. Or, il semble important, dans l’esprit de la tâche que nous nous sommes fixée pour aujourd’hui, de jeter un coup d’œil sur le rôle que l’idée de développement a joué dans la pensée exotérique de l’Occident.
Il n’y a guère plus de cent quatre-vingts ans (c’est-à-dire vers 1750) que cette idée a commencé à s’imposer – mais seulement sous la forme d’hypothèses dont le contenu est resté tout à fait contestable jusqu’à aujourd’hui, si bien que la question de savoir si l’on peut parler d’un « développement » de l’humanité dans son ensemble est restée encore toujours sans réponse. Certes, l’idée même de développement est très ancienne. Mais elle n’a toujours été appliquée qu’à l’individu isolé. On a vu la graine germer en plante, l’œuf devenir poule, on a vu l’Homme naître, grandir, mûrir, atteindre sa pleine puissance, vieillir à nouveau et finalement mourir. Mais l’effort de porter plus loin l’idée de ce développement, de l’appliquer à l’espèce et d’arriver ainsi, en dépassant l’individu, à une sorte d’entité supra-individuelle, comme par exemple l’espèce épicéa ou chêne, l’espèce poule ou cheval ou, par généralisation, de l’espèce des mammifères ou des oiseaux et, par la suite, de l’espèce humaine = l’humanité, et de chercher les lois de cette évolution plus étendue – cette aspiration n’est apparue qu’au milieu du XVIIIe siècle.
Jusqu’alors, on n’avait pas non plus pensé que le développement individuel puisse jamais dépasser les limites fixées par l’appartenance à une espèce déterminée ou, si cela se produisait déjà exceptionnellement dans un cas particulier, qu’il puisse se répercuter sur l’espèce elle-même. L’idée de l’immuabilité des espèces, défendue par Linnéet Buffon, était presque un dogme scientifique. Mais voilà qu’au milieu du dogme de l’immuabilité des espèces, qui « étaient là dès le début », une idée s’est soudainement imposée, qui était justement à l’opposé de ce dogme: l’idée que les espèces et les genres se trouvent eux aussi dans une évolution progressive et que les individus qui composent ce genre y sont impliqués de telle sorte que les impulsions de développement ne prennent pas en premier lieu l’individu comme point de mire, mais qu’elles se concentrent sur [312] le genre. Après qu’Emanuel von Swedenborg eut été le premier à exprimer l’idée d’un développement cosmique de notre système planétaire à partir de la nébuleuse primitive, idée qui fut plus tard refondée par Kant et Laplace, on vit apparaître, en particulier en France, par l’intermédiaire de Lamarck, l’opinion selon laquelle les différentes formes de vie du monde organique ne sont pas permanentes, mais en perpétuel changement; c’est ainsi que naquit la doctrine dite de la descendance sous ses différentes formes. Mais la nouveauté de toutes ces doctrines se manifeste dans l’application de l’idée de développement à l’espèce humaine, à l’humanité en tant qu’organisme. Il en résulte la fiction d’une « personne métaphysique », appelée humanité, dans le corps de laquelle l’Homme individuel est inscrit, comme un organe de cet Homme individuel est inscrit dans son corps. Et l’on voyait cet organisme humain s’élever au cours d’immenses périodes de temps sur une échelle évolutive à plusieurs degrés, dont le point de départ se trouvait tout en bas dans le règne des organismes unicellulaires, et dont le point d’arrivée n’est pas prévisible. Mais à cette idée puissante de l’ascension de l’humanité devaient s’opposer des doutes qui ne concernaient pas seulement l’hypothèse d’un développement ou d’une ascension du genre humain, mais surtout le droit de parler de l' »humanité » comme d’une entité vivante d’ordre supérieur. En outre, la question de savoir quelle est la part de cette vie globale de l’humanité qui revient à chaque être humain est restée sans réponse. Quelle est la contribution de l’individu à ce développement global? Les forces motrices de l’évolution s’écoulent-elles de l’Homme individuel vers le corps global de l’humanité ou, au contraire, des impulsions de développement s’écoulent-elles du corps global de l’humanité vers chaque individu, impulsions qu’il ne fait que subir sans les comprendre et qui ne pourraient être comprises qu’à partir de la conscience supérieure, dépassant toutes les consciences individuelles, de ce corps géant de l’humanité lui-même? Or, si de tels problèmes et idées sont apparus pour la première fois dans l’humanité occidentale vers le milieu du XVIIIe siècle, ils étaient connus depuis longtemps au sein de la science secrète. On y enseignait depuis toujours que l’humanité dans son ensemble recevait des impulsions qui ne naissaient pas sur la terre, mais qui s’écoulaient de l’espace, envoyées par des êtres supraterrestres.
C’est la doctrine des Avatars, c’est-à-dire de la descente sur Terre d’êtres d’ordre supérieur qui prennent ici forme humaine afin d’insuffler une nouvelle impulsion à l’humanité, comme le jardinier qui donne à une plante la sève d’une plante plus évoluée [313] par oculation. La doctrine indienne parle ici de différentes incarnations du principe de Vishnu, le deuxième pôle de la Trimurti, c’est-à-dire de la trinité indienne. Ce n’est que par l’intermédiaire de ces entités issues de régions supraterrestres que l’humanité peut recevoir une telle sève, qui est en réalité de la gelée de cerveau ou, pour parler le langage moderne des sciences naturelles, une vitamine céleste qui, une fois infusée dans le corps, l’âme et l’esprit de l’humanité, la transforme progressivement de manière à ce qu’elle puisse monter d’un cran sur l’échelle de l’évolution.
Or, il est assez étrange qu’au XVIIIe siècle, deux esprits de choix aient transposé l’idée principale de cette doctrine dans la philosophie occidentale, même si c’est sous une forme tout à fait rationaliste : Johann Gottfried Herder et Gonhold Ephraim Lessing, tous deux dans le sens où ils cherchaient les impulsions porteuses de développement dans des influences qui seraient d’origine extraterrestre, voire supraterrestre, et qui ne viendraient donc pas de la terre, mais du ciel.
« Du ciel », c’est ainsi que Herder commence son ouvrage de philosophie de l’histoire, Ideen zu einer Philosophie der Geschichte der Menschheit:
Si notre philosophie de l’histoire de l’Homme veut en quelque manière mériter ce nom, il faut qu’elle commence par le ciel. Car, comme cette place que nous occupons dans l’espace, comme cette Terre n’est rien par elle-même, mais doit aux pouvoirs célestes, qui s’étendent à tout l’univers, sa figure, sa constitution et la faculté qu’elle a de former des êtres organisés et de les conserver quand ils ont été formés, nous devons la considérer, non pas seulement en elle-même,mais comme une partie de ce système de mondes dans lequel elle ordonnée. Elle est unie par des liens invisibles à son centre, le soleil, qui lui communique la lumière, la chaleur, la vie et la prospérité…
Pour l’ordinaire, nous nous contentons de considérer la Terre telle qu’un grain de sable qui se meut dans cet abîme immense, où elle accomplit son cours autour du soleil, ce soleil avec des milliers d’autres autour de son centre, et probablement plusieurs autres systèmes pareils de soleils dans des espaces dispersés des cieux, jusqu’à ce qu’à la fin l’intelligence et l’imagination se perdent à la fois dans cet océan d’immensité et d’éternelle grandeur, sans trouver ni fin ni issue…
Quand j’ouvre le grand livre de l’univers, et que je vois devant moi ce palais immense que la divinité seule peut remplir de toutes parts, je réfléchis aussi profondément que je le puis sur les rapports du tout aux parties et des parties au tout. Ce fut une seule et même puissance qui créa le soleil resplendissant, et qui maintient dans son orbite le grain de sable; la même puissance qui contraignit des millions de soleils à tourner, comme il est vraisemblable, autour de l’étoile de Sirius, et qui étend à cette boule de terre les lois de la gravitation. Quand je considère que la place occupée par notre Terre dans ce temple de soleils, que la ligne décrite par elle dans sa course; que sa grandeur, sa masse et toutes les choses qui en dépendent, sont déterminées par des lois qui agissent à travers l’infini, je dois non-seulement être content de la place qui m’a été destinée, et me réjouir d’être si bien formé pour accomplir mon rôle dans le chœur harmonieux des êtres, moins toutefois que je ne veuille me révolter follement contre la Toute-puissance; mais encore ma plus noble occupation sera de rechercher ce que je dois être dans la place qui m’a été réservée, et ce que, selon toutes les probabilités, je ne peux être que là seulement.
Si dans ce qui me paraît avoir le plus de bornes et le moins de consistance, je découvre non-seulement des traces d’un grand pouvoir créateur, mais encore une connexion évidente entre les plus petites choses et le plan du créateur dans l’immensité, la meilleure fonction de ma raison sera, en s’efforçant de prendre Dieu pour modèle, de suivre ce plan et de se conformer elle-même à la pensée divine.
Herder: Idées sur la Philosophie de l’Histoire de l’Humanité
On ne peut guère parler de manière plus grandiose de cette idée de loi unique et unifiée en soi, qui relie la vie sur cette Terre à la vie dans tout le cosmos. Cette idée apparaît différemment chez Lessing. Il s’agit ici d’un petit traité qui n’a pas été publié du vivant de l’auteur. Il s’intitule Über die Erziehung des Menschengeschlechtes, c’est-à-dire non pas l’éducation de l’homme individuel, mais celle de l’humanité dans son ensemble. « Ce qu’est l’éducation des individus, c’est la révélation par le genre humain… » Il suffit ici de rappeler ce que Lessing entend par révélation: le fait que l’humanité reçoit quelque chose qu’elle ne possède pas par elle-même, qui lui est implanté par l’action de grands guides de l’humanité, qui représentent ici manifestement la place de l’avatar.
Est-il maintenant vraiment nécessaire de quitter la Terre et de puiser dans les régions célestes pour appréhender le problème du développement? Revenons encore une fois au point de vue de la pensée non ésotérique et donc à la question cardinale de savoir s’il peut y avoir une telle forme de développement qui concerne l’organisme global « humanité », et élargissons maintenant la question jusqu’à ce point, [315] que même le bien-fondé du concept de développement, en tant qu’idée d’une progression vers le haut visant à perfectionner l’imparfait, c’est-à-dire vers un but, s’en trouve affecté. Il n’a jamais été possible de douter du fait du développement embryonnaire de l’œuf en poule, de la graine en plante, de l’embryon humain en Homme nouveau-né, ni qu’il s’agisse effectivement d’un passage d’un état imparfait à un état plus parfait. Mais si nous prenons ce fait comme point de départ pour la question de savoir comment l’évolution de l’œuf à la poule, etc. est possible, et plus loin, comment nous devrions même nous représenter l’évolution de « l’humanité », alors se décidera peut-être si un passage au-delà des conditions terrestres jusqu’aux profondeurs du cosmos semble vraiment nécessaire. Il ne faut pas croire qu’il est si facile de donner une réponse satisfaisante à la question de savoir comment l’œuf devient poule. Nous voyons bien que cela se produit, mais nous ne pouvons pas pénétrer dans les profondeurs du mécanisme de cet événement. Selon Aristote, l’idée de la poule finie agit pour ainsi dire comme une impulsion spirituelle sur le développement de l’œuf. D’une certaine manière, la forme de la poule finie, invisible aux yeux de l’Homme, plane déjà au-dessus de l’œuf. Au XIXe siècle, un penseur a repris et élargi cette conception d’Aristote, même si c’est sous une forme rationaliste.
Ernst Haeckel voyait le moteur du développement embryonnaire dans ce qu’il appelait le développement phylogénétique, c’est-à-dire effectivement dans des processus qui avaient pour condition préalable l’espèce dans son ensemble. Il s’imaginait qu’au cours d’immenses périodes de temps, l’espèce poule se formait progressivement à partir de formes de vie unicellulaires primitives et que chaque développement embryonnaire de la poule individuelle à partir de l’œuf répétait brièvement ce long processus de développement de l’espèce, comme sous l’influence d’un souvenir organique reposant dans la mémoire plastique secrète toujours présente1, dans laquelle est contenue l’histoire incroyablement longue du chemin de développement de la souche. La résurrection de cette mémoire est la véritable force qui guide tout développement embryonnaire ou celui de l’être individuel. La « poularité » en tant que telle est le support de l’impulsion de développement pour chaque poule individuelle qui sort de l’œuf jour après jour. Mais cette idée est par essence métaphysique et s’étend bien au-delà des limites de la vie de tous les individus de l’espèce.
[316] Si nous transposons cette question à l’humanité, d’où l' »humanité » tire-t-elle la loi de son développement phylogénétique? Car si nous comprenons, dans l’esprit de Haeckel, que chaque germe d’Homme qui, dans le court laps de temps de neuf mois, se transforme en enfant humain prêt à naître, répète ainsi sur Terre, sous une forme compacte, la phylogénie de l’humanité, alors peut-être l’énigme du développement embryonnaire de l’individu est-elle résolue, mais pas celle de la phylogénie humaine. Mais si nous poursuivons la pensée de Haeckel de manière conséquente, elle nous conduit directement au seuil du cosmique. Car alors, même la durée de plusieurs millions d’années du développement de la lignée humaine ne doit nous apparaître que comme une répétition comprimée ou, disons-le brièvement, comme une sorte de développement embryonnaire qui renvoie à un modèle situé dans les profondeurs cosmiques et qui va bien au-delà de la Terre: l’Idée de l’Homme fini, parachevé, divin, qui repose dans le zodiaque, lequel renferme en en son sein l’embryon d’humanité comme la circonférence d’un œuf géant. Ainsi, un courant de vie va du cosmos à l’humanité et de l’humanité à l’Homme individuel; et chaque femme qui, née au sein de l’humanité, donne la vie à un enfant, transmet ce qui a été reçu, en réalité, depuis les profondeurs cosmiques. C’est peut-être ce qu’a vu Herder lorsqu’il a placé les phrases citées ci-dessus en tête de sa philosophie de l’histoire humaine.
Nous nous trouvons dès lors directement au seuil de la considération scientifique ésotérique de l’Histoire humaine – dont nous avons traité en détail l’idée de développement dans les troisième et quatrième exposés des Fondements Généraux. Mais aujourd’hui, il s’agit de mettre en relation le caractère légal de cette évolution avec les faits que nous présente l’observation du ciel étoilé. C’est un enseignement très ancien, qui correspond pour l’essentiel à la doctrine du retour de Vishnu mentionnée précédemment, qu’une nouvelle impulsion de développement afflue vers l’humanité après chaque période de 2000 ans. Mais ces 2000 ans ne sont rien d’autre que la durée de ce que l’on appelle le mois du monde ou la douzième partie de l’année platonicienne, c’est-à-dire la période d’environ 256002 ans pendant laquelle le point vernal, c’est-à-dire le point d’intersection entre l’orbite du soleil et l’équateur terrestre, est passé par le soleil lors de sa migration du sud vers le nord – en remontant toute l’étendue [317] de l’écliptique pour revenir à son point de départ. Nous appelons « précession du point vernal » – et plus souvent aujourd’hui « précession des équinoxes » – cette migration du point vernal et donc ce déplacement de tout le zodiaque secondaire (solaire) sur le zodiaque primaire des constellations fixes. Grâce à cette précession, le point vernal, qui était dans la constellation des Poissons depuis environ 2000 ans, s’apprête maintenant à quitter cette constellation pour passer dans celle du Verseau. Grâce à elle, il arrivera que les impulsions du renouvellement de la vie et tout ce qui s’y rapporte, que ce que nous appelons l’expérience du point vernal avec toutes ses conséquences prendra une autre couleur de fond, la couleur du Verseau, lorsque prendra fin la période bimillénaire dite des Poissons pour laisser place à l’ère du Verseau, comme il y a 2000 ans l’ère du Bélier a pris fin, comme il y a 4000 ans l’ère du Taureau a pris fin, etc.
Sur la base des analyses des différentes parties du zodiaque, telles qu’elles ont été données dans cette série de conférences, nous sommes déjà en mesure de comprendre quelle peut être la nature des impulsions de développement actives dans ces mois du monde et quelle ne peut pas être leur nature, de même que les stades successifs du développement embryonnaire sont liés à une loi qui rend impossible l’inversion de l’ordre de ces stades de développement, de même qu’il est impossible que l’embryon humain ait une dentition permanente au cours du deuxième mois de développement. Le fait de la précession doit maintenant nous faire comprendre quelles sont les lois du développement de l’embryon de Dieu qu’est l’Homme sur Terre, si nous considérons que, comme l’Idée de la « poule finie » plane au-dessus de l’œuf, ainsi l’Idée de l’Homme céleste, de l’image de Dieu, plane au-dessus de l’embryon de Dieu, c’est-à-dire que les sections du zodiaque, en tant que correspondances cosmiques des organes du corps humain, apparaissent l’une après l’autre sur le plan comme le terrain céleste du développement de l’humanité. Ces correspondances ont déjà été traitées en détail; elles ont toujours été utilisées pour dessiner l’image du représentant le plus évolué – l’individu tourné vers son moi essentiel plutôt que vers son moi existentiel – de la radiation zodiacale correspondante. Mais nous voulons maintenant aller encore un peu plus loin. Nous voulons essayer de nous rendre compte de ce que peuvent signifier ces organes de l’Homme céleste dans le sens de l’observation ésotérique de l’Homme, ces organes qui sont aussi élevés au-dessus des organes terrestres du corps humain que l’Idée [318] de l’homme accompli, de l’image de la divinité, sur l’Homme terrestre, « l’enfant de l’Homme ». Ces organes de l’Homme psychique deviennent maintenant eux-mêmes des entités qui représentent le degré le plus parfait de ce qui vit dans les Hommes les plus évolués, en tant que représentants des différentes radiations du zodiaque – comme un instinct de Dieu encore sourd qui leur est implanté, ces radiations deviennent des entités spirituelles élevées qui, comme les organes du corps humain, se rassemblent pour former l’ensemble de l’Homme, s’unissant pour former le « corps de Dieu », tel qu’il apparaît encore à l’Homme, à son niveau, tout juste saisissable.
Avant de tirer les conséquences de cette pensée, permettez-moi de la consolider encore une fois par une image qu’Emmanuel de Swedenborg fait apparaître devant nous dans une sorte de vision. Il lui semble que l’ensemble des entités spirituelles qui se trouvent au-dessus de l’Homme sont réunies d’une manière qui ressemble tout à fait à l’organisation du corps humain. Mais je préfère laisser ici les mots avec lesquels Emmanuel Kant décrit brièvement cette vision de Swedenborg:
On peut donc, si l’on veut s’en donner la peine, se faire une idée de l’imagination la plus aventureuse et la plus étrange dans laquelle s’accordent toutes ses rêveries. En effet, de même que différentes forces et facultés constituent l’unité qu’est l’âme ou l’Homme intérieur, de même différents esprits, dont les principaux caractères se rapportent les uns aux autres comme les diverses facultés d’un esprit se rapportent les unes aux autres, constituent une association qui montre l’appartenance d’un grand Homme en soi, et dans l’ombre de laquelle chaque esprit se voit à la place et dans les membres apparents qui conviennent à son activité particulière dans un tel corps spirituel. Toutes les associations d’esprits réunies et le monde entier de tous ces êtres invisibles apparaissent finalement eux-mêmes dans l’apparence du plus grand Homme…
Il poursuit:
Je suis las de copier les folles chimères du plus exalté de tous, ou de les poursuivre jusqu’à ses descriptions de l’état post-mortem; j’ai encore d’autres inquiétudes. Car, bien qu’un collectionneur de la nature place dans son armoire, parmi les pièces préparées de la génération animale, non seulement celles qui sont formées dans des [319] formes naturelles, mais aussi des avortons, il doit cependant être prudent de ne pas les laisser voir à tout le monde et pas trop clairement. Car il pourrait facilement y avoir parmi les plus audacieux des personnes enceintes, sur lesquelles cela pourrait faire mauvaise impression. Et comme il se peut que parmi mes lecteurs certains se trouvent dans d’autres circonstances en ce qui concerne la conception idéale, je serais désolé s’ils s’étaient trompés à ce sujet. Cependant, comme je les ai avertis dès le début, je ne réponds de rien, et j’espère qu’on ne m’imposera pas les veaux de la lune qui pourraient naître de leur imagination féconde à cette occasion.
Or, en vérité, s’il faut parler d' »inadvertance », quoi de plus favorable à la nature humaine, quoi de plus susceptible d’attiser les forces secrètes du développement supérieur, que de permettre à l’enfant humain de la terre de contempler un peu l’image idéale divine de l’Homme céleste, que s’il pouvait faire de l’état « enceint » de l’esprit et de l’âme un état durable, un « être dans l’espérance » permanent, dans lequel l’idéal supérieur de ce qui vient et de ce qui est à venir fait déjà rayonner sa lumière – la vitamine céleste du développement supérieur?
Si nous suivons maintenant la marche du point vernal à travers les différentes régions du zodiaque, il devient pour nous une sorte de guide pour reconnaître, non pas le sens de l’histoire humaine, mais le rythme de son déroulement. De même que dans le zodiaque lui-même, un Signe masculin (Feu ou Air) est toujours suivi d’un Signe féminin (Terre ou Eau), de même dans l’histoire de l’humanité se succèdent toujours un âge masculin et un âge féminin, c’est-à-dire des âges dont les impulsions évolutives sont tour à tour tournées vers le passé et vers l’avenir. Les époques dominées par l’Air ou le Feu sont celles où il s’agit avant tout d’opposer sa volonté et son esprit au passé et à ses vestiges présents, en les façonnant de manière créative, en défiant aussi bien physiquement les forces de la nature que psychiquement la force de la souffrance. Dans les âges féminins, le féminin domine en nous et l’intérêt des Hommes est tourné vers le corps et le corps adhérent, vers les forces de la nature et de l’âme, vers ce qui nous lie à la Terre et à la tradition. [320] Dans les âges masculins, c’est le masculin qui domine en nous, et l’intérêt est tourné vers le règne des idées et de la volonté, vers tout ce qui rend libre, tout ce qui nous fait oublier que nous ne sommes pas libres.
Si nous appliquons cette idée de l’alternance périodique des époques qui se succèdent comme le jour et la nuit au déroulement de l’histoire, nous pouvons déjà avoir un aperçu des souffles et des rythmes de ce que l’on appelle Zeitgeist (« l’esprit du temps ») dans l’Histoire humaine. Or, la question de la nature du Zeitgeist est une question qui doit préoccuper tout chercheur en histoire. C’est à nouveau Herder qui, préoccupé par le problème de l’Histoire humaine, a trouvé des mots merveilleux sur la nature du Zeitgeist, dans l’ouvrage que nous connaissons sous le titre de Lettres pour la promotion de l’humanité. Il y répond à un correspondant, en citant d’abord sa lettre:
Je trouve plusieurs fois dans votre lettre le nom de Zeitgeist. Pouvons-nous nous éclairer sur cette expression? Est-ce un génie, un démon ou un poltergeist, un revenant des vieilles tombes, ou même un souffle d’air, ou un son de la harpe éolienne? D’où vient-il, où veut-il aller, où est son régiment, où est sa puissance et son pouvoir? Doit-il dominer, doit-il servir, peut-on le diriger?
La réponse de Herder est la suivante:
Toutefois, le Zeitgeist était un génie puissant, un démon violent. Si Ibn Ruschd Averroès a pu croire que le genre humain tout entier n’avait qu’une âme, à laquelle chaque individu participait tantôt activement, tantôt en souffrant, j’appliquerais plutôt cette poésie au Zeitgeist. Nous sommes tous sous son domaine, tantôt actifs, tantôt souffrants.
Cette alternance périodique entre action et souffrance trouve sa correspondance cosmique dans la migration rétrograde du point vernal à travers le zodiaque, qui le conduit alternativement à travers un Signe masculin et un Signe féminin. Essayons maintenant de transposer cette idée aux époques historiques successives d’une durée d’à peu près 2000 ans chacune, dans la mesure où elles entrent dans le domaine du contrôlable historique, et de donner brièvement les caractéristiques du Zeitgeist de quatre périodes ou mois du monde: L’ère du Taureau (de 4000 à 2000 avant J.-C.), l’ère du Bélier (de 2000 à 0), l’ère des Poissons (de 0 à 2000 après J.-C.) et, par anticipation, l’ère du Verseau, qui projette déjà son ombre (2000 à 4000 après J.-C.).
Pour comprendre les impulsions intellectuelles et spirituelles de ces époques, nous devons nous rappeler tout ce que nous avons dit à l’occasion de l’analyse du [321] Signe correspondant et le transposer à l’organisme de l' »humanité » elle-même, qui a vécu le rayonnement de la nuque dans l’ère du Taureau, le rayonnement de la tête dans l’ère du Bélier, qui a parcouru la région des pieds dans l’ère des Poissons et qui développera la force des chevilles et des mollets dans l’ère du Verseau!
Mais nous devons aussi garder à l’esprit qu’un tel regard, porté depuis la perspective zodiacale de la Terre, ne voit pas seulement disparaître l’individu, mais aussi tous les événements de ce que l’on appelle l’histoire politique – comme les guerres, les conquêtes et les victoires, montées sur le trône ou dépossessions de souveraineté, conquêtes et soumissions –; en effet, dans la succession de tous ces événements, seul le génie de l’humanité se présente comme perceptible au regard, dont le visage reflète les impulsions reçues des cieux, telles qu’elles lui parviennent, conformément à la fonction d’organe des différentes régions du zodiaque. Ce qui se présente ainsi à nous est en fait comme la vision d’un Homme qui, pour son éducation, suit une sorte d’enseignement scolaire céleste, s’élevant d’une classe à l’autre, guidé par des génies célestes selon un plan légal cosmique, s’élevant des « pieds » jusqu’à la « tête » et qui continuent à se dépasser après avoir accompli une année scolaire platonicienne. Et maintenant, laissons passer devant nous, même si ce n’est qu’à toute vitesse, les âges des Poissons, du Bélier et du Taureau.
L’ère des Poissons, qui s’achève de nos jours, était une ère féminine, tournée vers le passé, le regard tourné vers l’intérieur, vers les scories psychiques de la nostalgie de la réconciliation. Lorsque cette ère s’est ouverte, elle s’est vraiment abattue sur l’humanité comme l’atmosphère du soir, lorsque, le soleil déclinant, les mille voix de l’intériorité commencent à s’agiter pour prendre possession de nous dans la nuit. L’éclat du soleil que l’Antiquité classique voyait se répandre autour du monde extérieur s’estompe, et, devant le champ de vision intérieur, se dévoile la scène de toutes les valeurs intérieures de l’âme. La conscience de l’enlisement dans la faute et le vice, dû au passé, s’empare avec force des âmes, et la voix de la conscience qui juge s’éveille, exigeant la conquête d’une liberté intérieure par la purification de la vie psychique des souillures terrestres. Le lavement des pieds, tel que nous l’avons interprété dans la quatrième conférence, devient ainsi à proprement parler le symbole de l’ère des Poissons.
[322] Les Dieux tombèrent de leur trône Olympique, les colonnes superbes furent renversées, l’enfant de la Vierge naquit pour guérir les plaies du monde. Le léger plaisir des sens fut proscrit, et l’Homme rentra pensif en lui-même.
Et il disparut le frivole, le voluptueux charme qui réjouissait l’heureuse jeunesse du monde. Le moine et la nonne se macérèrent le corps; le chevalier bardé de fer courut au tournois. Mais si la vie était alors sombre et terrible, l’amour lui conservait sa grâce et sa douceur.
Schiller: Les Quatre Âges du Monde
On a appelé le Moyen-Âge, qui remplit la première partie de l’ère des Poissons, la nuit millénaire – à juste titre seulement si l’on comprend cette nuit comme toute nuit doit être comprise: comme la phase du rythme de la vie qui a à voir avec la régénération, l’élimination des scories, la restauration, l’effacement des restes du passé.
Nous devons également comprendre l’ère du Taureau (4000 à 2000 av. J.-C.) de la même manière. Ici aussi, nous voyons l’Homme courbé et humble, de nature féminine. Mais cet âge est caractérisé par un Signe de terre – la soumission n’est alors pas humiliée par un sentiment de culpabilité, ce n’est pas la saleté des pieds qui humilie l’Homme, mais c’est la nuque qui se plie maintenant humblement sous le joug des forces physiques, sous le joug de la « force de la nature » vécue avec une horreur respectueuse, comme la volonté impitoyable de la loi universelle qui se manifeste dans la matière terrestre. L’Égypte s’élève avec ses constructions gigantesques qui, comme les pyramides, symbolisent la force de la nature et ses lois auxquelles l’Homme est soumis sans volonté. La pyramide de Khéops qui, selon les dernières recherches, contient toutes les dimensions fondamentales du cosmos sous forme symbolique, place la force de la nature devant l’âme avec une sévérité impressionnante. On y découvre les lois du déroulement cyclique de tout ce qui se passe. L’année égyptienne, avec ses périodes de Sothis3, domine la mentalité de l’humanité qui, dans la [323] croyance en l’éternel retour du même sans possibilité de rompre ce cycle, s’empêtre de plus en plus dans la matière et sa domination. C’est ainsi que naît au plus profond de l’esprit la soumission respectueuse, dictée par la peur et l’angoisse, à la force conservatrice de la matière, dans laquelle toute formation finit par se figer en momie de la mémoire du monde, dont tout ce qui est féminin-maternel est considéré comme le représentant dans sa forme d’apparition terrestre. Le principe féminin du monde – la matière – est élevé au rang de souverain.
Il en résulte le service de la nature, le matriarcat et la soumission à tout ce qui, comme la matière, se présente comme conservateur. L’attachement au corps domine, si bien que même après la mort corporelle, les hommes cherchent à conserver le corps dans sa matérialité. La pyramide et la momie deviennent le symbole de cet âge pour l’humanité ultérieure.
Il en va autrement de l’ère du Bélier (2000 à 0), l’ère de ce que l’on appelle l’Antiquité classique. Le rayonnement de la tête commence son règne. C’est d’abord comme si l’humanité voulait se rebeller avec toute son énergie contre les impulsions de l’époque taurine – donc comme si elle était inspirée: « Ne te laisse pas subjuguer par les forces de la nature, fais table rase du passé! Regarde l’avenir la tête haute! Développe ta volonté (Feu) et tu seras invincible! Défie même les dieux s’il le faut! » Bref, la volonté de l’Homme se dresse puissamment contre les forces de la nature; même s’il ne peut pas les vaincre, il ne veut pas courber le cou devant elles. L’idéal du héros est né. La volonté de l’Homme reste victorieuse en toutes circonstances, même lorsque le corps s’effondre! C’est ainsi que la vertu suprême de l’ère du Bélier est ce que l’on appelait l’Arétas, la vertu de l’Arétas, la vertu martiale qui fait l’héroïsme, la virilité héroïque de l’Homme. Cette vertu s’exerce aussi bien contre les Hommes que contre les dieux. Certes, il ne peut pas se défendre contre la supériorité des dieux, mais même devant eux, il ne doit pas courber l’échine, conscient de la force de son vouloir, qui fait de lui l’être le plus puissant de la Terre:
Il y a beaucoup de choses puissantes, mais rien n’est plus puissant que l’Homme.
[324], Sophocle fait ainsi l’éloge de l’Homme qui contraint même le « cou du taureau » sous son joug.
Si nous observons maintenant comment se déroule le passage de l’ère du Taureau à l’ère du Bélier, nous découvrons un processus qui se produit avec une conséquence presque légale à chaque passage d’une ère à l’autre. Dans ses premières étapes, chaque ère est remplie d’efforts de détachement, liés à une protestation particulièrement violente contre l’esprit de l’époque écoulée – comme l’Homme qui se réveille le matin veut chasser violemment de lui le souvenir des expériences de la nuit ou comme celui qui se prépare à dormir le soir veut oublier la journée et son travail pour plonger à nouveau dans le monde intérieur. Mais ensuite, à peu près au milieu d’une ère, nous voyons surgir des souvenirs – les impulsions de l’époque passée reviennent, mais transformées dans l’esprit de la nouvelle époque, pour être intégrées dans cette nouvelle forme de développement. Si nous suivons symboliquement le point du Bélier et sa progression sur le zodiaque primaire, il atteint vers le milieu de chaque époque un point qui correspond en quelque sorte au Signe de la Balance. Après que le « combattant » ait progressé jusqu’au milieu de l’époque, le « Bélier » fait place à l' »artiste ». La mission de l’art de chaque mois du monde est d’accomplir le mariage des impulsions de développement masculines et féminines, de manière prospective et rétrospective. L’art est le lien éternel entre les esprits du temps (Zeitgeist) des époques mondiales.
Ainsi, nous voyons le contenu de l’expérience de l’époque du Taureau revenir sous une forme modifiée dans l’ère du Bélier. Nous assistons tout d’abord à la « résurrection » de la momie: ce qui était la momie de l’Égypte ancienne devient la statue de l’Homme vivant dans l’ancienne Hellas. Elle se dresse, dressée, comme l’espoir d’un avenir futur, dans lequel l’Homme idéalisé dans la statue marchera un jour sur la Terre, l’idéal de l’Homme à la fois beau et bon, en qui la force physique de la nature s’unit à la liberté de la volonté éthique.
Mais nous assistons à une autre renaissance de l’époque du Taureaux: c’est la naissance du drame, du drame du destin. Ce qui, à l’ère du Taureau, apparaissait comme une force de la nature, devient maintenant le destin de l’Homme, que la volonté humaine ne peut certes pas détrôner, mais qui, de son côté, ne peut pas non plus nuire à la volonté humaine. Le destin doit être accepté – mais l’être humain n’en est pas affecté dans son essence – philosophie stoïcienne de la vie.
[325] Si nous passons maintenant à l’ère des Poissons, nous voyons les mêmes lois à l’œuvre. Nous voyons la première moitié de cet âge remplie de protestations contre les idéaux de l’époque révolue. Le « héros » est remplacé par l’Homme pénitent, qui doit certes aussi exercer une sorte de rite héroïque, mais qui n’a pas à faire ses preuves dans la lutte contre des ennemis extérieurs; au contraire, son héroïsme s’applique à l’adversaire intérieur, qui doit être reconnu et abattu sur le champ de bataille de l’âme. L’Homme pénitent, lui aussi, marche courbé sous un poids, qui est le poids de l’âme ou le poids oppressant de la conscience, le vice qui jaillit du péché originel, dont il ne peut se libérer que s’il allume en lui une force d’âme qui, en résistant aux attraits des sens, est remplie d’un héroïsme semblable à celui de l’esprit de résistance antique contre les forces du mal.
Grâce à cette transformation, ce qui, à l’époque du Bélier, apparaissait comme l’esprit du Héros, devient la force de l’Éros. Ce n’est pas par la force de la volonté propre, opposée à la volonté d’autrui, mais par la force de l’amour qui pardonne, que l’hostilité de l’adversaire se transforme en amour.
Mais cette transmutation semble aussi concerner un autre souvenir, celui de l’ère féminine du Taureau: la femme y représentait la force de la nature; elle devient ici l’instrument anoblissant de la transformation du héros en Éros – la « Grande Mère » du culte égypto-antique, figure idéale de l’Éternel Féminin, auréolée de la gloire de Marie, la Vierge Mère de Dieu.
Mais dans la deuxième moitié de l’ère des Poissons, il se produit à nouveau une renaissance, qui concerne cette fois l’ère du Bélier et son art: le drame du destin du monde antique célèbre sa résurrection, à ceci près qu’au lieu du héros, du roi ou du général avec son destin « historique », c’est l’Homme ordinaire qui apparaît, avec ses douleurs et ses souffrances dans sa lutte contre l’adversaire intérieur – ses passions et ses pulsions. Le drame « bourgeois » voit le jour, et avec lui s’éveille l’intérêt pour l' »Homme » en soi, au-delà de toutes les aspirations extérieures, uniquement tourné vers l' »intérieur », l’éternel humain. Les statues du monde antiques, résurgence des momies de l’âge du taureau, deviennent l’image idéale de l’Homme luttant pour le salut de son âme, provoquant ainsi l’émergence d’une idée d' »humanité » englobant l’ensemble des Hommes dans l’amour, telle qu’elle a été diffusée notamment par les classiques allemands.
[326] C’est précisément cette idée qui se reflète dans l’art le plus sublime par lequel l’ère des Poissons a couronné l’héritage des temps passés. L’expression la plus idéale en est la musique instrumentale, dont la loi, qui s’est épanouie en des formes merveilleuses et pures, fait concourir tous les sons ainsi réunis, comme les âmes accordées d’une communauté humaine portée par un même amour de l’écoute, à l’œuvre d’art harmonieuse d’un dôme mondial invisible qui prend maintenant la place de la pyramide de Khéops. Nous pouvons prévoir que ce qui a été formé dans cet art le plus glorieux et le plus pur de l’ère des Poissons reviendra vers le milieu de l’ère du Verseau à venir en tant qu’expérience humaine la plus vivante, comme les momies d’Égypte dans les statues de Grèce, et qu’alors, après mille ans, les grands bâtisseurs de cette cathédrale, comme Bach, Haydn, Mozart, Beethoven, reviendront comme les organisateurs de la communauté humaine utopique de l’ère du Verseau.
Et maintenant, quelques mots sur cette ère du Verseau qui se profile pour les 2000 prochaines années. Nous avons déjà parlé en détail des idéaux spirituels de cette période de vie de l’humanité, à nouveau orientée vers l’esprit masculin, lors de l’examen du Signe du Verseau. Une fois de plus, avant que ces idéaux utopiques ne se réalisent, la première partie de cette période verra l’humanité protester contre la doctrine de « compassion » de l’ère des Poissons. Mais c’est justement de cela que nous devons nous abstenir de parler ici.
Il n’était pas dans notre intention d’entrer plus profondément dans le souffle de l’esprit de l’histoire humaine et dans les lois qui la guident. Mais l’examen rapide, peut-être trop rapide, que nous venons de faire devrait nous faire reprendre conscience qu’il existe une grande loi qui agit dans les profondeurs du cosmos comme dans les âmes de l’humanité et qui se reflète finalement dans la vie et l’existence de chaque être humain – les idées fondamentales du savoir astrologique.
Mais au-delà, c’est la perspective d’un lointain incalculable qui s’ouvre à nous. Car de même que le cours annuel du soleil à travers les douze signes du zodiaque peut nous apparaître maintenant comme une année platonicienne en miniature, le mois comme la période abrégée de 2000 ans de l’histoire humaine, le jour, c’est-à-dire la durée d’une rotation de l’axe de la Terre, comme une année platonicienne encore plus petite, à l’intérieur de laquelle deux heures correspondent à nouveau au mois, et enfin [327] une respiration se rapporte à la durée d’un jour comme l’année civile se rapporte à l’année platonicienne – selon Rudolf Steiner, l’Homme fait au cours d’une journée environ 26’000 respirations, soit 18 par minute).
Ainsi, comment le rythme de plus de 26’000 ans s’est-il maintenu jusqu’à l’époque actuelle ?
Les années platoniciennes se succèdent en cycles de temps de plus en plus grands et étendus, jusqu’à ce que le plus grand de ces cycles devienne la durée du « jour brahmanique », suivi de la « nuit brahmanique » – ensemble, une respiration de l’univers infini. Mais cet immense rythme trouve finalement son chemin jusqu’à l’Homme individuel par l’intermédiaire des époques planétaires qui tournent autour du soleil dans des mouvements circulaires en partie plus grands, en partie plus petits. Et dans cet immense mécanisme d’horlogerie du cosmos, chaque être humain a la place qui lui a été attribuée, inclus dans la grande lutte et les grands cercles pour le court laps de temps de son errance terrestre.
Avec cette pensée, nous sommes revenus au début de cette étude sur le zodiaque et l’Homme. La prochaine partie de notre enseignement nous apprendra à reconnaître les rouages plus petits de ce mécanisme: le monde Planétaire dans sa relation avec l’Homme. Mais pour aujourd’hui, nous voulons encore une fois nous abandonner intimement à la pensée que sa véritable destinée d’Homme ne peut être accomplie que par celui qui comprend que toute vie qui s’oppose à l’harmonie avec le grand organisme supérieur est dans l’erreur. La prétention à l’éternité n’est donnée qu’à celui qui sait mourir à chaque instant pour gagner la vie au sens le plus élevé du terme, pour abandonner le soi apparent (ce que nous avons appelé le « moi existentiel) afin de conquérir le vrai soi (moi essentiel), échappé à la mort par sa contribution à l’œuvre de révélation vivante de la grande unité.
Résumons encore une fois tout cela et laissons-le nous dire par la bouche de deux grands maîtres qui connaissaient ce secret:
Tchouang-Tseu:
Chaque Homme a son esprit solaire auquel il est attaché; quand il s’en va, il meurt, et il renaît quand il revient. Mais si j’avance vers la fin de mon corps doué d’esprit sans la transformation qui renouvelle éternellement la vie, si je m’abandonne à l’usure éternelle des jours et des nuits comme une simple chose, si je suis voué à la mort éternelle, si je ne suis pas capable de vivre, [328] si, malgré ce corps doué d’esprit, je ne suis conscient que d’une seule chose, à savoir que rien ne peut me sauver de la tombe, alors je consomme la vie jusqu’à ce que, dans la mort, ce soit comme si toi et moi nous étions appuyés une seule fois épaule contre épaule avant d’être séparés pour toujours! Cela ne vaut-il pas le chagrin? Mais toi, tu diriges ton regard vers quelque chose en moi qui, lorsque tu le regardes, a déjà disparu. Et pourtant tu le cherches, comme s’il devait encore être là – comme quelqu’un qui cherche des chevaux vendus au marché –. Regarde: ce que j’admire en toi est changeant. Ce que tu admires en moi est changeant. Pourquoi t’affliger? Même si mon moi meurt dans chaque regard, c’est dans la transformation que l’éternel fait ses preuves.
Goethe:
Un et tout
Dans l’infini, l’individu s’efface volontiers, et toute lassitude disparaît;
Au lieu d’un désir ardent, d’une volonté farouche, au lieu d’une exigence impérieuse, d’un devoir strict, s’abandonner est une jouissance.
Âme du monde, viens nous pénétrer! Alors, lutter avec l’esprit du monde lui-même deviendra la grande vocation de nos forces.
Les bons esprits guident en participant, les maîtres suprêmes guident en guérissant,
Vers celui qui crée et qui a créé toutes choses.
Et pour transformer ce qui est créé, afin qu’elle ne s’arme pas de rigidité, l’action vivante éternelle agit.
Et ce qui n’était pas, veut maintenant devenir des soleils purs, des terres colorées;
En aucun cas, elle ne doit se reposer.
Elle doit s’agiter, agir en créant, se former d’abord, puis se transformer;
Elle ne s’arrête qu’en apparence, par moments.
L’éternel s’agite en tous,
Car tout doit se décomposer en rien,
S’il veut persévérer dans l’Être.
1 On trouvera un siècle plus tard des idées similaires chez Rupert Sheldrake.
2 Plus précisément: 25’920 ans, soit 2’160 ans pour chaque mois platonicien – si l’on considère la division de chaque mois comme un Signe du zodiaque équivalent à 30°, plutôt que de prendre en compte la taille réelle des constellations.
3 Une période Sothis (Sirius) de 1460 ans était comme une année platonicienne en miniature, pendant laquelle non pas le point vernal, mais la date du calendrier du début du printemps, parcourait tout le zodiaque. Il s’agissait d’une conséquence du fait que le calendrier égyptien n’avait pas d’année bissextile, de sorte que ce n’est qu’après quatre fois 365 ans que les saisons tombaient à nouveau à la même date du calendrier. Mais contrairement à l’année platonicienne, la période de Sothis est une période purement artificielle, obtenue pour ainsi dire par erreur.