Le père dominicain Rochus Spiecker écrit que certaines personnes « s’entourent de sérieux comme d’une fausse barbe », et il poursuit: « Un bon mot qui traverse une conversation aussi légèrement que danse une ballerine peut apporter plus d’esprit et de cœur que certaines phrases ornées qui s’efforcent d’utiliser les valeurs les plus sacrées comme coulisses. Une blague peut éclairer plus profondément qu’une tragédie. Une phrase lancée en souriant peut faire pleurer sans bruit. »
Spiecker a tout à fait raison: nous nous efforçons souvent de résoudre les problèmes de manière trop unilatérale, au moyen d’un front plissé et d’un sérieux convulsif. Hormis les oraisons funèbres, il est indispensable que les auditeurs puissent rire ou sourire de temps en temps. L’humour et les traits d’esprit ont un effet vivifiant et détendu, à moins qu’ils n’apparaissent par trop recherchés. L’humour et les traits d’esprit doivent être utilisés en particulier lorsque le discours a parcouru un chemin tortueux. Après les passages difficiles, il faut donner à l’auditeur l’occasion de reprendre son souffle.
L’humour fondé sur la convivialité atteint sans aucun doute des régions plus profondes que le trait d’esprit intellectuel. « Le witz ne prouve rien de plus qu’un esprit vif, l’humour est un surplus de l’âme. Le witz tranche, l’humour lie ». (Wilhelm Pinder). Ludwig Reiners décrit la différence entre le trait d’esprit et l’humour de la manière suivante: « Le witz rit, l’humour sourit. La blague est spirituelle, l’humour est affectueux. Le witz étincelle, l’humour rayonne. Le trait d’esprit démasque les imperfections du monde, l’humour nous aide à les surmonter. »
Les vérités amères sont mieux servies avec humour que de manière sèche et objective. Une anecdote peut caractériser une personne de manière plus claire et plus pertinente que toute une biographie. « À partir de trois anecdotes, il est possible de donner le portrait d’un Homme. » (Nietzsche). Seulement, il ne faut pas simplement glisser une anecdote n’importe où dans le discours, comme on le voit trop souvent, mais il faut l’intégrer de manière réfléchie dans le développement d’icelui. La chute doit également être soigneusement élaborée. Et bien évidemment, il ne faut pas présenter des blagues et des anecdotes que tout le monde connaît depuis longtemps.
Il n’est pas rare qu’une blague involontaire apporte le charme d’un moment joyeux. Les expressions mal comprises y contribuent particulièrement. Ainsi, le ministre fédéral des Postes Stücklen s’est exclamé au Bundestag dans l’hilarité générale: « Les postières célibataires me tiennent particulièrement à cœur ». Ou encore le politicien culturel Paul Mikat au Landtag de Düsseldorf, lors d’un discours sur les problèmes scolaires: « Les célibataires n’ont pas d’enfants, c’est bien connu… » Rires des députés. Mikat : « Messieurs, vous riez trop vite, ma phrase n’était pas fini; elle se poursuit ainsi:… d’envoyer les enfants dans des écoles ! »
L’ironie cinglante, la moquerie blessante et le sarcasme mordant ne sont pas toujours de mise. Qui ne connaît pas ces demi-phrases jetées négligemment, qui font rire les amis et enrager les adversaires? « Monsieur le ministre, je viens d’entendre votre discours, mais trêve de plaisanterie… » ou (extrait de la plaidoirie d’un avocat au tribunal): « … même si nous faisons abstraction de toute logique et ne prenons en compte l’avis de Monsieur le Procureur de la République… ». Tout cela peut être très spirituel, mais a très souvent un effet destructeur, car l’auditoire est facilement détourné des bases objectives.
L’ironie et la moquerie sont particulièrement efficaces lorsque l’orateur s’inclut lui-même. Faire une blague à ses propres dépens, c’est avoir l’air souverain!