Le système de dit de « santé et soins »: l’exemple des EPHAD

Combien de temps ce témoignage restera-t-il accessible sur Youtube? Combien de temps encore la population va continuer à ne pas s’étonner de la censure qui a pris son plein essor depuis l’affaire covide?

Lettre ouverte d’une très vieille dame à Mesdames et Messieurs les membres du gouvernement.

Je viens à vous avec espoir pour vous parler d’un âge que vous ne connaissez pas encore. Lorsqu’on est vieux comme moi, vivre dans un environnement rassurant est très important.

J’ai fait il y a peu un séjour dans une maison de retraite, un Ehpad de bonne réputation dans ma région. En temps ordinaire, j’habite chez mes enfants, avec l’aide d’infirmières pour ma toilette matin et soir.
Ce séjour de quelques semaines a vite été une torture psychologique pour moi et pour les visiteurs qui sont venus me voir.
Je ne vais pas pleurer sur mes vieux jours ni réclamer toute l’attention qui incommode ceux qui peuvent encore vivre pleinement mais je vais vous dire ce qui permettrait aux vieilles personnes de mieux supporter leur fin de vie et d’alléger la charge morale de leur entourage.
Peut-être mon témoignage pourra-t-il aider à mettre en place des maisons de retraite plus agréables.

Pour commencer, le lieu c’est important.

Ce n’est pas parce qu’on ne quitte pas souvent sa maison qu’on doit la construire au bord d’un autoroute ou dans une zone commerciale. Et ce n’est pas parce qu’on a besoin de calme qu’on veut du silence tout autour tout le temps.
L’Ehpad où je fus pensionnaire était au fond d’une zone commerciale, à côté de hangars tôlés. Depuis ma fenêtre, je voyais une route peu passante, une vingtaine de voitures par jour, aucun piéton. D’un autre côté, un petit bout de forêt, tout aussi peu passant. D’autres étaient moins bien lotis avec pour seule vue des murs de bâtiments ou les poubelles.
Une vieille personne aime bien regarder par la fenêtre, alors avoir une perspective, de l’animation et des gens qui passent, mais pas trop de bruit quand même, c’est l’idéal.

Quand on est vieux, sortir est souvent une gageure, mais prendre l’air est nécessaire à la santé et au moral. Un jardin est un luxe qui n’en est plus un à cet âge de la vie.
Dans mon Ehpad, l’unique chemin de promenade bien bordé duquel on ne pouvait s’éloigner, longeait les murs des bâtiments et obligeait de passer devant la cour grillagée des « Alzheimer », me faisant sursauter à chaque passage sous les yeux de certains gémissant accrochés au grillage suppliant qu’on leur ouvre la porte. La promenade est vite devenue une angoisse pour moi.
Pensez bien que le jardin est souvent le seul lieu d’évasion, où l’on pose ses jambes incertaines mais aussi son regard. Avoir des recoins de verdure arborés pour s’abriter en sécurité et changer son point de vue, c’est l’idéal.

Lorsqu’on a tout perdu de sa vie d’avant et la plupart des proches de son âge, le lieu où l’on vit prend plus d’importance encore.
Dans mon Ehpad, l’entrée principale était d’abord précédée par l’entrée du salon… funéraire, immanquable en arrivant, avec ces mots écrits gros sur la porte. Les fenêtres d’un autre salon, de coiffure celui-là, donnaient également sur la porte de la morgue. C’était peut-être pour nous familiariser en douceur à cette fatale issue ?
Je suis pourtant sûre que vous aussi vous dites que l’intérieur de la maison de retraite devrait davantage ressembler à une pension de famille qu’à un hôpital. Et quel que soit le niveau de gamme que vous voulez y mettre, les contraintes médicales et hygiéniques peuvent probablement s’accommoder de couleurs et matériaux moins glacés, de couloirs moins austères, et de salons chaleureux et accueillants, sans non plus tomber dans le décor factice. Il faut faire simple et authentique, c’est tellement mieux.

Et puis les gens bien sûr.

Des gens qui y travaillent d’abord.

Les gens qui s’occupent de vous lorsque vous êtes vieux, qu’ils soient payés ou non, sont parfois les seuls liens avec la vie qu’il vous reste. Il est agréable que ce lien soit naturel parfois, autant que possible bien sûr. Par exemple, je suis contente de pouvoir remarquer une nouvelle broche sur le joli pull rose de cette dame qui s’occupe de moi.
Alors est-il nécessaire que le personnel des maisons de retraite soit costumé et aseptisé ?
Est-il nécessaire d’avoir une blouse et des sabots pour venir me parler, pour me donner une couverture et me conduire à la salle à manger ?
D’ailleurs les infirmières à domicile ne portent pas de blouse lorsqu’elles font ma toilette, et je ne crois pas leur avoir transmis de maladie. Il ne me semble pas non plus qu’elles se soient trop salies en me touchant.
Peut-être que s’ils portaient leurs propres habits, les soignants et accompagnants des maisons de retraite auraient une attitude plus naturelle avec les pensionnaires, je veux dire qu’ils nous regarderaient davantage comme des gens plutôt que comme l’objet de leur profession.

Et puis la constance si possible, c’est bien.
Lors de mon séjour, il m’arrivait de ne voir personne dans une journée, certains après-midi, l’Ehpad semblait vide de tout personnel. D’autres fois, certains membres du personnel entraient dans ma chambre sans prévenir ni se présenter. Ils entraient et ressortaient, faisaient quelque chose, me parlaient éventuellement, sans que je sache de qui il s’agissait. D’autres fois, on entrait sans savoir si je dormais et je sursautais au son d’un « Bonjour, c’est l’animatrice ! » tonitruant. J’ai souvent été inquiète de ne pas connaître ou reconnaître les gens qui s’occupaient de moi, car j’avais à faire à trop de personnes différentes, et je redoutais que des inconnus puissent entrer sans prévenir et s’en prendre à moi. Vous le comprendrez dans mes mots, je ne me suis pas sentie en sécurité.

Plusieurs fois même, je n’ai pas pris de petit déjeuner. Parce que je ne l’ai pas vu. On m’installait sur le fauteuil de ma chambre, à une distance de la table sur laquelle on venait poser le petit déjeuner sans un mot. Sans avoir rien vu et de toute façon incapable de me lever seule pour me rapprocher de la table, j’ai donc attendu sans savoir. Le petit déjeuner a été débarrassé et j’ai su alors ce que j’avais manqué quand on m’a dit « pas un gros appétit ce matin », mais sans plus de questions et aussi vite qu’il était venu, le bol de café était reparti. Une autre fois, on m’a bien installée devant ma table, mais sans me mettre mes dentiers restés dans la salle de bain ! Ah je vous fais rire sûrement, tant mieux. Ne croyez pas qu’un Ehpad dispose d’un room service ; si vous appelez, on finit par venir et on vous dit « je reviens » et puis on attend 1 heure pour revoir quelqu’un. Ça ne vous plairait sûrement pas, n’est-ce pas.

J’en viens maintenant à vous parler de ce qui me touche encore plus et que je vais oser vous décrire.
La toilette est un moment d’intimité souvent pénible dont on ne parvient à se protéger qu’en se détachant un peu plus de son corps.

Mon corps vieilli me lâche un peu plus chaque jour mais il me rappelle son existence par de lancinantes rengaines ou de traitres coups d’épée aux moments opportuns. Mes articulations sont toutes raides, je ne pourrais plus aller danser. Ce n’est pas drôle d’être très vieux.
Et bien on se meurtrit encore un peu plus lorsqu’on s’expose sans défense aux gestes raides d’un toiletteur dégouté. On se renferme un peu plus pour fuir l’humiliation, on s’échappe un peu plus dans un autre monde pour moins habiter cette enveloppe qu’on bafoue. Et on n’est même pas bien lavé.
Mais l’avez-vous fait ? Avez-vous déjà lavé une personne âgée ou handicapée ? Avez-vous déjà ressenti cet irrépressible dégoût au contact de la peau fripée et souillée, le coeur au bord des lèvres à devoir agir dans une odeur peu agréable ? A moins d’aimer sincèrement celui que vous soignez, peu d’entre nous sont naturellement à même de faire cette tâche ingrate en la faisant bien.
Pendant mon séjour dans mon Ehpad, on ne m’a jamais lavé les pieds. A chaque toilette on me faisait mal en me tenant, j’étais souvent déséquilibrée par les positions qu’on me demandait de prendre et on me retenait juste avant de tomber. J’ai souvent pleuré car tout allait trop vite et j’avais peur de ces manipulations brusques. Le gant de toilette passait souvent sans rinçage des fesses au visage. Pardonnez-moi ces détails qui me gênent moi-même, je ne veux pas choquer, mais je dois vous expliquer. En moins de 10 minutes j’étais lavée et habillée.
Il est évident n’est-ce pas, qu’on ne recrute pas un aide-soignant comme un employé de bureau ? Et surtout, on n’en demande pas trop à ces employés là. Nettoyez les fesses de 50 pensionnaires en 1 matinée, dont certains agressifs et malades, et vous deviendrez forcément maltraitant.

Je continue ?
Dans l’Ehpad où j’ai séjourné, mes enfants avaient donné au médecin et à l’infirmière en chef la liste des médicaments à me donner avec les consignes. Tout était écrit et les médicaments bien étiquetés. Je n’ai pourtant jamais vu la couleur de certains d’entre eux, et j’en ai eu d’autres, inconnus sans que je sache à quoi ils servaient. Au moment du coucher notamment on me donnait 2 cachets pourtant non prescrits par mon médecin traitant. Mes enfants s’en sont inquiétés lorsqu’ils m’ont vue à 2 reprises sombrer dans un sommeil proche du coma en pleine journée dont on ne parvenait pas à me sortir. Ils ont expressément demandé l’arrêt de toute autre prescription mais comment s’assurer que vraiment je n’ai eu que ce que je souhaitais avoir ? Ma vue n’est plus bonne et mon attention parfois défaillante, en Ehpad, vous finissez par faire ce qu’on vous dit de faire. Et puis surtout vous finissez par bien comprendre où vous vous trouvez. Ainsi que l’infirmière me l’a répétée plusieurs fois « Vous n’êtes pas dans un club de vacances Madame, vous êtes dans un Ehpad ». Ce doit être sûrement pour cela qu’on ne m’a jamais fait faire de gymnastique (ni on ne m’a levé de mon fauteuil pour m’aider à faire quelques pas) et si je n’avais pas eu de visiteurs, je n’aurais pas souvent vu le jardin.
Un de mes visiteurs d’ailleurs m’a retrouvée à 4 pattes dans un couloir, en train d’appeler, il a eu le temps de me redresser, d’aller chercher un fauteuil roulant et de me reconduire dans ma chambre sans voir un seul employé. Une autre fois, c’est encore un de mes visiteurs qui m’a retrouvée par terre dans ma chambre. J’étais tombée en voulant me déshabiller car j’avais trop chaud, après avoir appelé en vain. Les sourds ne sont pas ceux qu’on croit.

Je crois bien que vous pourriez envisager de mieux rémunérer ces gens-là, de revoir leurs objectifs « qualité », et aussi d’en recruter davantage pour qu’ils puissent suivre de plus petits nombres de personnes âgées avec une relation de proche.

Des gens qui y vivent ensuite.

Toutes les vieilles personnes ne sont pas égales et n’ont pas les mêmes besoins.
Lorsque vous avez encore un peu d’autonomie, ce n’est pas bon pour votre moral qu’on vous impose le rythme d’un grabataire. Et lorsque vous avez encore toute votre tête, c’est très dur d’être en permanence au milieu de gens qui ne l’ont plus.
Hélas pour ma voisine de chambre, elle ne se remettait pas de la mort de son mari. Hélas pour moi, elle hurlait son prénom selon un rythme régulier de quelques minutes d’écart entre chaque cri. Des cris que j’entendais d’autant mieux qu’on laissait en journée les portes des chambres toutes ouvertes pour que le personnel puisse plus facilement surveiller sans trop se déplacer. Son sommeil la nuit et ses siestes le jour m’apportaient quelque répit mais pouvez-vous imaginer le stress généré par une telle situation ? Il faut avoir été prisonnier pour comprendre ce que l’impossibilité de la fuite représente.
Et si encore cela avait été un tourment passager ? Cette pensionnaire était connue de l’établissement pour ce cri répétitif qu’elle « pratiquait » depuis fort longtemps. Comment alors loger de nouveaux pensionnaires dans son voisinage immédiat ?
Mais d’autres pensionnaires ont été encore plus angoissants pour moi. Comme ces personnes profondément handicapées à côté desquelles on me plaçait régulièrement après le déjeuner pour regarder la télévision, que d’ailleurs je n’entendais pas tellement il y avait de gémissements et de cris dans cette salle commune, et qui me tapaient dès qu’elles pouvaient. Mes bras étaient régulièrement griffés.
Et je ne vous raconte pas tout ce que j’ai perçu et entendu dans les chambres alentours.

Vivre.

Vivre est ce qu’il me reste de mieux à faire, car je ne sais plus rien faire d’autre.
Mais vivre à mon âge demande une énergie et des ressources financières souvent plus importantes que celles que l’on peut s’offrir. Et hélas plus importantes que ce que je peux apporter aux autres. Pourtant je suis là et la vieillesse fait partie du cycle de la vie.
Alors serais-je effrontée de formuler le souhait que l’effort commun participe davantage à la prise en charge du vieil âge ?
Un soutien aux vieilles dames de France pourrait-il égaler le facond patronage pour la Belle Dame de France qui a flambé en avril l’an passé ? Nombre d’entre elles sont pourtant moins résistantes et leurs temples plus dévastés.
Le budget de l’Etat pour le rayonnement des Grands Hommes peut-il nous glorifier quand tant de vieux messieurs sans plus de gloire sont priés de faire moins de bruit ?
Je ne formule plus ce souhait pour moi, car ma vie est désormais finie et j’ai été parmi les plus gâtés de mes congénères, mais pour vous tous qui méritez que notre société ouvre ses yeux sur votre avenir personnel.
Pour avoir d’autres solutions que d’aller dans un mouroir à plusieurs ou de se renfermer seul chez soi. Ou risquer d’être à la fois victime et bourreau d’une prise d’otage familiale à double sens lorsque vos enfants vous accueillent chez eux.

Permettez-moi de conserver le secret de mon identité pour n’être pas importunée dans ce qu’il me reste à vivre, et je vous remercie de m’avoir écoutée.

A.G.

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