Jusqu’à présent, dans les deux premiers stades du pranayama nadi shodhana, nous avons décrit la manipulation alternée et le contrôle du souffle par les deux narines. En d’autres termes, l’objectif a été de diriger le flux du souffle séparément par chaque narine. Ces pratiques ont de nombreuses bonnes raisons d’être. Tout d’abord, la capacité à contrôler l’inspiration et l’expiration s’accroît et le rythme respiratoire diminue à volonté. Cela améliore la respiration, ce qui entraîne plus de vitalité et une meilleure santé, ainsi qu’un plus grand calme dans les situations de la vie quotidienne. Souvenez-vous que le rythme respiratoire est directement lié aux émotions. En général, une respiration rapide et irrégulière est associée à l’anxiété, à la colère et à d’autres émotions négatives débilitantes, tandis qu’une respiration lente et rythmée est liée à la relaxation, à l’amitié, au bien-être et à d’autres émotions positives. La pratique des stades 1 et 2 de nadi shodhana pranayama peut aider à instaurer une attitude et un mode de vie plus harmonieux.
Les deux premiers stades de nadi shodhana offrent d’autres bénéfices importants. Comme expliqué précédemment, le processus respiratoire est intimement lié au flux de prana dans le corps pranique². La respiration alternée aide à déboucher les canaux par lesquels circule ce prana. De plus, le flux de prana dans ida nadi (lune) et pingala nadi (soleil) est équilibré. Ces deux canaux jouent un rôle majeur dans la détermination de notre mode de fonctionnement: pensée introspective d’un côté, ou activités orientées vers l’extérieur de l’autre; c’est-à-dire introversion ou extraversion. Pour une bonne santé, il est essentiel qu’il y ait un équilibre raisonnable entre ces deux modes opposés au cours de la journée, et les stades 1 et 2 de nadi shodhana contribuent à cela.
Un autre bénéfice important de l’équilibrage des flux respiratoires dans les deux narines est que les flux ida et pingala sont simultanément égalisés. Cela conduit à la paix de l’esprit, chose rare dans le monde moderne. De plus, cet état d’équilibre favorise l’apparition spontanée de la méditation.
Les stades 1 et 2 de nadi shodhana sont également indispensables pour préparer les poumons et le système nerveux au stade suivant, à savoir la rétention du souffle. Sans développer la capacité à respirer lentement et avec contrôle, la rétention du souffle telle que pratiquée en pranayama est impossible. Il est facile de retenir le souffle une fois, mais le faire plusieurs fois de suite avec des inspirations et expirations intermédiaires nécessite de la pratique. C’est l’une des fonctions des pratiques de nadi shodhana introduites jusqu’ici: habituer le corps aux pratiques supérieures impliquant la rétention du souffle.
NADI SHODHANA STADE 3 – ANTAR KUMBHAKA
La rétention interne du souffle porte de nombreux noms en sanskrit: antar, antaranga, abhyantara ou poorna kumbhaka. Nous adopterons le nom antar kumbhaka, où antar signifie «interne» et kumbhaka «rétention du souffle». En d’autres termes, antar kumbhaka est la pratique où le souffle est retenu à l’intérieur des poumons.
Antar kumbhaka exerce une influence marquée sur le flux de prana dans tout le corps pranique. Étant donné la relation étroite entre le corps pranique et le mental, antar kumbhaka permet à son tour d’acquérir un certain contrôle sur le mental. Malheureusement, la plupart des gens ont un mental en perpétuel état de perturbation et de fluctuation. Antar kumbhaka ralentit le tumulte mental et le transforme en un état de concentration paisible et unifiée, condition préalable à l’état de méditation.
Références scripturaires
Le kumbhaka est largement mentionné dans les anciens textes yogiques, car il s’agit d’une pratique très importante. Le texte ancien appelé Hatha Yoga Pradipika en discute particulièrement longuement. Voici quelques citations extraites:
Celui qui peut pratiquer kumbhaka pendant un certain temps augmentera le feu digestif et entendra le son cosmique interne (nada). Le corps sera purifié et libéré de maladies.
Pendant kumbhaka, le mental devient stable et l’on expérimente l’intemporalité. On est capable de se concentrer intensément sur le trikuti (le centre des sourcils).
Cette dernière affirmation indique particulièrement l’importance du kumbhaka comme technique préparatoire à la méditation. En pratiquant kumbhaka, la concentration s’intensifie automatiquement.
Le texte insiste et met en garde les pratiquants de kumbhaka:
Un dompteur apprivoise un animal sauvage lentement et systématiquement. De la même manière, on doit progressivement apprivoiser le prana dans le corps par la pratique de kumbhaka. Si l’on tente de dompter trop rapidement un tigre ou un éléphant sauvage sans précaution suffisante, on risque facilement d’être blessé. De même, si vous essayez de contrôler le prana dans le corps trop rapidement et avec force, cela causera également du tort.
Nous approuvons également cet avertissement et aborderons ce point plus loin.
De nombreux autres textes anciens fournissent des informations utiles sur le kumbhaka. Cependant, comme nous traiterons nous-mêmes le sujet en détail et avec nos propres mots, nous voyons peu d’intérêt à les citer, car cela ne ferait que répéter inutilement. Un point à noter toutefois: le texte classique de raja yoga appelé Yoga Sutra définit le pranayama comme rien de plus que le kumbhaka. Il dit : «…le pranayama est la cessation de l’inspiration et de l’expiration.»
C’est une définition très limitée du pranayama qui contredit celle donnée par d’autres textes; par exemple, la Gherand Samhita propose diverses pratiques de pranayama, dont le kumbhaka comme l’une d’elles. Cependant, la définition limitée du pranayama comme kumbhaka par l’auteur des Yoga Sutra, Rishi Patanjali, montre l’importance immense de cette technique apparemment simple.
Préliminaires
Adoptez une position assise confortable. Si vous pratiquez les deux premiers stades de nadi shodhana pranayama depuis un certain temps et que vous les maîtrisez confortablement, vous pouvez ignorer le stade 1. En revanche, si vous n’avez pas pratiqué régulièrement pendant quelques mois, pratiquez d’abord le stade 1 pendant quelques minutes. Le pratiquant doit user de son discernement et évaluer ses propres capacités.
Pratiquez nadi shodhana stade 2 jusqu’à établir un rythme respiratoire harmonieux et détendu où l’expiration est deux fois plus longue que l’inspiration. Continuez cela pendant au minimum quelques minutes.
Technique
Après avoir terminé les préliminaires, commencez le stade 3 comme suit:
- Inspirez lentement par la narine gauche en gardant la narine droite fermée.
- La durée de l’inspiration doit être la même que celle atteinte à la fin du stade 2.
- À la fin de l’inspiration, fermez les deux narines et retenez l’air dans les poumons.
- Si vous le souhaitez, vous pouvez contracter légèrement la glotte pour emprisonner et maintenir fermement l’air dans les poumons.
- Retenez le souffle (kumbhaka) pendant une courte durée sans la moindre tension ou inconfort.
- Puis inspirez légèrement par la narine droite, puis expirez lentement par la narine droite. Cette légère inspiration à la fin de la rétention interne (antar kumbhaka) aide à remettre en action les muscles respiratoires et à libérer la glotte verrouillée.
- L’expiration ne doit pas se faire d’un seul coup, mais doit être contrôlée, sa durée étant deux fois celle de l’inspiration (c’est-à-dire la même que celle atteinte à la fin du stade 2).
- À la fin de l’expiration, inspirez par la narine droite en gardant la narine gauche fermée.
- La durée doit être la même que l’inspiration précédente par la narine gauche.
- Puis faites à nouveau antar kumbhaka pendant une durée courte et confortable.
- Inspirez légèrement par la narine gauche, puis expirez par cette même narine.
- L’expiration doit être deux fois plus longue que l’inspiration.
- La fin de l’expiration par la narine gauche termine 1 tour.
- Inspirez par la narine gauche pour commencer le deuxième tour.
- Continuez ainsi aussi longtemps que le temps le permet et que vous vous sentez à l’aise.
Ratio des durées
Le ratio des durées inspiration, kumbhaka et expiration est important et évolue au fur et à mesure que l’on développe la capacité à retenir le souffle plus longtemps. Pour les débuts de la pratique, gardez les durées d’inspiration et d’expiration identiques à celles du stade 2, en maintenant le ratio 1:2. Pendant cette période, augmentez lentement la durée d’antar kumbhaka, en commençant par quelques secondes et en ajoutant une seconde tous les quelques jours selon les circonstances. Ne progressez pas trop vite ni ne retenez le souffle longtemps au début, car cela ne donnera rien à long terme. Si vous effectuez une rétention puissante au premier tour, par exemple, il est fort probable que vous commenciez à haleter dans les tours suivants et que vous ne puissiez maintenir la même longue rétention. Avancez lentement mais sûrement.
Comme guide approximatif, vous devriez viser pendant ce stade à augmenter la période d’antar kumbhaka jusqu’à ce qu’elle soit égale à la période d’expiration. En d’autres termes, si par exemple vous expirez sur un compte de dix, essayez, au fil du temps (semaines ou un mois), d’atteindre un stade où le kumbhaka prend également un compte de dix.
Ainsi, à la fin de ce stade, essayez d’obtenir le ratio suivant pour un tour: Inspiration – 1 : antar kumbhaka – 2 : expiration – 2 : inspiration – 1 : antar kumbhaka – 2 : expiration – 2. C’est-à-dire 1:2:2:1:2:2.
Certaines personnes atteindront facilement ce ratio; d’autres auront besoin de plus de temps. Quoi qu’il en soit, ne vous pressez pas, il y a tout le temps nécessaire. Ceux qui atteignent facilement ce ratio devraient commencer à augmenter la durée de l’inspiration, du kumbhaka et de l’expiration, en gardant le ratio fixe. Les autres devraient persévérer jusqu’à le maîtriser.
Conscience
Nous insistons à nouveau sur le fait que la conscience du souffle et le comptage mental sont essentiels. Cela est nécessaire pour détendre le mental en le retirant de ses ornières habituelles de problèmes et pour le rendre unifié. En même temps, la conscience du comptage est vitale pour suivre le ratio inspiration, kumbhaka et expiration et pour le modifier si nécessaire.
Précautions
Bien qu’antar kumbhaka semble une pratique simple et directe, elle a de vastes répercussions sur le corps et le mental. Vous devez rester attentif à toute réaction adverse. Celles-ci peuvent prendre diverses formes, des éruptions cutanées excessives à l’insomnie. Dans le premier cas, le kumbhaka purge rapidement le corps d’impuretés inhérentes; du fait de cette rapidité, les toxines provoquent de nombreuses éruptions cutanées en étant expulsées. Dans ce cas, réduisez ou arrêtez temporairement la pratique de kumbhaka pour permettre au corps de se purifier plus lentement. Dans le second cas, le kumbhaka surcharge en quelque sorte votre corps et votre mental au-delà de leur niveau habituel d’activité. Réduisez ou arrêtez la pratique pendant un certain temps. D’autres réactions adverses sont possibles. Soyez vigilant et, si nécessaire, demandez conseil à un professeur de yoga compétent.
La raison habituelle de toute réaction adverse est généralement une pratique excessive aux premiers stades. Soyez modéré dans le temps quotidien consacré au pranayama, surtout au kumbhaka. Pendant les six premiers mois, ne dépassez pas 10 minutes. Si vous souhaitez et que votre constitution le permet, pratiquer davantage pour votre plus grand bénéfice. En cas de doute, consultez à nouveau une personne expérimentée.
Nous soulignons que la durée d’antar kumbhaka doit être augmentée lentement sans aucune tension, afin que les mécanismes corporels s’habituent progressivement au nouveau niveau de fonctionnement. Si vous n’avez pas pratiqué les stades 1 et 2 de nadi shodhana pranayama, nous vous recommandons vivement de les pratiquer pendant un mois environ avant d’entreprendre une pratique sérieuse d’antar kumbhaka.
Séquence
Conformément aux autres formes de pranayama, le meilleur moment pour pratiquer est après les asanas et immédiatement avant la pratique de méditation.
Bénéfices
Un grand pourcentage de maladies est causé par des perturbations dans le corps pranique et le mental. Nadi shodhana pranayama, surtout lorsqu’il inclut antar kumbhaka, est une méthode puissante et directe pour instaurer l’harmonie dans ces domaines. Ainsi, lorsque l’on aborde la pratique d’antar kumbhaka avec bon sens et en évitant les réactions adverses, elle peut avoir une influence merveilleuse pour prévenir et éliminer une grande variété de maladies. Elle est particulièrement efficace contre les troubles psychosomatiques évidents tels que l’asthme, le diabète, etc., car elle entraîne la quiétude et la paix mentale.
La pratique d’antar kumbhaka est excellente pour le mental. C’est une grande aide pour instaurer une pensée claire et la concentration. Nous recommandons donc vivement le kumbhaka à ceux qui effectuent beaucoup de travail mental et qui ont besoin de vitalité mentale et physique.
Le pranayama, surtout le kumbhaka, aide à éliminer les impuretés du corps. Cela est clairement énoncé dans la citation déjà donnée de la Hatha Yoga Pradipika. Notre corps élimine continuellement des impuretés. En raison de mauvaises habitudes alimentaires, de stress émotionnel, d’inefficacité des organes internes, etc., ce processus de purification devient insuffisant. Cela entraîne l’accumulation de déchets et des maladies de diverses formes. Le pranayama, surtout le kumbhaka, aide ce processus de purification et contribue ainsi grandement à atteindre la meilleure santé possible. Cette purification est parfois si rapide que le corps manifeste des plaies, etc., pour gérer l’élimination supplémentaire de toxines. C’est en partie la raison des réactions adverses de ce type.
Notes
² Livre I, Leçon 3, Sujet 3 ; Livre I, Leçon 4, Sujet 3

