Avez-vous déjà remarqué comment votre humeur peut basculer en une fraction de seconde — sans même que vous compreniez pourquoi?
Vous étiez serein, et soudain une tension s’installe. Vous vous sentiez plutôt bien, et voilà qu’une vague d’irritation vous traverse. Que s’est-il passé? Souvent, la réponse se trouve dans un stimulus extérieur que vous avez à peine perçu consciemment: une image, un titre, un visage, une couleur, un son.
Bien avant que notre conscience analytique ne s’en mêle, des structures cérébrales archaïques — notamment l’amygdale — scannent en permanence notre environnement à la recherche de menaces potentielles ou d’opportunités. Ce traitement s’effectue en quelques millisecondes, bien en dessous du seuil de la conscience. Le résultat: nous réagissons avant même de savoir à quoi nous réagissons.
Les publicitaires, les médias et les communicants de tout bord connaissent parfaitement ces mécanismes.
Ils savent qu’une image de visage menaçant capte l’attention plus vite qu’un paysage paisible. Ils savent qu’un titre anxiogène déclenche une réaction émotionnelle qui pousse à cliquer. Ils savent que certaines couleurs, certaines musiques, certains mots activent des circuits de stress ou de désir sans que nous en ayons la moindre conscience.
Considérez les titres de journaux que vous croisez chaque jour — sur votre téléphone, dans la rue, à la télévision.
Ils sont rarement neutres. Ils sont conçus pour provoquer une réaction: indignation, peur, colère, curiosité anxieuse. Chacun de ces micro-stimuli laisse une trace dans votre système nerveux. Accumulés au fil de la journée, ils créent un bruit de fond émotionnel dont vous n’identifiez pas toujours la source.
Pensez également aux visages.
Nous sommes extraordinairement sensibles aux visages humains — les neuroscientifiques assurent que nous disposerions même de zones cérébrales spécialisées dans leur reconnaissance1. Lorsque vous apercevez le portrait d’une personne que vous admirez, quelque chose se détend en vous. Lorsque surgit le visage de quelqu’un qui vous a blessé ou que vous associez à des valeurs opposées aux vôtres, une contraction s’opère — peut-être imperceptible, mais bien réelle. Votre rythme cardiaque s’accélère légèrement, vos muscles se tendent, votre respiration se modifie.
Ces réactions ne sont ni bonnes ni mauvaises en soi.
Elles témoignent simplement de l’extraordinaire sensibilité de notre organisme à son environnement. Le problème survient lorsque nous vivons dans un flux constant de stimulations conçues pour activer nos émotions — et que nous n’en avons pas conscience. Nous devenons alors comme des bouchons ballottés par des vagues dont nous ignorons l’origine.
La bonne nouvelle, c’est que la conscience change tout.
Le simple fait de nommer une émotion — « tiens, je ressens de l’irritation » — active le cortex préfrontal et régule l’activité de l’amygdale. Cette observation consciente crée un espace entre le stimulus et la réponse. Un espace de liberté.
Expérience: observez!
L’exercice que je vous propose aujourd’hui est simple mais puissant: pendant les prochaines heures, observez vos variations d’états intérieurs et tentez d’identifier ce qui les a déclenchées. Vous avez senti une crispation? Qu’avez-vous vu, lu ou entendu juste avant? Une publicité? Un gros titre? Le visage de quelqu’un? Une notification sur votre téléphone? Une phrase du type: « Notre cerveau est une machine. »?
Ne cherchez pas à éviter ces déclencheurs ni à réprimer vos réactions. Observez simplement. Vous vous entraînerez ainsi à une forme de méta-conscience — cette capacité à percevoir vos propres processus mentaux pendant qu’ils se déroulent. Avec le temps, cette pratique élargit considérablement votre liberté intérieure.
Vous découvrirez peut-être que certains environnements, certains médias, certaines personnes activent systématiquement en vous des états qui ne vous servent pas. Cette prise de conscience vous permettra de faire des choix plus éclairés sur ce à quoi vous vous exposez — car oui, nous avons une forme de responsabilité dans la diète informationnelle et émotionnelle que nous nous imposons.
Les informations auxquelles nous sommes soumis ou auxquelles nous nous soumettons méritent autant d’attention que notre alimentation. De la même manière que la malbouffe va entraîner toute une série de malaise et de malêtre, ce à quoi nous nous intéressons façonne littéralement qui nous sommes en ce moment – entendu que, comme nous l’avons vu dans JDM 1, qui nous sommes n’est pas ces pensées, ces émotions, ces ressentis qui réagissent à ce à quoi nous nous intéressons, mais la conscience qui les observe.
Références
- Siegel, P., & Peterson, B. S. (2024). Advancing the treatment of anxiety disorders in transition-age youth: a review of the therapeutic effects of unconscious exposure. Journal of Child Psychology and Psychiatry. https://doi.org/10.1111/jcpp.14037
- Dahlén, A., Schofield, A., Schiöth, H. B., et al. (2022). Subliminal Emotional Faces Elicit Predominantly Right-Lateralized Amygdala Activation: A Systematic Meta-Analysis of fMRI Studies. Frontiers in Neuroscience. https://doi.org/10.3389/fnins.2022.868366
- Li, C.-W., Chen, Q., Xuan, Y.-M., et al. (2023). The Subliminal Affective Priming Effect of Facial Expression and Its Mechanisms. Progress in Biochemistry and Biophysics. https://doi.org/10.16476/j.pibb.2022.0474
- Wyatt, Z. (2020). Scroll, Stress, Repeat: The Neuroscience of Trauma in a Digital World. Retrieved from ResearchGate.
- Miller, J. G., et al. (2022). Early life stress, systemic inflammation, and neural correlates of implicit emotion regulation in adolescents. Brain, Behavior, and Immunity. https://doi.org/10.1016/j.bbi.2022.07.007
- Functional correlates of subliminal stimulation in Posttraumatic Stress Disorder: systematic review and meta-analysis. (2022). https://doi.org/10.31234/osf.io/ft397
- Typiquement une réduction matérialiste qui n’explique pas vraiment le phénomène. Les neurosciences devant elles-mêmes accepter aujourd’hui que les zones cérébrales sont extrêmement plastiques: lorsqu’une ne remplit pas sa fonction (en fait: la fonction que les scientifiques ont postulé pour elle dans leur cadre théorique!), une autre s’en charge… Comme pour JDM 1, nous avons enlevé toute cette surcharge provenant du jargon des neurosciences – nous avons laissé celle-ci juste à titre d’exemplification. ↩︎

