Le style des phrases

Au fait, qu’est-ce qu’une phrase? Le linguiste Richard Meyer donne cette explication intéressante:

Par phrase, nous entendons un morceau de discours humain parfaitement compréhensible sans aucune aide supplémentaire. Nous n’imposons aucune exigence syntaxique particulière à la phrase: une simple exclamation comme « Au feu! », une phrase interrogative à un seul élément comme « Mort? », une menace – incomplète – comme « Je vais vous… ! » répondent parfaitement aux exigences de compréhension commune.

Pour l’orateur, outre le contenu de ses phrases, c’est d’abord la longueur de celles-ci qui est importante. Ne construisons pas nos phrases en style télégraphique, ni longue comme un train de marchandises! Dans l’ensemble, il doit y avoir plus de phrases courtes que de phrases longues.

Évitons les phrases à tiroir. Elles ne sont pas audibles. De nombreuses phrases subordonnées deviennent des phrases brumeuses, c’est-à-dire qu’elles ont, par leur longueur, l’effet d’une sorte de brouillard mental. Les phrases à rallonge exigent de l’auditeur une sorte de course d’obstacles. Chaque partie de la phrase devient un obstacle qu’il faut franchir péniblement.

Une vieille règle scolaire s’applique également au discours: nouvelle pensée – nouvelle phrase! Et autant de phrases actives que possible; elles sont plus captivantes que les phrases passives.

Au lieu d’utiliser constamment des phrases subordonnées, créons davantage de phrases d’accompagnement.

Tout cela ne veut pas dire que l’orateur doit adopter un style rhétorique asthmatique et éviter strictement les longues phrases. Chez de nombreux orateurs, nous trouvons parfois la grande phrase dans les moments forts; un contexte de pensée large, mais ponctué de césures, qui contient un message important.

Les finesses rhétoriques consistent

  1. à ce que le sommet de la phrase ne reste pas incolore et abstrait à la fin, mais apporte une comparaison plastique et imagée;
  2. à faire suivre l’affirmation essentiel portée dans la phrase longue par une phrase courte. Il ne faut jamais cumuler les grandes phrases.

    Romain Rolland note dans ses Mémoires à propos de l’orateur Jaurès:

    Dès qu’il s’enflammait ou s’excitait, la structuration de ses phrases prenaient une ampleur énorme; elles roulaient comme une boule rouge; un mot jaillissait, flamboyant, inattendu, et clouait le contenu de sa pensée dans les esprits les plus hostiles.

    Des ruptures de phrases (anacoluthes) apparaissent souvent dans les grandes phrases. Il est plus facile de commencer des grandes aẗentes que de les terminer…

    Retenons:

    • l’orateur doit s’habituer à un style dans lequel les phrases plus longues et plus courtes alternent et dans lequel la grande phrase est l’exception. Il se garde surtout de vouloir trop en mettre dans une phrase.
    • Les phrases courtes, formulées de manière percutante et concise, ont particulièrement leur place dans le discours de persuasion.
    • Nous sommes aujourd’hui sensibles à toute exagération, au pathos et à la grandiloquence.
    • L’orateur ne doit pas marcher sur des échasses. L’élocution vissée conduit au style boursouflé.
    • Que l’orateur évite toute indétermination. Les orateurs qui ne s’engagent jamais, mais qui utilisent toujours avec prudence des « pourrait » et des « voudrait », des « peut-être » et des « à peu près », sont une abomination.
    • Ne dites jamais (comme on l’entend si souvent) : « Suite à certaines expériences (ou hypothèses), j’ai décidé… ». Nommez ces expériences ou hypothèses.
    • Même si les formulations pointues peuvent paraître bonnes et élégantes, la surpointisation permanente finit par rendre l’auditeur sceptique; elle conduit à un comportement réservé.
    • Les erreurs que l’on constate chez les autres, on les commet souvent soi-même sans s’en rendre compte.

    En Bref

    Formulons les choses avec soin.

    Une bonne expression a presque autant de valeur qu’une bonne pensée.

    Lichtenberg
    • Parlons avec des phrases que l’on peut suivre (longueur) et qui sont donc compréhensibles.
    • Alternons les phrases longues et les courtes.
    • Privilégions les phrases actives.
    • Soyons simples, clairs et sans pathos dans le style des phrases.

    Améliorer le style, c’est améliorer la pensée et rien d’autre.

    Nietzsche

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